Le Tabou du Mana
Quintessence du sens en l'avenir qui est
Sitting on the top of the world
Avez-vous jamais entendu les spasmes d’un poëte enterré depuis cent vingt-neuf ans ?
Puisse le breuvage que je ferai boire à ces drôles en mon crâne leur procurer une
ivresse mémorable ! Un frisson d’épouvante parcourt trois hommes un quart
de seconde, ce qu’il faut à 50 milliards $ pour circuler grâce aux robots à
haute fréquence, le temps d’un clin d’œil produit par mon orbite vide, où leur
destin se lira comme en une boule de cristal. Elle tourne pour convoquer les
esprits, la table du Salon Ovale, dans ce pays de villes aux édifices hauts
comme des montagnes fardées de millions de couleurs criardes. La sève de l’âme
universelle s’écoulera dans leurs gosiers pour y faire circuler des mânes
prohibés. Sur la montagne de l’autre rive, et dans tout le monde berbère, on
appelle amen l’eau. Ce mot vient d’une racine primitive ayant nommé mana
les forces élémentaires de l’univers. L’imen désigne la foi comme al
mäna signifie le sens en arabe. Toute l’humanité dérive de cette
semence, ou semen, associant man et manus en un jeu de
langues par quoi la mania dit l’inspiration divine chez les Grecs, alors
que les Russes disent manit pour faire signe. Quant à l’esprit des
peuples exterminés sur ce continent bibliquement offert comme Terre promise,
pour être remplacé par de flamboyantes réclames, n’était-il pas dit Manitou ?
Le mana de l’univers capturé par des machines est devenu système nerveux
du marché pour des clients toujours en manque nécessaire de ce qui leur fut
retiré. Une fois monopolisée cette puissance par un Yahvé-Moloch réputé son
Créateur, la première centrale nucléaire de l’Histoire alimenta les
consommateurs selon des normes prescrites par ses managers. Toute l’efficacité
du système tient au fait que les gens ignorent la réalité de ce qui leur fut
dérobé : ce marché ne fonctionne qu’à condition d’un tabou du mana.
Kapitotal gobe la substance du monde et la tour Panoptic englobe les visions de
ce festin, non sans occulter son essence et son sens aux populations digérées
corps et âmes par le Moloch. Yeah, man ? Le premier de ces vocables
marquant l’affirmation depuis des millénaires chez les Berbères, qui
s’étendaient jusqu’au Yémen, on peut tenir pour adamique ce nom de lieu qui
abritait l’Eden biblique, même si l’ignore un président de l’Amérique choisi
pour sa couleur de peau par Goldman Sachs, quand celui-ci porte mon crâne à ses
lèvres.
De
fidélité à l’idéal démocratique, est-il plus haut symbole que mon crâne ?
Parlons-en… Combien de milliards de cerveaux plongés sous narcose électronique
et chimique par un binge watching fantasmatique ? Dans Les
Misérables, j’entrevoyais un monde où Socrate était remplacé par Falstaff.
