Hors-les-mœurs
Notre ère avait vingt siècles.
Atlas ne laissera personne dire que c'est le plus bel âge d'une civilisation.
Si vile Ys à Sion ? Pour le titan reliant ciel et terre aux îles d'Hespéride,
cette cité bretonne des plus vieilles légendes fait partie de l'Atlantide, engloutie dans l'océan des mythes
à l'instar de la Jérusalem céleste rêvée par les prophètes bibliques.
Mais quelle déchirure advient-elle en
l'âme de l'humanité quand, au sortir de la Seconde guerre mondiale, une
entreprise de conquête coloniale en Palestine, au nom de l'utopie messianique
et sous le nom de sionisme, s'empare des nostalgies de paradis communes à tous
les hommes dans le temps même où, près de la ville suisse de Sion, se fonde une
Société du Mont Pèlerin, secte occulte ayant pour finalité la domination
planétaire des puissances financières ?
Cette synarchie dont la liste des membres
est secrète – hormis le nom de son fondateur : l'idéologue Friedrich
Von Hayek – n'eut-elle pas l'outrecuidance de créer l'Atlas Economic
Research Foundation, réseau de 500 think tanks visant depuis plus de
trente ans à soumettre aux intérêts de ces élus l'opinion des damnés de la Terre ?
À moi, puissances invisibles ! Car
nous étions le 31 juillet 2014 : Jaurès glorifié cent ans plus tard par
ses assassins, responsables de la guerre mondiale hier comme aujourd'hui, mais
avec plus encore de ruses dans le jeu de masques roses pour voter leurs crédits
militaires contre des ennemis barbares par principe situés à l'Est. La plus
efficace des destructions créatrices n'est-elle pas toujours la guerre ?
Atlas a un point de vue que les moins de
cinq milliards d'ans ne peuvent pas connaître. La séparation du ciel et de la
Terre, il y était. Médiateur entre forces cosmiques et telluriques, il vécut
les débuts de la biosphère et les formes initiales de la vie sur une planète
erratique, voici cinq cents millions de cycles autour de son étoile. Cinquante
millions : c'est après maints séismes le nombre d'années que connaissent
les mammifères, au nombre desquels un anthropopithèque émet une parole dont le
sens demeure à déchiffrer depuis cinq millions de printemps.
Cinq cent mille ans : le feu, la danse et le chant des ancêtres.
Cinquante mille : aux colonnes d'Hercule, Atlas
observe les premiers signes gravés sur les parois des grottes. Il s'en faut d'une
traversée de lumière pour que voici cinq mille ans se trace l'écriture en
Phénicie. Cinq cents ans nous séparent de l'imprimerie ; cinquante, de son
rapt ainsi que de tout signe et de toute parole par une engeance devenue
propriétaire du million de milliards de mètres cube dont se mesure le globe soutenu par Atlas.
Pour avoir fait des océans les réceptacles
de ses ordures, ne fallait-il pas qu'un tel monde eût de l'immondice à ses
sommets ? Cette question se posait à l'atlante ayant sur ses épaules une
planète qui flottait en épave dans la nuit du cosmos, avec ses missiles
bombardant les sources des montagnes et ses canons braqués sur chaque fontaine
des villes, tandis que seuls veillaient les miradors en surplomb d'un enclos
totalitaire où le Moloch dévorait ses victimes (sous contrôle électronique et
chimique) en festin de victoire.
Une économie cannibale ne peut trop arborer
ses mâchoires carnassières. Les mangeurs d'hommes ont leurs majordomes pour
conférer apparence respectable à leurs banquets sanguinaires. On n'y prise
guère les sans-dents, même si les seigneurs de la guerre sociale
évitent en public d'ainsi nommer l'humanoïde bétail fournissant leur pâture
ordinaire. Le nouvel ordre social requérait donc une pénombre favorable aux
leurres, trompe-l'œil, duperies nécessaires pour dissimuler les desseins des
propriétaires. Cette mascarade incombait aux élus de la
social-démocratie : Mitterrand fut parfait maître d'hôtel ; Hollande,
à l'imiter, n'est que garçon de café...
Dans ce pseudocosme où l'excellence
a pour critère l'habileté de mentir, voici donc un nouveau butler engagé pour
battre l'estrade en jouant du menton sur la scène aux illusions du grand show à
la rose. Manuel Valls a posé son masque dans le trou de la toile peinte
représentant un leader haranguant le peuple de gauche. « L'antisionisme
est un antisémitisme », balance-t-il en visant une partie de ses
dupes ; « Ces gens-là n'ont pas vocation à s'intégrer »,
lance-t-il vers un autre coin. D'une formule appuyée se résume son
message : « Goldman Sachs is good for you ».
