Acéphalopolis
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Panlogue du calife de Bagdad Haroun Al Rachid
Toute civilisation n’exprime-t-elle pas une relation entre les hommes et l’univers ?
Comment nommer un rapport social qui soumet l’âme humaine, la cité,
le cosmos à ce Moloch auquel, selon le prophète, sacrifiaient les rois de
Juda ? Pouvaient-ils savoir l’âme habitant une statue ? À quel point
leurs fétichismes étaient ceux d’automates ? Mon effigie dans le bureau
Ovale relevait d’un art sacré de l’Orient que l’Occident ne peut comprendre,
qui d’un siècle à l’autre est passé de Jünger à Juncker. Hier, un génie de la
littérature allemande combattait pour le diable ; de nos jours, le plus
médiocre employé de bureau d’un continent va diriger l’Europe… Mais c’est un
employé de l’Eternel ! s’exclame-t-on devant moi. Quand il était Premier
ministre au Luxembourg, et que l’URSS existait encore, n’aurait-il pas favorisé
la CIA pour faire exploser quelques bombes utiles à la stratégie de la
tension ? Le foyer central de la guerre impose désormais d’organiser les
attentats contre Sion. Car le judaïsme offre une structure nécessaire pour
légitimer l’ordre binaire. Divinité suprême omnipotente, omnivoyante et
omnisciente, Kapitotal guide le monde et la tour Panoptic lui garantit une
caste sacerdotale impartiale… Tous les simulacres sont requis pour maintenir
l’immense majorité des humains dans la servitude à une tyrannie sans précédent,
dès lors que l’emprise psychique est assurée par un artifice de synthèse qui
substitue son ersatz au Dieu biblique. Le clivage entre winners et losers
trouve sa base ontologique dans la malédiction divine contre tout ce qui
s’enracine dans une glèbe locale, quand l’élite mondiale voit sa domination
justifiée par élection de Yahvé. Grâce aux moyens techniques appropriés, l’Esprit
de l’Utopie se trouve éradiqué : leurs sous-produits d’imitation
remplacent avantageusement philosophes, artistes, prophètes, aèdes expropriés.
Le Septième ciel de l’esprit condamné, nul risque d’accéder à la Sphère par
cette culture de magazines qui s’est emparée de l’espace littéraire à l’instar
d’un BHL. Depuis les étages inférieurs, et d’une manière plus insidieuse que
sous le nazisme, une main ferme plonge le corps social, tête la première, dans
un marécage fétide. C’est alors que les lèvres de mon simulacre ont prononcé deux mots en arabe…
L‘océan ruisselle d’étranges lumières sur trois continents. L’écran des vagues fait
resurgir un peuple de noyés et de crânes aux orbites vides. Jamais n’a cessé la
traite négrière, toujours se porte bien le commerce triangulaire grâce aux
négociations du grand marché transatlantique. L’acteur en scène tourne les yeux
vers l’Amérique où Goldman Sachs a fait élire le président qui convient aux
intérêts du Moloch. Diplomate et souriant, son masque de fils de Cham dissimule
une soumission de grand style à Sem et Japhet par la politique du dialogue et
de la main tendue, mais habile à dégainer ses drones pour tirer sans sommation.
