Schizonoïa
1
La lyre de l'aède ouvre le royaume des ombres.
Toute vie s'y révèle allégorie dont le sens éclaire une forêt de mystères.
L'aède à chaque époque offre un voyage
hors du temps, là où il n'y a plus ni passé ni futur. Affranchi du joug
temporel et spatial, il visite les nuits où s'ouvrent les tombes et où marchent
les morts. Mais la culture moderne l'a si bien fait disparaître que son
existence historique peut être mise en doute. Lui-même n'en vient-il pas à se demander s'il a jamais vraiment existé ?
Par sollicitude pour Homère, Dante,
Shakespeare, Joyce et quelques autres, un homme jeté dans vos temps oublieux,
qui n'a donc point la prétention d'être votre contemporain, prend aujourd'hui
la peine de ranimer l'antique feu sacré. Si par trilliards de dollars se mesure
l'écart entre sa valeur et celle des propriétaires du monde, autant d'années-lumière
les séparent. Depuis le fond des âges, ne fut-il pas au cœur des représentations
collectives animées par les sphères les plus lointaines de l'humaine âme
astrale ? Le capitalisme, comme il industrialise toutes les productions
matérielles, fac-similise à l'infini les ersatz de l'esprit. Kapitotal est le
moment où ce négoce de masse, par la tour Panoptic, organise les zonings intellectuels à son exclusif profit.
2
Dans la Théogonie d'Hésiode, comme
dans la Genèse biblique, il n'est de création démiurgique du monde sans
inaugural crime de sang. Le fratricide y répond au parricide. À la mutilation
d'Ouranos par Cronos, fait écho le meurtre du pâtre Abel par Caïn l'agriculteur
selon les plans de l'Eternel. La damnation des Titans par l'Olympe résonne en
celle de Cham, fils de Noé, sur ordre divin. Si l'aède qui chante en ces pages
assume l'héritage d'Atlas, ne convient-il pas de porter aussi les voix de Sem,
Cham et Japhet ? Curieuse homonymie que ce fils de Noé dont la descendance
est dite celle des peuples d'Europe, quand Japet est le nom grec du père
d'Atlas et de Prométhée ! D'où l'hypothèse d'un croisement des sources
légendaires helléniques et sémitiques ; l'une et l'autre fables, bâties
sur une conquête coloniale. L'Iliade relate un carnage et un pillage
fondateurs pour la nation grecque, en la cité d'Ilion qui défendait les
richesses d'Asie mineure. Mais la vision globale de l'aède célèbre le noble
héroïsme des vaincus, dans un récit traversé de relations jamais univoques
entre hommes et divinités. La Bible évoque pareils massacres et saccages
fondant l'identité hébraïque dans la prise de Canaan. Mais l'exploit guerrier
des soudards et l'exclusif soutien de Yahvé à ses lévites confirment, après
l'inaugurale damnation de Caïn prolongée par celles de Cham puis d'Ismaël, une ontologique scission de l'humanité.
3
L'aède est un apatride sans passeport,
qu'aucun poste douanier n'autorise à franchir aucune frontière pour pénétrer
sur aucun territoire des mortels, depuis que la totalité des représentations du
globe s'en est détachée comme une vieille étiquette mensongère. Le sort du Juif
en errance est donc celui du sphérophore sous sa voûte constellée. Qu'il se
trouve en exil sur une île de l'Atlantique face aux cimes de l'Atlas, ne
l'empêche point de vagabonder par les rues d'Athènes et de Jérusalem en suivant
les chemins de Phénicie. Car « le peuple éternel ne craint
pas le long chemin », comme vient de l'affirmer le Premier ministre
d'Israël, réitérant le caractère unique d'une gens que son destin temporel,
par élection divine, placerait en surplomb de toute autre nation. Sans doute
Jérusalem la ville d'or a-t-elle mis Athènes aux fers pendant qu'agonise à feu
et à sang la contrée du roi Phénix, père d'Europe que ravit Zeus déguisé en
taureau. De toute antiquité, la Phénicie qui offrit à l'humanité l'alphabet ne
porte-t-elle pas le nom de Cham ? Or, le peuple éternel ne se
proclame-t-il pas l'inventeur du Livre ? Les scribes de celui-ci, qui
officièrent deux siècles après Homère, n'usèrent certes pas, pour justifier
carnages et pillages en Canaan, des moyens littéraires utilisés par l'aède, en sa mélopée de l'au-delà…
4
Rien à déclarer. Ce sont les mots de
l'aède au seuil de l'au-delà. S'il n'est plus lesté du fardeau de l'Atlante,
c'est qu'il vit une lumière et crut devoir la suivre de l'enfance à la mort. Il
trouva le nom de Sphère pour désigner ce Tout du Monde à l'intelligence duquel
chaque être est requis, dont l'ultime finalité serait justice et vérité sur
Terre – ainsi que l'écrivait en Afrique du Sud l'aédesse Nadine Gordimer,
confrontée à une autre forme d'apartheid que celui prévalant aujourd'hui dans les Lieux Saints.