Du point de vue d'Atlas, qui a mémoire du
passage des communautés traditionnelles aux sociétés modernes dans la
civilisation des mortels, toute question politique se subordonne à
l'anthropologie, conçue comme l'ensemble des pratiques et théories relatives à
l'être doué de parole. Une quête anthropologique de génie permit à Karl Marx
d'analyser le capital comme un rapport social d'exploitation de la marchandise
humaine obéissant à la loi de la valeur, n'ayant d'autre finalité que
l'accumulation de plus-value. La main d'œuvre y doit être séparée du Logos. De
quelque fard humanitaire que se pare ce système, il soumet la Parole à la Valeur.
Pour éradiquer misère et chômage, rien de tel que d'éliminer les pauvres en abaissant la valeur de la force de travail.
Cette chambre d'échos a épuisé le sens de tous les mots trahis, ne réverbère
plus qu'une bruyante insignifiance. L'acteur au menton qui vocifère, désigné
par la Société du Mont Pèlerin pour emporter les suffrages contre Marine
Le Pen en 2017, connaît son jeu face aux millions de figurants anonymes
s'épuisant à tenter de ne pas tout perdre en conservant un petit bout de rôle
muet : la parole n'est plus l'apanage de l'espèce humaine, mais de ses maquignons.
Un gouvernement qui se réclame de Jaurès
peut asséner sans détours qu'il n'est d'alternative à la tyrannie des marchés
financiers ; mais une malignité proprement simiesque lui fait perpétuer le
simulacre du combat d'antan, qui était dirigé – Atlas s'en souvient – contre
exploitation économique, domination politique et aliénation idéologique
dénoncées par Jaurès. La grimace trompeuse tient donc en un mot : l'entreprise,
identifiant à la survie des prolétaires la plus-value des actionnaires.
Cette marketisation du monde se devait
de conditionner l'agorapithèque à toutes les monnaies de singe, en particulier
verbales, faisant passer pour " mondialisation " les normes
d'un esclavage consacrant à la dette l'essentiel des ressources publiques. Il
n'est alors de meilleur atout pour Monsieur Jourdain que ses talents macaques.
A mimer les postures de l'aristocratie, la bourgeoisie ne pouvait manquer
d'être à son tour parodiée par les éminences roses. Le débat public tomberait
si bas qu'il ne serait d'autre recours que les ragots privés pour paraître le
rehausser. Ne devrait-on pas aux racontars des dupes féminines l'illusion
d'exister ? Puis, sombrerait-on dans un ridicule ubuesque en protestant de
sa bonne foi sociale contre toute évidence ? L'homoncule parvenu gagnerait
en visibilité, dans la mesure où chuterait plus bas que terre sa
popularité : ne pulvérise pas qui veut tous les records, même négatifs.
Paraître sur le trône coiffé d'une couronne : fut-il jamais d'autre but, à
l'image de ce maître en scélératesse qu'était le cagoulard à la Francisque Mitterrand ?
Le roi est nu, et ce n'est pas beau à voir.
Tous les Fistons de Tonton sont les héritiers de Claudius, meurtrier du vieil
Hamlet. N'ayant fondé leur pouvoir que sur la trahison, comment pouvaient-ils
ignorer (l'intellectuel critique ayant disparu du paysage), que le danger
viendrait du lit, sous la forme d'une reine Gertrude aux multiples
visages ? Le regard de l'atlante embrassant les deux rives de
l'Atlantique, et portant jusqu'au Pacifique, ce n'est pas forcer Shakespeare que
de voir dans cette couche le berceau des robots nantis d'intelligence
artificielle, sans corps ni esprit, ne détenant aucune histoire mais dictant
ses ordres à l'Histoire derrière un écran de chiffres et de codes binaires, où
le seul grand art est celui de la réversion du résistant et du collabo, du
héros et du salaud.
Depuis les Big Data découpant la Sphère en unités de volumes jusqu'aux machettes génocidaires taillant les
chairs en petits cubes, la nouvelle race du Quart-Etat ne planifie pas mais volumise
tout ce qui existe en fragments de matière abstraite mesurable et monnayable à
merci. Quand il n'est plus question que de gérer la matière s'abolit tout critère spirituel.
