Le Tabou du Mana
Quintessence du sens en l'avenir qui est
C’est bien sûr un flash d’information lapidaire à destination de la Sphère.
Shéhérazade n’a nulle intention d’en faire un roman.
Tout ou plus capte-t-elle un résumé de scène aperçue, qui servira
pour son théâtre de l’Atlantide. Un camp se réclamant du futur clamait des
slogans favorables à toutes les licences morales, puisqu’il s’était émancipé des
obscurantismes religieux ; l’autre, enraciné dans les traditions
archaïques, agonissait d’injures ces avatars d’une modernité perverse au nom
des grands principes ayant de tout temps structuré la pyramide. Ces branches
d’un même peuple n’avaient plus de tronc commun. Les unes prétendaient seules
souffrir d’un mal aux racines quand les autres exigeaient le monopole des cris
pour le partage des fruits. Tous étaient dans le même cul-de-sac. Pris au piège
d’une propagande qui leur avait fait tourner le dos à la seule voie historique
viable, contre quoi pouvaient-ils diriger une rage impuissante que contre
eux-mêmes ? La foule n’avait donc de cesse de se déchirer, travailleurs
contre chômeurs, indigènes contre immigrés, bondieusards contre laïcards. Il
n’était pas jusqu’au langage qui ne souffrît cruellement d’une telle guerre
civile. Des mots privés de sens comme « gestation pour autrui »,
« mariage homosexuel », « procréation médicalement assistée »
formèrent un sabir nouveau, promptement répandu par l’idiome des initiales, novlangue
jugée d’autant plus légitime par tous que ses premiers locuteurs s’arrogeaient
en exclusivité l’héritage des anciens combats émancipateurs ; qui n’était
pas contesté par leurs adversaires, drapés sous la bannière en loques d’un
conservatisme héroïque, dont ils préféraient que nul ne signale à quel point
ils l’avaient usurpé. De sorte que les deux mascarades faisaient à tout prendre
bon ménage, dans cette querelle qui les accréditait l’une par l’autre, aucun
des deux camps ne sachant plus au juste lequel avait lancé la campagne
hystérique à l’origine d’une marche commune vers le Panthéon. La veille encore
impensable, ce spasme collectif agité de secousses internes ainsi qu’un grand
corps épileptique, avançait par saccades en direction du tombeau des grands
hommes. Si ce branle-bas semblait avoir été lancé par Le Figaro, Libération
ne demeura pas en reste, et comment Le Monde se fût-il abstenu de
s’engager dans un tel « mouvement citoyen » ? Tous avaient monté
en épingle une impardonnable forfaiture de Victor Hugo. Nul n’était supposé
demeurer étranger à ce « débat de société ». Car il en allait de l’un
des plus hauts symboles nationaux. Ne fallait-il en déloger celui pour qui fut
transformé ce temple catholique en lieu de culte chamanique ?
Cham résonne
en Shéhérazade. Fils de Noé maudit par Yahvé, pour une faute incompréhensible,
n’est-il pas l’ancêtre des nations d’Egypte et de Mésopotamie comme de celles
peuplant Cham, nom de la Phénicie dans les langues sémitiques ? N’a-t-il
pour descendance l’Afrique ainsi que les barbaries orientales parmi lesquelles
ces Scythes ayant donné les Slaves ? C’est si bon de voyager d’âge en âge,
par les chemins de la lumière ! Pas besoin d’être une conteuse orientale
pour aimer ça, même si l’éclairage en est cruel pour une capitale sous
occupation de l’an 2014. Les calmes eaux de Paris font des vagues de tempête. Il
est certain qu’alors le Reich atlantique fut promis à durer mille ans. Le texte
de la Genèse n’autorise aucun doute : à Sem, fils béni, revient l’honneur
d’accueillir Yahvé dans ses tentes ; à Japhet, patriarche des nations du
Nord, est accordé le droit de conquérir le monde ; à Cham est dévolu pour
seul héritage une fonction d’esclave. Shéhérazade appelle à elle toutes les
forces de la raison, dont le secours n’est pas négligeable dans un tel périple
à travers les siècles. Yahvé n’impose-t-il pas son idéologie dans la mesure
même où triomphe Moloch, auquel un culte était rendu sous les rois de Juda ?