Si toute la vie de l'aède fut une telle déclaration, quoi d'autre à déclarer ?
Par sa voix, résonnant dans la nuit comme
l'écho des étoiles, s'exprime un vouloir dire des choses, des êtres et du
monde. Il a fait de son corps et de sa parole signes. Par lui l'univers exulte,
sublime comme des lauriers roses dans un oued à sec de l'Atlas. Car il a
mémoire de la parole primitive et sa voix se souvient du premier chant. Ce fut
à l'occasion d'une vision : l'âme d'un frère mort s'en allait vers quelque
autre monde et s'adressait aux vivants, qui répondaient à son appel signifiant qu'il était encore des leurs.
5
Chamanstvo : par ce mot référant au chaman, Vladimir Nabokov
désignait le pouvoir d'enchantement de l'aède. Sa parole inspirée par les muses
coule de source vers un rivage et remonte par les nuages, en un miracle
perpétuel tenant moins du cycle que de la Sphère. Car sa spirale cosmique ne
ramène jamais au même point, contrairement au discours circulaire du
politicien. Ce qu'Aragon nommait le Mentir-Vrai s'oppose au franc-parler
trompeur de toute propagande. Ainsi les artistes et les écrivains
voient-ils ce qui ne tourne pas rond dans la comédie sociale, éclairant le
comique involontaire d'éventuelles tragédies. Mais quel aède pourrait-il, en
l'enclos sous le joug, se gausser d'un Benyamin Netanyahou déclarant sans rire :
« Le peuple palestinien n'est pas comme le nôtre. Nous sanctifions la vie, eux sanctifient la mort » ?
C'est à l'aède qu'il revient de désamorcer
le stratagème apologétique d'un système ayant à ce point renversé la réalité
dans ses représentations, que la mise en question de son logiciel totalitaire
vaut complicité génocidaire. Qui d'autre que le détenteur d'une vision globale
peut-il, au nom même de l'éthique juive des prophètes, clamer l'ontologique
unité de l'humanité niée par ce chef de clan se prévalant d'une alliance exclusive avec l'Éternel ?
A l'instar des réclames axées sur une
promesse de longévité (dans un marché de consommation rapide où s'instantanéise
la distance entre usage, déchet et broiement de celui-ci pour son recyclage
profitable), n'est-il pas des plus risibles, cet argument publicitaire de
l'éternité comme label pour l'image de marque d'un pays s'étant arrogé le patronage du Créateur ?
6
Plus la parole de l'aède pénètre au noyau
de la matière où tournoient des constellations de lumière, plus elle fuit à la
périphérie des nébuleuses. Au point que l'équation mathématique formulée par
cet adversaire du sionisme que fut Einstein pour le calcul de l'énergie, peut
aussi bien servir à définir l'information, la masse étant remplacée par ce
fluide universel qu'est le mana. Un bond conceptuel est nécessaire pour
communiquer l'Être d'être en être au moyen de bombes créatives, exigeant une
destruction des clichés idéologiques où sont emprisonnées les notions de
création, d'information, de communication comme celle de concept. L'aède met au
défi quiconque d'apporter une définition sensée de poncifs intoxiquant
l'atmosphère, telle cette « révolution des technologies de l'information »,
mise en œuvre par des créatifs et des communicants férus d'art conceptuel.