Une aisance dans l'usurpation de la Parole
au service de la Valeur : ce qui distinguait hier un bonimenteur de foire
est aujourd'hui le principal critère de sélection des élites médiatiques et
politiques. L'art d'apparaître est la seule qualité requise pour conditionner
l'opinion, donc influencer les plus profonds courants d'une société. Face à
quoi l'ancienne ascèse de l'artiste et de l'écrivain ne se laisse concéder que
les miettes au banquet de la reconnaissance publique, où festoient leurs ersatz
quand nul ne se souvient plus des siècles ayant honoré les preux et les saints.
Les mœurs commerciales ont depuis longtemps
supplanté celles de la noblesse et du clergé. Certaine culture bourgeoise
postulait encore jadis un vieux sens de l'honneur, laissant dans les affaires
subsister la trace d'une courtoisie féodale aujourd'hui périmée. Car le négoce
nie tout idéal héroïque, dont le simulacre seul enrobe la marchandise d'un
nuage mythique et confère un semblant de prestige au rituel du profit. Le
Tiers-Etat singeait l'aristocratie ; la corporation bureaucratique du
Quart-Etat ne doit son existence qu'à des jeux mimétiques avec la bourgeoisie.
Cela ne dispose pas davantage de capitaux
que de fiefs, de terres ou de châteaux, mais cela s'est plié l'échine assez
d'années dans les écoles pour y acquérir la science des signes. Un structuralisme
universitaire moula cette nouvelle espèce dans des codes qui ne la laisseraient
pas apparaître comme dominante au sens conventionnel : cela ferait
carrière au sommet de l'Etat, selon les lois d'un mimétisme original, en
apprenant les paroles de l'Internationale. Ni Dieu ni César ni
Tribun : François Mitterrand serait tout cela en un pour conquérir fiefs, terres, châteaux – et capitaux !
Quelque chose comme un négoce du négoce
ferait, par l'usage multiplié du verbe, accéder l'art du marchandage au rang de
culte et de vertu suprêmes. Ne s'agissait-il pas de tromper non seulement le
producteur et le client, mais l'ensemble d'une population qu'homogénéise – en
dépit des divisions que l'on entretient en son sein – la condition
prolétarienne ? Ainsi l'idéologie patronale, à l'heure où les actionnaires
ont supplanté les managers, n'a-t-elle plus l'organisation regroupant la caste
propriétaire pour seule agence publicitaire, cette mission incombant au Quart-Etat.
Ce n'est plus la même activité, celle d'acheminer tel produit concret d'un bourg à l'autre dans l'espace, et celle de
spéculer dans le temps sur tel stock d'une face à l'autre de la planète. Armes
et drogues, chair fraîche et trésors culturels issus du pillage de guerre sont
les nouvelles devises fortes pour de juteux trafics à découvert, où les
matières premières alimentaires se négocient avec des millions d'hectares de
terres arables, au gré des hoquets du shadow banking. Cette race du
Quart-Etat, les robots qui la commandent ne s'accommodent plus des vieux états
d'âme. Il faut à l'Europe les ressources agricoles et minières de l'Ukraine
comme celles de la Bulgarie et de la Roumanie : le mafieux que l'on place
au pouvoir à Kiev obéira donc au marché de Chicago.
Ces peuples n'ont-ils ni langue ni culture
commune avec l'Occident ? Désossage, dépeçage, carnage des organismes
sociaux traditionnels. Il ne s'agit pas d'un génocide mais d'un anthropocide
à l'échelle du globe. Contre l'humanité dolente, les robots du Quart-Etat
mènent une guerre à mort, gauche et droite officielles œuvrant dans le même
escadron. Quant aux bandits de l'extrême-droite, ils n'oseraient pas le quart
des agressions perpétrées au nom de la social-démocratie : raison pour
laquelle, dupés pour dupés, tant de prolétaires s'abîment dans le piège de Marine Le Pen.
Voici pourquoi fanfaronnades et
pretentailles des mirliflores à la rose ne pourront plus abuser leur monde
après la crise historique déclenchée par le centième anniversaire de
l'assassinat de Jaurès. La social-démocratie libérale explose, et n'en subsiste
plus qu'un ectoplasme va-t-en-guerre. Car le crime organisé qui régit la
planète n'a d'autre issue que l'aventure militaire quand, pour la première fois
dans l'Histoire, la plus grande part de l'espèce humaine vit des conditions d'existence
que les époques du passé réservaient aux criminels. Damnée, l'humanité dans sa
majorité ! Par milliards se concentrationnent les déportés, les massacrés,
les exilés, les affamés, les internés, les réfugiés, les déplacés, les
naufragés, les occupés, les émigrés, les déshérités, les expropriés, les
délocalisés, les intoxiqués, les irradiés, les expulsés, les sans-papiers, les
déclassés d'une Sphère cubique dont les angles entaillent le dos d'un atlante catastrophé.
