Acéphalopolis
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Panlogue du calife de Bagdad Haroun Al Rachid
Au nombre des pratiques sanctionnées de mort par Maïmonide figure l’invocation des
âmes de l’au-delà. Ce pourquoi Spinoza, premier vrai penseur juif, s’oppose au
judaïsme rabbinique et prône un panthéisme inspiré du message prophétique, pour
lequel il n’est d’autre exigence que la justice : excommunié demeure
Spinoza par la Kommandantur théologique de Jérusalem. Cette réflexion sur
l’homme comme être générique ne pouvant être scindé en races antagoniques était
une subversion de l’ordre capitaliste naissant, dont l’accumulation primitive
requérait le génocide amérindien comme la traite négrière. Or la guerre n’est
pas vocation première du marché, si elle est consubstantielle à son extension
planétaire. Il faut revenir à la matrice des premiers Etats – le fleuve – pour
éclairer leur ultérieure destruction. Le cinéaste juif soviétique Sergueï
Eisenstein tient la caméra de la Sphère et filme la première pyramide en Egypte
exprimant l’idée d’universelle divinité. Moïse capte cette idée qui véhicule
une bombe hors la structure de l’Etat-fleuve. Comment les rois d’Israël et de
Juda peuvent-ils, ainsi que le Pharaon, faire coïncider le pouvoir temporel
suprême et l’éternité sans la symbolique du fleuve ? La légitimité divine
viendra du ciel. Mais une figure surgit qui oppose au pouvoir temporel, au nom
même de l’Eternel, une injonction de justice et de vérité : le prophète
juif rejoint l’aède et le philosophe helléniques pour clamer au politique
l’injonction d’une transcendance éthique. Messiah en hébreu, Christos
en grec : l’« onction » divine se sépare du charisme princier.
Ce messianisme féconde le génie de l’histoire occidentale jusqu’à Karl Marx,
Walter Benjamin et Ernst Bloch, lequel rappelle dans L’Esprit de l’Utopie
que « le Messie peut seulement venir lorsque tous les hôtes seront
assis à table ». Et ces hôtes ne relèvent pas que de la complicité du
képi et de la kippa ! C’est un tel messianisme que combattirent aussi bien
une démence hitlérienne prétendant s’y substituer, qu’une démence
américano-sioniste prétendant l’incarner, ces démences conjuguées de Sem et de
Japhet étant mises en lumière, aux yeux de l’humanité en 2114, par la politique
génocidaire ayant couronné cette Guerre de Sécession d’un quart de millénaire…
Une lune rouge farde le haut de la montagne et laisse traîner sa coulée de sang jusqu’au
temple de Jérusalem, dont le mur des Lamentations se dresse face à l’océan. Quel
château des légendes gothiques pourrait-il mieux convenir pour ce décor de rêve
en surplomb de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, que l’une
des dernières marées noires a fait dériver depuis le golfe du Mexique ?
Une soldatesque aux aguets patrouille le long du chemin de ronde, où des
mitrailleuses braquent l’ombre à chaque poterne. Partout rôde un danger pour la
race élue. Ses guerriers mythiques, depuis des millénaires, ont combattu Bagdad
Le Caire et Damas au nom d’un Eternel qui leur a promis toutes les terres entre
les deux grands fleuves. Dans cet océan de menaces flotte une escouade ennemie.