7
Jamais, nous divulgue l'aède en son Atlantide,
l'humanité n'avait engendré pareille idole : un Moloch avalant des
milliards d'hommes et déféquant en leurs esprits des bombes excrémentielles
ayant pour effet la privation de leur immunité mentale. Partout prospère un syndrome
d'immunodéficience acquise dans le psychisme humain, soumis aux
intoxications de cette idole s'enivrant de leur sang contaminé dans le crâne de
ses victimes. Joyeuses libations qui confèrent une autorité morale
incontestable à l'actuel ministre français des Affaires étrangères Laurent
Fabius dans sa traque de l'ennemi, dès lors que l'amnésie fait partie des
protocoles de soin pour l'adversaire intérieur. Un virus d'immunodéficience
humaine (VIH) infecte à tel point les cerveaux que cette pandémie ne fait
l'objet d'aucune campagne de prévention : quels préservatifs ? Le
Théâtre de l'Atlantide se veut donc aussi prophylactique. Il propose la
trithérapie du prophète juif, du sage grec et de l'aède phénicien.
8
Ceux-ci ne témoignent-ils pas
exemplairement du bombardement d'étoiles filantes en plein crâne dont se
définit l'homme – entre l'ange et la bête ?
L'homme, c'est-à-dire la femme. Quelle
plus haute messagère de la Sphère que Shéhérazade, à l'heure où sont en ruines Le Caire, Bagdad et Damas ?
Ici l'Orient renaît sur une île en
l'extrême déclin de l'Occident. Cette Mille et Deuxième Nuit verra
s'abîmer l'âme faustienne vendue à la machine, par la grâce de l'Œil imaginal.
Une citoyenneté mondiale fondée sur de mêmes lois pour tous et non sur
l'origine des uns et des autres, ne peut avoir pour préalable que la critique
radicale du colonialisme imbu de supériorité sur toute race inférieure
sauvage – barbare – nègre – indienne – slave – palestinienne.
Soit, les engeances maudites par la tradition judéo-chrétienne et sa passion de
l'inquisition, que propage l'œuvre de Maïmonide et de Thomas d'Aquin. Le
premier ne condamne-t-il pas explicitement à mort Shéhérazade comme l'aède,
fournissant au second l'argumentaire biblique nécessaire à la chasse aux
sorcières et à l'extermination massive en Terre promise d'Amérique ?
Le combat de l'anqrwpos contre sa régression programmée vers l'agorapithèque
ne peut éluder une prise de conscience mondiale du sphéranthrope, telle que la
préfigure l'Éthique du philosophe juif Spinoza.
9
Rien ne s'oppose avec plus de pertinence
aux balivernes tribales invoquant Yahvé pour servir le Moloch, que la pensée de
Spinoza. La communauté rabbinique ne s'y est pas trompée, qui maintient son
exclusion du judaïsme autant qu'en sont vomis Karl Marx et Sigmund Freud, Ernst
Bloch et Walter Benjamin. L'idéal prophétique de justice et de vérité qui les
animait – ce que Spinoza nomme " le souverain bien "
(summum bonum) – n'en faisait-il pas les coreligionnaires intellectuels de
Balzac et de Musil, de Georgy Lukacs et de Bertolt Brecht, quand la j…
politico-financière s'illustre autant par Mitterrand que par Kissinger, par
Bill Gates que par Goldman Sachs ? L'antagonisme historique entre patronat
et prolétariat, sans issue dialectique une fois forclos le communisme, trouve
son extension logique en devenant à un degré supérieur le conflit du spéculat
et du précariat. Deux planètes s'affrontent privées des médiations bourgeoises
classiques : winners et losers. L'ère ouverte par Kapitotal
voici quarante ans rompt avec l'héritage grec pour n'emprunter plus qu'au
logiciel divisant l'humanité entre élus et damnés. La planète financière,
érigée en puissance tyrannique ainsi que la divinité biblique, use du langage
binaire de la tour Panoptic. À celle-ci revient le soin de masquer, sous des
différenciations ethnico-religieuses, le contenu de classe des notions
d'identité, de sécurité, de communauté, quand la cohabitation se fait
dangereuse entre richesse et misère. Si l'identitarisme, le sécuritarisme, le
communautarisme de la kippa s'opposent à ceux du voile, c'est qu'un groupe est
promu à la dignité de l'élite, quand l'autre subit les préjugés mérités par la
racaille : frontière symbolique épousant le tracé d'un mur en Israël.