Rien dans la malédiction jetée sur lui
naguère par les dieux de l'Olympe ne lui semble comparable au sort des êtres
soumis au Dieu des Armées. Combien le châtiment biblique passe en cruauté celui
de Jupiter ! Il s'en faut d'un oubli des racines grecques dans le logiciel
d'une civilisation. Caveau funéraire, pierre tombale ou immense pavé sur le
dos, guettant l'infini socratique et homérique, il chancelle au bord du
précipice. Mais Atlas renoncera-t-il à tracer du monde la carte appropriée ?
Seul au point de ne plus savoir en quelle écriture s'adresser aux mortels,
voici qu'à ses yeux extasiés les nuages forment des lettres dans le ciel :
Ô ELU D'ORPHEE. Lui revient en mémoire l'image de l'aède antique.
Les artistes ne forment-ils pas un Quint-Etat, contre le Tiers et le
Quart ? Un Quint-Monde ne peut-il naître – sur les ruines du Tiers
et du Quart – contre flicages, matraquages et tabassages de l'opinion publique,
tuant toute intelligence critique en faveur d'une nouvelle Drang nach Osten ?
FLIC A TUE : trois signes nébuleux complètent le message des cieux...
Atlas veut saisir le sens de ces mots qui
s'envolent au-dessus de l'océan. Son regard franchit l'horizon, passe de
l'autre côté des nuages en l'envers du miroir où l'accueillent les coulisses
d'un théâtre. En cette île engloutie portant son nom comme l'immensité liquide
et les montagnes lui faisant face, la scène relie trois continents. Du monde
l'Atlantide est le musée, si ce mot désigne l'habitat des muses. Atlas entend
la voix de Shéhérazade. Elle seule récite les paroles du spectacle, dans le
décor de trois villes en ruines. Sur ces décombres plane un aéronef dont la
traîne de fumée capte chaque lettre du message formé par les nuages dans le
ciel, en sorte que leur disposition trace les signes : HÔTEL EUROPE DU CALIFE.
Quel calife ? Shéhérazade accompagnera
BHL vers l'Amérique à bord de son jet privé. De Paris à Washington, l'avatar
contemporain du prophète Josué lui dévoilera sa califale mission de stratège
donnant ses ordres à l'OTAN, dans une vertigineuse mise en abyme : la première
pièce de théâtre où le rôle joué par l'acteur se confond au monologue de
l'auteur, en sa fonction de mauvais génie de l'Alliance atlantique.
À moi, l'armée des djinns ! Toutes les
destructions créatrices, toutes les innovations destructrices et prédations par
les bombes s'évaporent dans la spéculation financière en nuages échappant aux
regards terrassés par une Propaganda Staffel dirigeant la Kommandantur,
non sans occuper militairement tous les talk-shows télévisés. Mais il est
d'autres fictions spéculatives que celles figurées par le serpent biblique
s'enroulant aux colonnes d'Hercule pour offrir le symbole du $. Au cours de ce
périple s'éclairera l'abîme ouvert en l'espèce humaine par le tronçonnement de
son axe médiateur séparant les racines et les fruits comme les pôles de l'ange
et de la bête, en une schizonoïa qu'il revient à Shéhérazade, en sa Mille
et Deuxième Nuit, de révéler aux mortels.
Découvrant d'autres dimensions de l'espace
et du temps, ce voyage fera voir Acéphalopolis dans une configuration
nouvelle grâce au témoignage exclusif du calife de Bagdad Haroun Al Rachid,
réincarné sous forme de statue dans le bureau Ovale de la Maison Blanche, où se
trame l'histoire contemporaine selon des modalités qui autorisent une conteuse
orientale à nous chanter sa pavane pour une civilisation défunte.