« Francs-tireurs et partisans… pré-sen-tez armes ! » La
salve du canon sur le mur du Temple vient de pulvériser le drapeau tricolore à
croix de Lorraine que je viens de hisser devant les sentinelles et l’obus
doit être allé s’écraser du côté de Bethléem. Qui pourrait oser dire que
Jérusalem doit son étoile de Goliath à la croix gammée qui flotta sur l’Europe,
remplacée par l’emblème à la triple flèche concentrique de la Commission
trilatérale, invisible sur l’officielle bannière européenne ? Il est
certain que l’hitlérisme postulait l’abandon de tout patriotisme condamné comme
terroriste et la destruction de toute résistance à une Europe nouvelle imposée
comme rempart contre la barbarie orientale. Du point de vue nazi, folle et
criminelle était l’insoumission populaire face à l’ordre supranational dont
Tcherkassy fut en Ukraine la pointe avancée sur le front de l’Est, là même où dans
sa campagne électorale vient de gesticuler le magnat du chewing-gum accompagné
par BHL. Il est aussi certain que l’Amérique espérait l’écrasement par le Reich
de l’Union soviétique, à l’instar des principales élites européennes. Il ne
s’en fallut que de Stalingrad et d’une croix de Lorraine aujourd’hui
déchiquetée par tous les vents mauvais de l’Atlantique. C’est donc une revanche
contre de Gaulle qui se joue dans les élections du week-end. Contre l’idée
d’une Europe allant de l’Atlantique à l’Oural se dessine le plan d’un marché
transatlantique s’étendant jusqu’au Pacifique. Dans cette autre guerre, le
Führer avait promis la chute de Moscou pour le 14 juillet. Jamais ne se renie
un pacte méphistophélique, même s’il n’est plus d’Ernst Jünger dans la nouvelle
Wehrmacht pour connaître Goethe. Il n’a plus non plus de visage, le
diable qui négocie son âme et son corps avec le Faust collectif. Un masque
nègre bégaie et sa langue fourche pour clamer qu’à l’Orient barbare s’oppose une civilisation…
Shéhérazade est la reine de l’échiquier sphérique et elle vous met échec et mat.
Cheikh mat ! J’ai distinctement vu prononcer ces deux mots en arabe sur les
lèvres d’une statue de plâtre ou de bois coloré dans l’angle du bureau. Cette
effigie grandeur nature de quelque prince oriental en turban semblait m’avoir
dicté mes propres pensées. L’effet de la phrase est impressionnant sur la fine
équipe réunie autour de la table brillante. Ils s’en tirent par des sourires
entendus. Tout mon jeu consistait à faire croire que je préférais n’être plus
une créature légendaire en leur noble compagnie, pour avoir le privilège
d’entretenir des relations soumises à leur souveraine autorité. Vous voyez le
genre. Ma tirade inspirée par le calife dans son coin, que je reconnais trop
bien, les a désarçonnés. Je ne me prive pas de cette liberté nouvelle pour leur
balancer un discours qui devrait exciter leur hilarité : « Des
organismes autonomes ayant perdu leur tête et n’ayant plus qu’un système
nerveux commun se comparent au céphalopode, qui devient le modèle des systèmes
économiques, politiques et idéologiques à l’échelle planétaire. Mais une
seule structure humaine s’avoue pieuvre, celle du crime organisé. Cette
structure organise Kapitotal et la tour Panoptic. A son imitation se construit
l’Union européenne. A l’inverse, il fut jadis en Europe une coalition de têtes
pensantes sur un seul corps commun. L’ironie de l’histoire européenne actuelle
veut que la pieuvre dirigeante, pour sa propagande, se revendique de ce qu’elle
ignore : cet organisme utopique reliant dans l’espace et le temps les
esprits d’Homère et de Virgile, de Dante et d’Erasme, de Cervantes et de
Shakespeare, de Goethe et de Pouchkine, de Hugo et de Fernando Pessoa. Ce génie
polycéphale aspirait à un idéal spirituel dont ses œuvres mettaient en lumière
l’antagonisme avec le pouvoir matériel. C’est au risque de leur vie que
Giordano Bruno, Galilée, Diderot, Walter Benjamin tracèrent les voies d’une
démocratie qui reste à inventer. Toute la supercherie d’aujourd’hui réside en la
destruction de cet idéal, auquel se substitue un ersatz qui permet à la
domination de paraître l’incarner, non sans se réclamer frauduleusement de ces
illustres figures dont elle est la négation. Ce trucage par des analphabètes
exige un matraquage idéologique sans exemple antérieur des populations
européennes, réduites à la fonction de capital variable d’ajustement structurel –
corps et âmes ! »
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