10
Regardez comme vous êtes aveugles !
disent en fin de compte le prophète juif, l'ami de la sagesse grec et l'aède
phénicien. Voyez l'effroyable résultat de vos querelles ! Que
n'écoutez-vous pas les puissances du ciel, plutôt que d'obéir à la seule attraction des forces matérielles...
J'ai honte, comme être humain, de
l'humanité telle qu'elle perpètre ses vilenies humanitaires. Je ne veux plus en
être. Je n'en suis plus. Que ma parole du moins témoigne, venue d'âges lointains, pour les temps futurs...
Au diable ce présent désâmé, désenchanté,
désacralisé – cristallisé dans le temps comme une mouche dans l'ambre, plus fossilisé que la préhistoire !
11
La destruction du rêve et de la mémoire
est consubstantielle à Kapitotal. Tout passé de l'humanité réifié dans
l'accumulation du travail mort, tout futur conditionné par le calcul des robots
chargés d'escompter ses plus-values, la tour Panoptic industrialise, dans un
son et lumière de chaque instant, bavardages et images tenant lieu d'héritage
culturel aussi bien que de gage intellectuel pour l'avenir. Cette intrinsèque
barbarie ne peut plus cohabiter avec les esthétiques, éthiques et politiques
dont se réclamait jadis une civilisation. Quand marchés financiers chacals et
fonds spéculatifs vautours dictent How to move together forward in a
changing world, leur global thinking a pour postulat l'élimination
des révélations prophétiques, réflexions philosophiques et visions poétiques sacrifiées au Moloch.
Wall Street, le Pentagone et Hollywood en
tiennent lieu. Mais là où vont s'abreuver les charognards ne se rencontre que
la mort. Qu'il convient de travestir aux couleurs de la vie. L'événementiel et
l'éphémère créent un décor festif au fond de la caverne où les branchés
interconnectés s'éclatent aux rythmes imposés par Lady Gaga : Google, Apple, Gagbook, Amazon.
12
Kapitotal concentre la masse des richesses
de la planète sucées au fond des terres et mers, fleuves et déserts, montagnes
et entrailles gorgées du sang noir des forêts premières et des caillots de
lingots. Sucées par qui sinon par la bête humaine au travail depuis des
millénaires, bête négociée sur le marché de la barbaque par des margoulins
roublards n'ayant jamais eu qu'une méthode pour duper cette bête : en la saoulant
de mille manières, que perfectionne encore jour et nuit la tour Panoptic.
Dans l'oued à sec fleurit un laurier rose,
imagine l'aède en contemplant les cimes de l'Atlas depuis son île au milieu de
l'Atlantique. Ont-ils pu fêter l'Aïd al Fitr ? L'Œil imaginal de
Shéhérazade illustrera l'alam al khayal – ou monde imaginal – du penseur
Ibn 'Arabî. Bagdad, Le Caire, Damas en ruines au cœur de l'Atlantide. Brûler la
conscience palestinienne est la stratégie de l'armée israélienne selon Yehuda
Shaul, ancien officier de Tsahal. Quand les décisions suprêmes sont guidées par
la technoscience et prennent vertu sacrée d'être jurées sur la Bible, quand des
marchandages profanes régissent la divinité judéo-chrétienne et les dogmes
économiques exigent obéissance aveugle, comment l'hystérie médiatique ne
rameuterait-elle pas les cris d'épouvante lancés naguère contre la poésie de l'Armée
rouge, des viet-minhs et des fellaghas ?