Car c'était l'heure entre chacals de la Wehrmacht
et vautours de la Luftwaffe, pulvérisant moustiques et rats dont avec
larmes rapaces une puissance occupante se disait victime : toute caste
seigneuriale élue ne dispose-t-elle pas de mythes lui garantissant la
colonisation de territoires peuplés par les damnés d'une race inférieure ? ;
c'était l'heure où les traces de la Showah ne s'évaporaient pas sur le cadavre
du siècle vingtième et où les poussières d'un millénaire achevaient de retomber
comme la cendre d'un incendie chaque jour flambant neuf ; le ciel toxique
s'effondrait sur Gaza, qui n'était qu'un bantoustan grillé par les bombes en
Orient dans le vaste enclos barbelé de la planète (hécatombe d'une peu
considérable importance, offerte par les foudres de Tsahal à son Dieu des
Armées, grâce à la complicité d'un Hamas financé par l'Occident via l'Arabie
saoudite et le Qatar contre ses alliés civilisés) ; les yeux du monde
seuls empêchaient l'extermination d'une Palestine aux seins si beaux sous ses
palpitations apocalyptiques de peste et famine, guerre et mort : Terre
sainte pour chacun des adversaires, dont la chair avariée laissait tout de même
transpirer quelques souvenirs d'une défunte humanité.
Les principaux griefs de l'Occupant sioniste
à l'égard des Palestiniens n'étaient-ils pas ceux de tous les colonisateurs
face à leurs indigènes, exprimant par les armes une défiance identique à celle
des bourgeois du siècle dix-neuvième envers les vices de la classe ouvrière ?
Car le civilisé nourrit toujours un peu moins d'indulgence pour le barbare que
pour ses animaux domestiques, fussent-ils fauves assoiffés de sang.
La démence des temps présents tenait, pour
Atlas, à ce paradoxe : un peuple que son histoire vouait au génie de
l'exil et de l'apatridité, s'enracinant sur une terre conquise, était devenu le
plus patriotard du monde, mais aussi le plus stupide en sa férocité contre
l'engeance privée de terre, de mer et de ciel qu'était devenue la majeure part
de l'humanité, sous le joug d'un Moloch arborant le masque de l'Eternel.
Primat du biologique sur le symbolique, de
la nature sur la culture –donc de la Valeur sur la Parole – et de la loi
du plus fort sur toute négociation (mais pas sur tout négoce) : tels
étaient les caractères communs du sionisme et du totalitarisme qui l'avait
légitimé. Que l'extrême-droite au pouvoir en Israël se revendiquât des victimes
du génocide, insultait la conscience humaine au même titre que l'eût fait une
assimilation à la croix gammée de Rosa Luxemburg, de Bertolt Brecht et des
millions de communistes allemands assassinés par ce Moloch sous un autre masque.
Le Palestinien pour le sioniste, comme le Juif pour le nazi,
n'appartenait-il pas à une sous-humanité maudite ?
Mais une monstrueuse inversion des réalités prévalait dans les seules représentations admises,
boursouflées d'hymnes à la raison humaine. Chacun, ce 31 juillet 2014, rivalisait à
pervertir le réel et trahir l'idéal en se réclamant d'un homme abattu juste
cent ans plus tôt pour avoir prétendu « aller à l'idéal et comprendre
le réel », non sans affirmer du capitalisme qu'il « porte en lui la guerre comme la nuée l'orage ».
De même que, jusqu'au 31 juillet 1914,
Jaurès voyait dans les consciences françaises et allemandes le seul espoir de
conjurer la guerre en surmontant une schize artificielle fomentée par la finance
internationale en son besoin d'une purge massive – hommes et choses –
pour dégorger le marché mondial en crise, un pareil sursaut de conscience permettait
seul aujourd'hui de faire taire les vociférations éructées par la gueule d'un
Moloch ayant son siège à Washington comme à Tel Aviv, Doha, Riyad, Istanbul, Bruxelles, Francfort et Paris.
Mais quelle audience encore pour une parole inspirée ?
Princes et prélats n'avaient-ils pas été
remplacés par mercantis et bonimenteurs ? Au prophète, au philosophe et au
poète ne s'était-il pas substitué speakers, think tankers et crooners ?
Corruptions, pollutions, dévastations
quotidiennement étalées par la tour Panoptic ainsi que des phénomènes étrangers
à Kapitotal (auxquels il fallait donc trouver une cause extrinsèque : hier
soviétique, de nos jours islamique) ne relevaient-elles pas d'une stratégie de cadavérisation du monde ?
Le cancer de Kapitotal, après avoir fondu
sur la Yougoslavie puis sur l'Irak et l'Afghanistan comme sur la Libye et la
Syrie, selon les plans d'une bonne vieille oncologie mise au point par
l'Occident dans ses agressions militaires de l'Orient depuis plus de quarante
ans grâce à la science du docteur Henri " Napalm "
Kissinger – citoyen d'honneur de Jérusalem : ce cancer ne
requérait-il pas, pour se travestir en effet de chirurgie esthétique, les
instruments d'optique de la tour Panoptic ?