Avec l’usurpateur Claudius d’Hamlet et Richard III, Falstaff est
le complément de Shylock dans une typologie de la scélératesse vue par
Shakespeare. En niant la Sphère, le globe a perdu la boule. Si longtemps les
Juifs irriguèrent l’Europe d’un mana venu d’Orient, leur conquête
coloniale de la Palestine asphyxia le messianisme nourri de nostalgie pour
l’Eden et d’utopie pour un royaume futur de justice et de vérité. Raz de
marées, séismes, inondations, crues de fleuves, sécheresses, ouragans, non
moins que catastrophes nucléaires, ont jeté dans l’exode un peuple qui se
chiffre en centaines de millions de têtes, voire en milliards si je compte les
flux migratoires de la misère. À quoi s’ajoutent guerres civiles, épidémies,
pillages, conflits ethniques en tout genre : le projet d’un gigantesque
four crématoire planétaire pour l’extermination de corps surnuméraires n’est
plus une utopie, mais un objectif raisonnable à court terme, qui dépassera
bientôt les prévisions les plus optimistes calculées par la nouvelle gamme de
robots logarithmés, si les armées d’encadrement font preuve des compétences
techniques appropriées. Sans oublier les dizaines de millions de proies annuelles
des maux dus à la concentration dans l’atmosphère et la nourriture de produits
conçus à cet effet. Tel est le sort des damnés pour une race élue prêchant
droits de l’homme et démocratie. Les tumeurs mafieuses de la finance
n’ont-elles pas fait proliférer dans chaque Etat leurs métastases ? La
vindicte chirurgicale des bistouris s’attaquera donc aux souverainetés
nationales ! Ainsi la pieuvre économique échappera-t-elle aux normes
politiques édictées par ses propres experts, aux temps révolus du clairon
patriotique. Encore faut-il qu’un machiavélisme officiel ne donne lieu à aucune
lecture machiavélienne dans l’espace public. Celle-ci ne concernera que ce
diable de Poutine, si Moscou s’avise d’attenter à Yalta ! Les frontières
de la Crimée ne sont-elles pas intangibles, comme nous l’apprit Napoléon le
Petit devant Sébastopol ? Ce fut la raison de cette convocation par
Goldman Sachs à la Maison Blanche. En mon crâne, il s’agissait de trinquer au
futur triomphe des rebelles sur les ruines de la Place Rouge…
L’étincelle
divine venue du fond des âges allume en mon crâne un alcool qui réservera des
surprises à ces tristes sires, nourris d’une sous-culture où mes traces ne
surnagent que sous forme de clichés médiatiques. Peuvent-ils connaître mes Orientales,
rédigées sous l’inspiration de Shéhérazade et publiées l’année où se conclut
une guerre confirmant l’appartenance de la Crimée à la Russie ? Une fois
la pyramide idéelle avalée par Moloch, pourquoi son industrie culturelle
obéirait-elle à d’autres impératifs que ceux du fourrage pour bétail, la plus
grande part des cerveaux nourrie de surplus alimentaires avariés ? La race
propriétaire du monde a vu s’éteindre ses feux intellectuels et spirituels, qui
seule dispose des moyens de se faire entendre. Quels effets pour l’anqrwpos comme
être générique ? Il faudrait à l’humanité se concevoir ainsi qu’un
organisme dont la tête serait chapeautée par une tumeur ayant plusieurs fois sa
taille et son poids, dont les purulences auraient fonction de régner sur des
organes vitaux soumis à la gangrène et des membres lépreux. Chaque instant ce
cancer commanderait au corps d’obéir à ses spéculations, les marchés des
produits dérivés de matières premières – ou commodities – étant les plus
porteurs. Goldman Sachs tourne mon crâne vers la montagne de l’Atlas, de
l’autre côté de l’Atlantique. Les pénuries d’eau et de terres agricoles
exploitables y sont bénéfiques : elles ont pour conséquence une hausse du
prix des denrées alimentaires ! Impossible pour les humains de comprendre,
en cette Guerre de 250 Ans, que le travail des femmes berbères ne signifie pas
hier mais demain. Car propagandes excrémentielles, réclames prostitutionnelles
et publicités pestilentielles ne commandent que vigilance contre l’ours russe.
Mes hôtes n’ont certes pas oublié la notion de Brinkmanship, conçue par
le patron de la C.I.A. au temps de la guerre froide, pour désigner une
stratégie de la tension devant conduire à l’irréparable. C’est bien l’escalade
frénétique de la course aux armements sous le nom de Guerre des Etoiles,
subventionnée par un accroissement pécuniaire démentiel, qui précipita la fin
d’un système coupable de ne pas vouer corps et âmes les hommes au Moloch. Rien
n’y menaçait faillite, si l’on voulait admettre la légitimité d’une alternative
à la barbarie du capitalisme, c’est-à-dire la perspective d’une vie décente
pour la majorité des populations de la planète. Qui demeure inscrite au
patrimoine spirituel de la Sphère !