13
Veuillez excuser l'aède s'il use du
vocabulaire le plus scandaleux de nos temps, mais il vous parle d'âme, de
sacré, de Sphère – d'Allah, ce vieux mot sémite employé par Abraham comme par
le Christ, ainsi que la Bible et les Evangiles n'osent l'avouer. Blancs
d'Occident ! Mes gènes sont les vôtres, mais mon âme n'est point de votre
race. Elle déclare coupable pour la mise à sac de Troie comme pour le pillage
colonial de Canaan, pour la destruction de Carthage comme pour celle de
Teotihuacan. Coupable pour le négoce du sang de l'arbre noir comme pour le
massacre de l'arbre rouge. Coupable pour les voies du commerce négrier pavées
de crânes autour de cette Atlantide et l'invasion planétaire extorquée dans un
rapport d'échange où chaque sujet civilisé vaut cent esclaves bougnoules,
métèques ou bicots. Coupable pour mille soleils d'Hiroshima puisés dans le
ventre du Congo ! Silencieux tel un cambrioleur derrière le rideau de
l'Histoire, laquelle fait bien de regarder sous son lit avant de se coucher
pour être sûre qu'il n'y est pas, l'aède se veut le détective public ayant
mission d'élucider les mystères d'un crime insoluble dès lors que sont effacées
les traces de l'inspiration messianique, de la pensée laïque et du génie poétique.
14
Il n'est pas plus de Sphère ou de mana
que n'a droit de cité le songe-creux du communisme. Le design remplace l'art,
un cynico-scepticisme sans foi ni loi fait office de morale et le marketing
sert d'argumentation dans les affaires publiques. La faculté mentale du calcul – assumée
par l'ordinateur – prime sur celle de comprendre. Quand la plus haute
expertise humaine est résumée dans la création d'algorithmes rapprochant des
bases de données, ne se pose plus la question d'un pourquoi. Toute information
réduite en chiffres, disparaissent les attributs qui furent constitutifs de l'anqrwpos. En l'Human Stock Exchange se négocient les
individus cotés en bourse, du low cost au high value, mesurables en millions de
followers. Chaque atome social obéit aux lois de la concurrence en respectant
un éthos managérial lui faisant investir sa vie pour maximiser son profit,
qu'il soit SDF ou l'ex-président de la Réserve américaine Ben Bernanke, payé
par seconde le revenu annuel d'un Palestinien, pour sa conférence au Qatar sur
l'importance de la Speaking industry dans la promotion des valeurs démocratiques.
15
Cet agent publicitaire, nimbé d'une aura
de prophète, soupçonne-t-il qu'en lui-même tournoient des univers aussi vastes
que ceux qui l'environnent, inaccessibles à l'intoxication de son propre
discours ? Les membres de la Knesset auxquels il s'adresse peuvent-ils se
souvenir des mots de la Sphère qui inspirèrent le bon vieux Jérémie : « Ils
ne disent que des mensonges, de la bouche ils parlent de paix et au fond de
leurs cœurs ils dressent des pièges » ?
À l'encontre de cette vulgate percluse de
lieux communs selon laquelle toute critique du sionisme s'assimilerait à de
l'antisémitisme, l'aède voit un noyau des corruptions planétaires dans les United
States of Israël. Il voit le couronnement du Prince des Ténèbres dans Yahvé
le Yankee. Qui plus que Goldman Sachs impose-t-il aux gouvernements d'imposer
aux peuples ce que signifie le bien commun ? La domination économique et
politique ne va pas sans hégémonie idéologique, cet art de la rendre désirable
par les dominés. Comment la divinité tutélaire judéo-chrétienne manquerait-elle
à son devoir de coiffer un tel stratagème, elle qui recouvre un racisme
ontologique d'une fiction d'universalité depuis les temps bibliques ?
16
Le Théâtre de l'Atlantide use de la pensée
dialectique pour montrer en quoi la tyrannie de Kapitotal (dont les soldats
sont des market makers et les capitaines des robots à haute fréquence),
postulant une société régie selon les normes exclusives du marché, représente
avec la vieille hiérarchie pyramidale du père Hamlet une contradiction logique.