Citoyen cultivé, responsable, éclairé par
une foi raisonnable dans les révélations divines à l'origine de son élection, comme
par les lumières de la laïcité : ainsi se représente, au monde et à
lui-même, le civilisé. Membre d'une communauté primaire, mentalement mineur au
sens de Kant, car inculte et incapable d'élévation par soumission fanatique à des
obscurantismes opaques à toute pensée critique : c'est le portrait-robot du
bolchevik d'hier, du musulman d'aujourd'hui.
Dans la constellation d'astres symboliques où le croissant vert éclipse désormais l'étoile rouge,
en quel Occident de l'Orient situer celle de David – ou de Goliath ? Le phare absolu de
l'intelligence occidentale au XXe siècle a tranché. Pour Heidegger, dès l'hiver
1933-1934, il y a nécessité de « repérer l'ennemi » qui « n'a
pas besoin d'être extérieur », en ayant « pour but
l'extermination totale » de ce qui constitue, aux yeux de toute pensée
civilisée, « le sauvage, le forcené, l'Asiatique ».
Ce qui nimbe d'un prestige intellectuel et
spirituel incontestable ces déclarations, à la tribune de la Knesset, des
anciens Premiers ministres israéliens Menahem Begin : « Les
Palestinens sont des bêtes marchant sur deux pattes » et Yitshak
Shamir : « Les Palestiniens seront écrasés comme des sauterelles…
Leurs têtes éclatées contre les murs ». Non sans que le Grand Rabbin Ovadia
n'élargisse le sens d'un tel projet politique en lui conférant sa dimension
théologique : « La situation des affamés est voulue par Dieu en
punition de leurs péchés ». Mais, les voies de l'Eternel étant
impénétrables, d'autres calamités n'avaient-elles pas bénéficié d'une tout
autre interprétation préventive, lorsque le fondateur du sionisme Theodore
Herzl osait affirmer : « Il est essentiel qu'empire la souffrance
des Juifs pour le succès de nos plans » ?
Ces aboiements jouissent par postulat d'une
présomption d'intégrité morale indiscutable, propre à la Führung d'une
civilisation dépositaire des volontés de la divinité suprême. Ainsi des bandes
mercenaires qui furent armées jadis en Afghanistan contre l'Union soviétique
sous le nom d'Al Qaïda, puis qui se répandirent en Bosnie pour faire exploser
l'union des Slaves du Sud, avant d'être employées dans une destruction de la
Libye nécessaire à son démembrement programmé, suivie par l'invasion militaire
de la Syrie : les mêmes tueurs à gages ravagent-ils ces jours-ci l'Irak ?
Leurs bailleurs de fonds invisibles usent des séductions de la phrase
évangélique pour ajouter de l'huile au brasier.
Serait-il concevable d'assimiler à
l'idéologie catholique un phénomène culturel comme la chrétienté ?
L'héritage chrétien lui-même envisage la critique des institutions religieuses
comme une prérogative de sa liberté. Qu'en est-il des rapports entre islamisme
et islam, entre judaïsme et judéité ? Dans un cas, le même opprobre vise
foi, culture et idéologie. Dans l'autre s'impose l'approbation de l'amalgame,
toute imputation négative à l'égard du judaïsme étant jugée calomniatrice de la
judéité. Sur cette escroquerie repose l'accusation d'antisémitisme dirigée
contre toute mise en question du sionisme. Qui critique celui-ci s'en prendrait
à l'essence du Juif et serait complice de génocide. Une telle fraude
conceptuelle exige, en miroir, le concours du djihadisme.
La domination matérielle doit se prévaloir d'une supériorité culturelle.