J’écoute mon esprit qui souffle avec le vent dans les branches du temps. Mes souvenirs y
sont les fleurs de la folie. L’oiseau des cimes a le chant de mon sang. Son
délire s’enivre à l’alcool des fruits de l’Histoire. Strange fruits,
Messieurs les Présidents ! C’est la voix de Billie Holiday qu’il
conviendrait de prêter à Shéhérazade. Mais cela ne vous concerne déjà plus,
têtes de morts moins vivantes qu’un crâne ! S’il plaisait à la conteuse
orientale qui m’accueille en son Atlantide, cette séance de spiritisme vous
ferait danser sur la table tournante et la tour Panoptic ferait voir la face
blême du commis pour la France entonner une Carmagnole,
qu’accompagnerait le masque nègre du commis pour l’Amérique levant le poing
pour clamerWe shall overcome, sous les bravos du capo dei capi
de Kapitotal… Selon ses plans, répercutés par le Fonds monétaire international
et la Banque mondiale, trop d’enfants et d’adolescents ne gonflent-ils pas les
budgets de l’enseignement dans les zones du Maghreb au Machrek ? France et
Amérique, surmontant la rivalité coloniale, collaborent donc à la déscolarisation
massive de régions où mille dollars sont un attrait suffisant pour s’en aller
faire le jihad en Syrie, au Mali ou en Centrafrique avant le Congo. Manikongo :
tel y était le nom du mana. L’esprit de Billie Holiday ne peut l’avoir oublié,
pas plus que celui de Mamiwata. Mon crâne s’adresse ici au scribe de ces
pages, lesté du pire héritage qui fût : naître fils de colons en Afrique.
Hasard lui ayant appris combien dans caves greniers et placards de la
conscience occidentale gisent de cadavres dont il ne fait pas bon parler si
l’on se veut faire publier. Cette infinie réflexion qui engage l’avenir non
moins que le passé dans l’instant présent, qui réfléchit et se réfléchit en
réfléchissant le réel dans une dialectique sans fin : c’est la littérature,
davantage prohibée que le trafic de drogues, d’armes et de chair fraîche en
l’ère du Moloch. Il fallut que fussent brisés tous les tabous moraux par une
idéologie nouvelle, qui achevât l’individualisme propre au monde moderne, dans
un individuïsme de la monade sociale atomisée. Mais il fallut aussi que
la perte de l’essence humaine, traduite en existentialisme, s’accomplît en
spasmes de cet individu dans une suite ininterrompue de situations qu’on
nommerait situationnisme. Ce sont ici constats de l’esprit, n’ayant que
faire dans celui des propriétaires du monde. Il s’agit de leur verser une
liqueur assez amère pour leur faire perdre le goût de ce calice…
Quelles idées mon crâne va-t-il inoculer à ces lèvres impies ? Jusqu’à l’ère
convulsive, les Juifs offrirent à l’humanité des penseurs et des artistes, qui
la vengèrent des suppôts du Moloch. Depuis que celui-ci est au pouvoir, ses
lévites et autres soudards médiatiques le vengent des artistes et penseurs
juifs. Je songe à Marx, dont La Question juive parut à Paris dans les Annales
franco-allemandes, comme j’étais terrassé par la mort brutale de ma fille
Léopoldine. Et à Freud, qui méditait déjà Moïse et le monothéisme lors
de mes funérailles nationales, à l’occasion desquelles ma descente au Panthéon
rendit ce temple à ses fonctions laïques. Encore est-il permis d’en douter, si
j’en juge par l’aspect religieux des querelles autour de mon cadavre.