Chaque jour mille scandales ridiculisant l'ancien prestige des élites
illustrent le renversement qui s'est opéré : la loi des bas-fonds s'impose
au sommet, dominé par le crime organisé, quand la stricte intégrité morale qui
légitimait les éminences ne s'exige plus que de la soute ployant sous les
corvées. C'est donc au seul simulacre d'une transcendance évanouie que
sacrifient les grands-prêtres, scribes et docteurs de la loi qui officient dans
le clergé de la tour Panoptic. Ses réseaux numériques dictent une forme
nouvelle de contrôle faisant de l'individu l'agent de sa propre surveillance,
dans une incarcération prétendument libératoire. L'hystérie médiatique de
chacun par le vecteur de la machine dissimule une abolition des anciennes
médiations, dont la finalité fut toujours de relier ciel et terre. Si l'on
autorise les losers à jouer les winners, demeure sans voix le défi politique de
l'ère moderne : faire émerger un pouvoir de droit humain.
17
L'aède mande les temps futurs pour
accueillir sa vision globale surgie des premiers âges, depuis l'an 2014.
N'a-t-il pas assez d'immortalité pour faire entendre son chant d'un millénaire à l'autre de l'histoire humaine ?
S'il est présent dans l'avenir autant que
dans le passé, l'utopie d'un au-delà du capitalisme lui fait revendiquer la
vétusté de ce qui est passé de mode, seule manière d'échapper à l'obsolescence
rapide programmée. Le sens de tout ceci m'échappe, dit le monde moderne :
faisons comme si rien n'avait jamais eu de sens. Mais l'aède archaïque fonde une
anthropologie nouvelle sur l'héritage de son arch : planté dans
le présent sous les traits d'un poète communiste grec ayant traversé les
combats du XXe siècle, il convainc le temps de mystification. S'il nous
chuchote à l'oreille sa vision du monde futur, c'est depuis quelque grotte
préhistorique où la parole est miracle de chaque instant. La voix des femmes en
transe autour du feu sous les astres titubants lui inspire des voyages vers un
ailleurs qu'il rejoint aujourd'hui. Dans le grand marché planétaire, valeur
d'échange nulle et valeur d'usage infinie, l'aède est un irréductible
adversaire. En l'empire où la productivité, la rentabilité, la compétitivité
sont dogmes, il n'est pire hors-la-loi que lui.
18
L'aède est. Ce que ne lui pardonne pas un
monde régi par la négation de l'être, donc de la Sphère. Il est Shéhérazade
autant que le calife abasside Haroun Al Rachid, quand Bagdad fut la capitale du
monde. Qu'un chef de bande stipendié par les alliés de l'Occident s'affirme le
nouveau calife de Bagdad auquel devraient allégeance tous les musulmans de
l'Atlantique au Pacifique : une telle bouffonnerie n'a lieu d'être qu'à
raison de la sous-culture des propriétaires du monde qui en ont conçu le
scénario, comme de leur ignorance de l'islam. Ces enfants de Mickey Mouse et
de Mc Donald's pourraient-ils connaître le philosophe Al Farabî, au temps du
calife Haroun Al Rachid, qui le premier conçut une synthèse de la révélation
coranique et de la pensée socratique ? Celle-ci voyait une correspondance
entre cosmos, âme humaine et société. Tout crie leurs schizes respectives aux
temps d'un schizocosme, d'une schizopole et d'une schizonoïa
de l'acéphalopolis. Dans une immobilité de pierre ou de bois sculpté
parlera donc ici le calife de Bagdad Haroun Al Rachid, mémoire séculaire des United States of Israël.
19
Dans cette schizonoïa tiraillant le monde
en conflits innombrables afin d'occulter la guerre de Kapitotal contre
l'humanité, toute posture n'exprimant pas une déchirure manifeste l'imposture
des agents de la tour Panoptic, en leurs discours apologétiques parant du
masque et des plumes de l'Ange – la Bête. Ce Moloch, au nom de l'Éternel,
n'engloutit chair et sang que par le continuel affrontement de ses mâchoires carnassières.