Mais jamais aucun pouvoir ne manifesta bassesse
pareille à celle qui, depuis Ronald Reagan et François Mitterrand, fit de la
scélératesse un emblème d'excellence morale. Il s'ensuit un syndrome de
Richard III : plus vulgaire la médiocrité des Altesses expertes en l'art de
masquer leurs vilenies sous les oripeaux de la noblesse et de leurrer leurs
dupes sous mille artifices humanitaires, plus féroce la surenchère d'arguties
sécuritaires niant l'humanité des adversaires. L'Autre constituant par essence
une entité sanguinaire identifiable au meurtrier Caïn, le Même jouit d'une
présomption d'innocence plénière, dévolue aux fils d'Abel par l'Eternel. Du
Maghreb au Machrek, se comptent assez de millions de miséreux pour, à l'appel
d'une kalachnikov et de mille dollars, tenir le rôle de figurants scénarisé
pour eux dans des officines spécialisées. À grand renfort d'effets spéciaux, la
multinationale du Djihad et de la Fatwa peut alors verser des flots
d'hémoglobine attribuables au script prophétique du Coran, sous le label de
multiples compagnies : Boko Haram, AQMI, Califat islamique de l'Irak et du Levant…
Quel sabre a-t-il tranché le globe scindant
l'Est et l'Ouest, Nord et Sud, Occident et Orient, comme esprit et matière, en
pôles inconciliables ? Atlas appelle à son secours toutes les sphères de
l'univers pareilles à celle qu'il porte sur le dos. Ce qui se joue n'est écrit
nulle part dans la mythologie, l'épopée, la tragédie comme dans la philosophie
grecques. Cette dissociation radicale du ciel et de la terre, de la nature et
de la culture, en est une de l'humanité dans l'unité qui la constitue entre
bête et divinité. Mais pareille schize affecte aussi l'essence et l'apparence
et ne va pas sans réversibilité. L'invasion du démoniaque et le retrait du
divin, pressentis par Hölderlin à l'aube des temps contemporains, sont les
signes d'un monde régi par le pacte faustien. Brisée l'expérience de
va-et-vient collectif entre profane et sacré que devrait être une société,
Méphisto fait commerce d'âmes avec le Moloch.
Nul regard plus global que celui du titan,
posté sur son île aux confins du Couchant, pour observer l'Occident s'arroger
transcendance divine afin de justifier ses agissements criminels. Ses bombes tombent
sur l'Orient de l'Europe ? La noblesse des intentions de Kapitotal ne peut
être mise en doute par aucun agent de la tour Panoptic ; non plus que
double langage et mauvaise foi par principe ne sont niables chez ces diables d'anciens
communistes, quand un convoi non armé de vivres et de médicaments part de Moscou
pour secourir des insurgés refusant toute allégeance à l'Alliance atlantique.
Atlas constate l'abolition des références helléniques dans la sous-culture de
la tour Panoptic, et le logiciel hébraïque – élus et damnés – convenir au schéma de Kapitotal.
Races inférieures animalisées, caste seigneuriale sacralisée :
la société régie par Kapitotal est essentiellement ségrégationniste.
Mais pareille négation de l'humanité n'épargne ni les uns ni
les autres, l'élu payant sa nuit d'hôtel une fortune que le damné ne réunit pas
sur toute une vie promis à une même réification sous le règne des robots. Il
incombe à la tour Panoptic d'halluciner les foules par des shows hypnotiques où
certains objets de faux luxe, promus par des mécanismes standardisés, se voient
octroyer l'apparence de sujets nimbés des attributs de la divinité, seul idéal
offert à l'imitation vaine d'une plèbe confinée dans la bestialité. L'image de
la rébellion jouit du plus haut rang sur le podium de l'inversion généralisée :
Femen, Pussy Riot. Mais l'humour du Moloch est tel qu'il impose obéissance
aveugle à sa négation des réalités, présentant l'esclavage par la dette comme
loi du réel contre toute idéologie, ses idéologues occupant tout l'espace médiatique.
Un système culturel ayant pour objectif
stratégique non plus d'élever mais d'abaisser, se doit d'être traversé par un
axe horizontal autorisant la réversibilité du haut et du bas. L'équivalent
général abstrait de l'argent fournit cet axe de symétrie
qui, comme le souligne Marx en se souvenant de Shakespeare, a le pouvoir
surnaturel d'octroyer à tous les vices le plenum des vertus. La substitution de
cet axe horizontal à l'axe vertical reliant ciel et terre est un constat dont
l'espèce humaine aurait grand tort de ne pas rendre grâce au titan porte-globe.
C'est le point de vue de l'aède en sa
vision globale, qui s'autorise à poser ici la question : qu'est-ce que
l'esprit ? Sa réponse : une relation des hommes à la Sphère, modèle
et reflet du Tout-Monde, selon l'expression de l'aède caraïbe Edouard Glissant,
lequel définit la relation comme « ce qui relie, ce qui relaie, ce qui relate ».