Le tonnerre éclaire et frappe avec un fracas de métal. On découvrira sous les
projecteurs une masse de déchets venue de l’autre rive de l’Atlantique. Un Empire
State Building de débris électroniques chaque jour destiné au dépôt
d’ordures qu’est l’Afrique. Dans ce bain de lune je ne peux dormir. Les idées
noires me torturent. Toutes les hallucinations du théâtre n’égalent pas celle
que représente un tel rôle à jouer. Songes d’une nuit d’Atlante ! La
dramaturge avait promis de lancer son incantation depuis le Temple. Il m’a
fallu la voir survoler l’Atlas dans un engin ne respectant plus les conventions
de ce spectacle, et l’entendre me trahir avec son Bernard-Henri Lévy, pour
éprouver l’envie d’en finir avec ce cirque. On peut accepter d’endosser l’habit
d’un personnage, on n’en reste pas moins homme. Quelle lueur d’espoir éclaire
une pantomime où la Wehrmacht fusille par écrans Panoptic et la furtive Luftwaffe
bombarde les consciences en faisant retentir ses « Kapitotal, nous
voilà », quand les Boches imposent à Kiev une Occupation qui n’a plus
le visage de l’ancienne ? Je veux bien que l’épouse d’Obama promotionne le
parfum Shéhérazade à base de jasmin pour les divas de la jet-set, mais
comment tolérer que ma conteuse orientale se laisse conter des fables dans le
jet de BHL ? Au loin se perçoivent les feux du village de Tamaroute. Une
superficie comparable à celle de Gibraltar. La valeur du mètre carré correspond
ici à celle de cent vaches ou de deux puits là-haut. Ce que réprouve la tour
Panoptic, au nom des intérêts de Kapitotal, dans toute l’Afrique. J’ai beau
frotter ma lampe d’Aladin, elle a perdu ses vertus magiques. Sous mon corps à
nouveau l’abîme, comment sortir du mauvais rêve ?
Les rêves, ça la connaît, Shéhérazade. Mon songe transatlantique usera de centaines
de pages pour offrir une pensée de quelques secondes aux siècles à venir, comme
le fit Leonardo da Vinci quand il fixa la Joconde, au milieu de l’océan du
temps qui nous sépare d’il y a mille ans. C’est de son sourire que se vêt mon
visage à la Maison Blanche, n’ignorant pas qu’à la question du peintre à cet
instant sur l’orientation de ses rêves elle a répondu par une moue désignant
Icare au mur de l’atelier, soit la préfiguration du jet m’ayant fait survoler
Atlantide. Pourraient-ils jamais l’imaginer, ces propriétaires du monde
entourant Obama dans le bureau Ovale, même si je prête mon image aux réclames
aériennes du Qatar ? La planète m’a vue couchée sur un nuage :
désormais l’on vend du sens, des valeurs et de l’histoire plus qu’un vulgaire
produit. Une marchandise aux racines culturelles profondes, que Les Mille et
Une Nuits ! Je peux m’en prévaloir pour parler librement. « Nous
devons être les premiers et ce vœu se réalisera. » Tous opinent autour
de la table. Exulte la première fortune d’Israël, dont l’empire s’étend de
l’Azerbaïdjan au Zimbabwe, propriétaire de mines sur toute la côte africaine.
Il a maintes parties liées avec mon chevalier servant, dont l’avoir provient du
pillage des forêts du Maroc, puis de l’esclavage et du trafic de bois d’ébène
dans d’autres pays d’Afrique occidentale. Ce fut raison de sa colère lors du
survol de Tamaroute, ses antennes l’ayant averti du danger de vaches à naître
sous peu. « Je n’ai pas éliminé ce fou criminel de Qadafi, ni largué
dix mille bombes d’une valeur de dix millions de vaches, pour voir la peste
bovine polluer le Maghreb ! Si tous les villages font de même, quel sera
l’avenir de Danone ? » Il fut aussitôt question de prévenir
Jérusalem, afin de mettre sur pied de guerre les sections locales de Boko Haram
et d’AQMI. Non, ce n’était pas en vain que l’on avait reconstitué l’Afrikakorps
du Mali jusqu’en Centrafrique ! Le président de l’Amérique devait son
élection à son sens des hiérarchies : il écoutait avec respect, fixant
l’air parfumé de son épouse. Car l’orateur n’était pas seulement le plus
influent agent de Goldman Sachs : il avait aussi un rôle de business
angel de la littérature. À ce titre, sa présence était requise à Paris ce 25 mai
pour expliquer le slogan d’Hitler : « Nous devons être les premiers et ce vœu se réalisera »…
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