A relier ciel et terre, c'est un être
écartelé que l'aède entre l'Est et l'Ouest, Nord et Sud, haut et bas de la
pyramide, " gauche " et " droite ",
Athènes et Jérusalem. Toujours il s'en remet à l'instance médiatrice d'une
mythique Phénicie – cet espace reliant l'Occident et l'Orient où naquit Homère.
Pourquoi les progressistes ne voient-ils
pas la légitimité des nostalgies fondant l'attitude conservatrice ?
Pourquoi les réactionnaires n'envisagent-ils pas la pertinence des
utopies révolutionnaires ? Faute qu'ait eu lieu, chez les communes
victimes de Kapitotal, une telle analyse dialectique, tous les mots du
vocabulaire politique ont perdu leurs significations, dont s'est emparée
l'industrie des réclames de la tour Panoptic.
Ce brouillage du sens est pour l'aède au cœur
de la principale mystification contemporaine. Une extrême-droite ayant pour
foyer l'idéologie nationaliste, en la première moitié du XXe siècle,
s'exprimait dans le slogan travail–famille–patrie. L'antisémitisme en était
constitutif, qui répondait à la logique d'un capitalisme structuré par l'Etat-nation,
tandis que l'apport des Juifs était essentiel dans l'intelligentsia critique d'un tel système.
Au temps de la suppression massive des
emplois, de la destruction des familles traditionnelles et de l'expatriation
des capitaux, l'idéologie sioniste est au cœur de la nouvelle extrême-droite,
mais se prévaut de l'ancien schéma pour opérer de préférence en usant des
pavillons de complaisance demeurés aux mains de la bourgeoisie rose. Il s'en
faut d'une présomption d'humanisme impartial – au-dessus des contingences
du profit – pour autoriser l’élyséen macaque de la gauche Rothschild
à trinquer avec le chef des occupants de Palestine en chantant La Vie en
Rose, non sans en appeler aux mânes de Jaurès, dans un rite suprême du culte au Moloch !
Ce renversement symbolique, depuis la mise
en place d'une structure contre-révolutionnaire Mai 68 – Mai 81, ne
peut être mieux observé qu'à partir de son centre stratégique : l'Atlantique.
20
Schizonoïaque est le système régi par Kapitotal et la tour Panoptic.
Cette psychose ne peut mieux être caractérisée que par l'aphorisme de Pascal :
Qui veut faire l'ange fait la bête.
Si son foyer mondial est la théocratie
d'Israël, elle affecte l'ensemble d'une Kommandantur assurant la
gouvernance du nouveau Reich promis à durer mille ans. Prétention qui faisait
du New World Order prôné voici vingt ans par David Rockefeller, devant
l'United Nations Business Council, un symptôme pathologique n'ayant fait
qu'empirer depuis. Mais le complot fomenté, dès le lendemain de la Seconde
guerre mondiale, par la Société du Mont Pèlerin, n'était-il pas déjà
violemment schizonoïaque ? Du point de vue d'Atlas en Atlantide, leur Atlas
Economic Research Foundation, avec ses 500 think tanks visant à formater
le cerveau de millions de « second hand dealers in ideas », ne
préfiguraient-ils pas Kapitotal et la tour Panoptic ?
L'abandon des relations avec la Sphère
produit une lésion du système nerveux central, dont l'intoxication massive
n'est tolérée que grâce à de puissantes doses d'endorphines anesthésiantes. Une
tumeur maligne envahit la zone où logent les plus hautes fonctions cérébrales, qui
ne commandent plus qu'à des membres gagnés par la gangrène et à des organes nécrosés.
Le cerveau reptilien terrasse l'âme astrale.
À la science des astres appartient cette
loi non écrite, relevant d'un sphérisme temporel comparable à celui des espaces
infinis, selon laquelle des œuvres à l'origine invisibles rayonnent d'un éclat
fécondant la création des siècles qui les suivent, quand les éblouissements
d'une époque pour la plupart s'éteignent sans laisser trace de leurs feux éphémères.
Le 31 juillet 2014
Acéphalopolis est également disponible au format PDF (télécharger 70 pages = 2,2 Mo).
Acrobat Reader est nécessaire pour consulter un document PDF, si besoin, ce logiciel est disponible ici 
|