Dominer sans scrupule des races inférieures : pareil scénario n’a-t-il pas
guidé tous les peuples élus, qu’ils fussent issus de Sem ou de Japhet ? Les
colonisations ne furent-elles pas toujours menées par un Herrnvolk ?
Cette vision du monde n’est-elle pas la matrice de l’ère cybernétique ? La
scène de l’histoire se déroule à une allure folle. Tumeur cancéreuse pour la
tête, lèpre et gangrène pour le corps et les membres. Elle voit la foule
parisienne à travers un brouillard, comme provoqué par la fumée des explosions
qui démembrent l’humanité n’importe où dans le triangle démoniaque entre la
Syrie l’Egypte et l’Irak. Idole universelle justifiant les crimes de ses adeptes
par élection divine : coup de force des Césars ! Ainsi l’impérialisme
a-t-il pour archétype la quête sanguinaire de Canaan par les tribus de Josué
menant massacres et pillages en Terre promise grâce à la bénédiction de Yahvé,
lequel est l’autre face du Moloch. Nul autre n’inspire Goldman Sachs clamant
que son travail est celui de Dieu. Nul autre n’est à l’origine de la campagne
contre un aède jugé coupable d’avoir écrit des mots impardonnables relatifs au Marchand de Venise…
L’inversion du sens des
signes est le langage du Moloch. Quand les seules finalités d’une société
résident en l’accumulation pécuniaire, quel autre sort que celui d’instrument
pour l’engeance prolétaire ? Dans un monde renversé qui a les moyens pour
fins, celles-ci doivent se déguiser pour obtenir le consentement de la force de
travail, source du capital. Il en résulte un usage de la Parole au service de
la Valeur. Muss es sein ? Es muss sein ! Also sprache der Moloch…
Telle est la vision
globale qu’inspire à Shéhérazade une scène où le peuple obéit à des injonctions
stéréophoniques. « Foule esclave, debout ! debout ! Le monde
va changer de bases, nous ne sommes rien soyons tout ! » Ces mots
de l’Internationale sont crachés par les haut-parleurs qui firent élire
le dernier président de la République. En même temps crépite un autre
discours : « Acceptez cette nécessité ! Toute résistance est
inutile et conduirait l’Occupant à des représailles pires encore que la
foudre ! ». Quel rapport avec cette manifestation conduisant une
populace en colère vers le tombeau de Victor Hugo ?...
Shéhérazade fixe le
dôme du Panthéon. Les gens, les lieux, les choses qu’on n’a pas vus depuis
quelques siècles sont surprenants, vous font voir différemment. La conteuse
orientale porte un regard d’étrangère sur cet édifice entre ciel et terre, qui
fut le point culminant de Paris. En un clin d’œil – un quart de seconde –
elle franchit un quart de millénaire. Il y a deux cent cinquante ans. Le 6
septembre 1764. La première pierre. Une même foule agglutinée. Sans
haut-parleurs. Pas d’Internationale ni de discours pétainiste. Mascarade
à l’ancienne. Un modèle de façade en trompe-l’œil sur une immense toile peinte
est dressé pour cette cérémonie. La future basilique est dédiée à Sainte
Geneviève, patronne de la ville depuis le temps de Clovis. Comment le peuple
d’aujourd’hui ne conserverait-il pas ce passé dans son obscure mémoire ? À
côté de son carrosse, Louis XV est suivi par le dauphin, âgé de dix ans, qui
accédera au trône dans dix ans. Autre clin d’œil. Un quart de siècle plus tard,
Louis XVI, lors de la prise de la Bastille, peut-il imaginer le regard de
Shéhérazade en 2014 ? Sa tête fut coupée par cette foule qui défile,
ignorant l’unité de ce qui la constitue dans le rêve temporel et irréversible
de l’histoire, comme dans une mémoire immuable et intemporelle. Faute que le
prolétariat ne prît conscience de lui-même, ses rêves et sa mémoire appartiendraient au Moloch…
Populations occidentales,
écoutez une conteuse orientale :
« Je fais le travail de Dieu. »
Lloyd Blankfein, P.D.G. de Goldman Sachs
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