Sphérique ne peut qu'être un miroir ayant
vocation périscopique et antoptique : regard qui englobe et fait
volte-face, à contre-sens de l'unique vision permise ; explorant l'envers
du décor planétaire soumis à Kapitotal, cette face cachée des réalités réduite
à l'invisibilité par les projecteurs de la tour Panoptic.
Ainsi le globe terrestre convoque-t-il
chaque être doué de parole en le sommant à responsabilité par l'originelle épreuve : Pense-moi !
Questionne les abîmes qui me désintègrent
sous leurs alliances, fusions et communions apparentes ; interroge
humiliations, discriminations, colonisations fondant leurs bulles des dettes souveraines dont je meurs.
Questions qui, à elles seules, ridiculisent les agents de l'idéologie néolibérale ayant pour noms Milton Friedman
(Greed is great), Friedrich Von Hayek (Tuer les pauvres pour libérer la finance)
et Joseph Schumpeter (L'entrepreneur est un révolutionnaire). Pour que
de tels concierges, au rez-de-chaussée de la pensée, puissent apparaître comme
des sommités, ne fallut-il pas séquestrer l'esprit des foules dans les parkings
du sous-sol et condamner d'accès les étages où jadis logeait l'intelligence ouverte sur la Sphère ?
Car, du rapport entre la sommation de
penser le globe et l'être doué de parole, naît une illumination. Le prophète,
l'ami de la sagesse et l'aède furent ces instances par quoi regard global, donc
vision sphérique, advinrent. Dans l'espace et le temps comme en leur au-delà
d'une cinquième dimension : celle du rêve et de la mémoire.
En l'aède la Sphère trouve ici son
interprète global. Même si nulle prétention n'est en sa navigation d'explorer
tous les espaces et tous les temps. Car chacun vit ses propres destins
d'histoire et de géographie. Cet atlante vous invite à périscoper la planète à
partir d'une coïncidence qu'il tient d'archaïque naissance grecque :
Anatolie / Atlantide, Levant et Couchant, Orient vs Orient.
Si le pouvoir impérial et l'aède ont dans
le globe un signe commun, l'absolu de la domination du monde correspond à
l'infini de l'exclusion de l'aède hors des représentations admises, pour la
raison que sa vision globale s'oppose à la circulation mondiale de Kapitotal,
comme aux circularités de la tour Panoptic.
Ce qui tombe sous le sens est toujours
platitude. Penser une courbure du globe au-delà de l'horizon requiert aptitude
au voyage – fût-il immobile –, donc au déplacement du point de vue,
qui permet d'envisager une rotondité du monde comme du réel en son mouvement
chaotique vers l'idéal : donc une issue possible au capitalisme, cette crise de puberté de l'humanité.
La moindre goutte est mot contenant tous
les livres comme chaque mot du livre égoutte un océan qui est aussi bien fleuve
de lave et semence de feu cosmique. La moindre goutte est sphère en quoi se
traduisent toutes les langues de la Sphère.
Des Césars aux Kaisers et aux Tsars,
l'aigle fut symbole d'un pouvoir des cimes prolongé sur terre par celui du
lion. Les aléas de l'histoire firent ensuite un loup de l'homme pour autrui.
Récent est le passage du fauve au charognard : quand les prédateurs,
imposant leur loi sur ce qui répond à la définition du multiple (aujourd'hui,
la Grande Surface), font aux marchés dicter les normes de l'Un. L'intérêt privé
régnant sur la puissance publique ainsi qu'une tumeur l'emportant sur
l'organisme collectif, le particulier prévalant sur le général et la partie sur
le tout, signent l'élimination commune de l'universel et du singulier dans une
guerre à mort de cet équivalent général abstrait qu'est l'argent contre toute
révélation, conscience, intuition de la Sphère.
La représentation du monde comme
Tout par un récit mythique non linéaire mais sphérique tel que celui
d'Homère, précède ce qui s'imposera durant la plus grande part de ces deux
millénaires comme une vision plane du globe. Celle-ci ne pouvait être mise en
question que par un autre aède : quand Dante, à la fin de son Enfer,
ne craint pas de faire voyager Ulysse de l'autre côté de la Sphère.
Avant que Shakespeare ne réveille leurs
âmes au Théâtre du Globe et ne préfigure en Shylock, dans son Marchand de
Venise, la schizonoïa d'une acéphalopolis où la livre de chair humaine
(valant souvent moins que celle du bœuf ou du porc), serait seule unité
monétaire pour les marchands du temple sacrifiant au culte du Moloch.
Puissent-ils n'être pas trahis par ce Théâtre de l'Atlantide !
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