Faites-nous rire : telle est l’unique injonction des morts aux vivants, le
savent-ils ? S’il faut en croire la pyramide idéelle telle qu’elle aime se
présenter, ses pontifes sont les cerveaux de la planète. En vérité, le
renversement de la fatalité, dont l’origine autrefois divine est devenue
maligne, signale une rupture d’ordre non seulement anthropologique mais
zoologique. Avec le triomphe du Ça sur le Surmoi, la dimension biologique s’est
emparée du symbolique. Le Moloch impose à l’humanité, cet axe vertical entre le
double abîme dont parle toute mon œuvre – gouffre d’ombre sous nos pieds,
gouffre de lumière sur nos têtes – une victoire de l’animalité contre la
divinité. Toute référence à d’antiques idéalités morales par les grands-prêtres
du Moloch relève d’un simulacre de la parole. Cet ersatz de langage insulte la
définition de l’homme comme singe faisant signe. Ainsi des simagrées
occidentales pour exciter un despotisme oriental dont a besoin l’impérialisme
colonial. Ce jeu de masques ne peut cacher la stratégie d’une Drang nach
Osten faisant du Far East l’objectif des multinationales, rêvant de
la Sibérie comme d’un Eldorado new look, et du lac Baïkal comme destination de
villégiature pour tourisme cinq étoiles de Goliath. À l’idéologie se substitue
donc la pseudologie, voire une pithécophrasie dont mon crâne est le témoin. De
fait, le babil des présidents porte sur les exploits d’un de leurs congénères
dans l’arbre de l’évolution. Jamie Dimon, le PDG de la banque JP Morgan Chase,
vient-il d’être sanctionné par la Justice pour ses crimes ? Sa firme,
s’extasient les deux présidents, pèse deux fois le PIB de la Russie. Serait-il
décent d’entraver de tels individuïsmes, promis à réussir là où Napoléon et Hitler ont échoué ?
Grâce à l’appui de la Maison Blanche on ordonna au Procureur général des Etats-Unis,
le plus haut fonctionnaire judiciaire du pays, la fin des tracasseries
bureaucratiques en échange d’une obole fiscalement déductible, et le salaire du
primate en fut doublé pour passer de 10 à 20 $ millions. L’espèce anqrwpos ne
sent-elle pas son essence menacée ? Dans l’univers capitotalistique et
sous la céleste voûte panoptique, plus de lien possible avec la Sphère. En
guise d’ultime horizon : l’écran d’un wargame planétaire situationniste.
Voilà le destin du monde auquel président ces rastaquouères. Et voilà pourquoi
le chant de l’aède se veut extérieur au cercle des fausses lumières et des
sales affaires. Toute l’industrie du livre n’est-elle pas organisée pour
empêcher la divulgation d’une telle scène, et la publication des mots prononcés
par un crâne plus vivant que ces têtes de morts ? Mais quelle trouvaille
de génie, pour les logiciels du Moloch, que d’avoir placé ce fils de Cham à la
tête des armées de Sem et de Japhet ! Aurait-on pu concevoir qu’un Nègre,
cinquante ans plus tôt, lançât à la place de Lyndon Johnson sa « guerre
contre la pauvreté », qui deviendrait une guerre contre les pauvres à
partir du coup du monde monétaire de Richard Nixon en 1971 ? Ces deux
faces de laquais, l’une blanche et l’autre noire, exhalent une souriante
bonhomie requise pour l’hypnose des électeurs. À les considérer de près, leurs
yeux sont des rasoirs tranchant la gorge des peuples saignés à vif. En
l’alambic de mon crâne, il faudra corser le vin qu’ils vont boire ! Au
feuilleton du vaste monde, je connais autant le résumé des épisodes à venir que
celui des chapitres précédents. Toute une vie d’aède, j’ai voulu dilater mes
facultés de sentir les secrets du passé comme les énigmes du futur. J’ai jeté
des lueurs sur les origines aussi bien que sur l’avenir. La nuit du 31mai 1885,
une foule gigantesque autour de mon cercueil frémissait dans la communion d’une
espérance que raviverait au siècle suivant le peuple soviétique dans sa
victoire sur le Reich à Stalingrad. La contre-révolution de 1989, et toutes
celles diversement colorées qui l’ont suivie, ne préfigurent pas l’issue d’une Guerre
de 250 Ans. Dans ce palais de Washington régnant sur des milliards d’êtres que
le Veau d’Or immole à sa soif, comme en la capitale de tous les Césars, ça sent
le sang la crapule et le crime… Puisse mon crâne, en sa respiration posthume,
produire sur eux le souffle de l’océan ! Qu’une barque aux voiles rouges y
vogue d’Europe en Amérique, portant sur sa proue :
Colonialisme
Racisme
Impérialisme
Sionisme
Individuïsme
Situationnisme
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