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Shéhérazade envolée, sa trace dans l’air
continue de produire des signes. Les encadrements géométriques de la baie
vitrée séparant le salon du paysage où domine l’horizon marin, ce joli cadre de
mosaïques signifie leur clôture aux élites mondiales bouclées dans un palais
saoudien du Maghreb. Tous y sont condamnés avec moins d’espoir d’évasion que
Georges Ibrahim Abdallah dans sa geôle française. Que cherchent-ils, à travers
la fenêtre hantée, sinon quelque issue dont seule a la clé Shéhérazade ?
C’est donc un frémissement d’émoi collectif quand sa voix leur parvient de
l’extérieur. À force, clame-t-elle, d’entendre partout braire les gens de votre
espèce, il faudrait admettre que les vrais ânes ont aussi leur mot à
dire ! S’ils endurent le bâton, du moins sont-ils pourvus d’une
intelligence leur épargnant lapidations et décapitations qui sont la norme sous
des formes barbares en Arabie, plus civilisées dans le monde occidental.
N’échappent-ils pas même aux boucheries chevalines ? Dupée, manipulée,
poussée aux dettes et dépouillée, l’humanité n’a pas leur chance, elle qui se
voit en outre sommée d’obéir aux diktats feutrés de ceux-là mêmes qui lui ont
mis le couteau sur la gorge et la menacent du pire en cas de refus. Tétanie du
corps social, sclérose des organes, atrophie des membres et nécrose de leurs
tissus gangrènent cette misérable humanité, sur laquelle prolifèrent des
tumeurs qu’ignore la noble race des ânes, mules et baudets… J’en reviens donc
au conseil que je vous donnais tout à l’heure, en y ajoutant quelques précisions.
De grâce, ne vous croyez plus obligés de mimer l’esprit. Ce cancer qui définit
la société planétaire, assumez-le comme tel sans le nier. Quelle splendeur vous
gagnerez à l’égard du futur, en ayant été la dernière classe propriétaire de l’humanité,
refusant de masquer l’état de guerre civile permanente qui caractérisa son
organisme en situation de crise terminale. Que restera-t-il de votre époque,
dans mille ans ? Le souvenir d’une croisade ayant réduit en décombres la
Mésopotamie, l’Egypte et la Syrie pour étendre l’influence du grand Israël.
Tous ses voisins devaient exploser en poussières facilement contrôlables. Les
historiens rappelleront le plan « Clean Break » de l’an
2000, mis au point par l’OTAN, qui planifia le morcellement de « 7 pays en
5 années », permettant à l’Etat biblique d’élargir son empire du Nil à l’Euphrate,
et des steppes d’Asie centrale au Maghreb. On saura ce qu’il est advenu du
nouveau Reich promis à durer mille ans, dont la Kommandantur crut
pouvoir englober la Chine et la Russie. L’on étudiera les manœuvres de sa Propaganda
Staffel, ce « ministère de la Vérité » digne de George Orwell.

C’est elle,
Shahrazad, qui colonise mon espace théâtral. Aux oreilles médusées des maîtres
de l’humanité ne l’ayant jamais mieux trompée que par un discours humanitaire,
son regard embrasse les millénaires afin de prouver combien précaire et
aléatoire est l’histoire de la domination. Qu’adviendra-t-il de la tour
Panoptic et de son ramassis d’idéologues aux gages d’une finance mafieuse qui
avait en outre sous sa coupe les politiciens véreux d’un Occident complice des
dictatures féodales, tous armant des bandes criminelles chargées d’éliminer les
derniers pouvoirs étatiques s’opposant à l’extension des marchés de Kapitotal ?
Il aura fait long feu, dans mille ans, le plan visant à exterminer
la communauté des Alaouites, cette branche de l’islam issue d’une scission du
chiisme voici mille ans, dont le syncrétisme mystique mêlant des éléments
hérités du panthéon hellénistique, du mazdéisme persan et de la culture
byzantine était intolérable pour Jérusalem Rome et Mekka. Ce qui devait
conduire leurs barbouzes – Mossad, Al Qaida, CIA de connivence – à fabriquer
cette provocation qui leur serait fatale : des images manipulées servant
de preuves à l’emploi d’armes chimiques par l’adversaire, qu’eux-mêmes avaient
fomentées de toutes pièces. Ainsi fut-il seulement prouvé que rien n’arrête la
descente aux enfers d’une caste croyant s’être approprié le paradis. Quelque
rage qu’elle ait mise à terrasser le communisme, rien ne s’opposerait à ce qu’une
humanité vouée à la géhenne entretienne un espoir de salut collectif. La Sphère
imaginée par Empédocle survivrait aux miasmes d’ordures putréfiées tenant lieu
d’idéologie, qui étaient loin de cette incorruptibilité liée à la pureté des
contemplations requise par toutes les religions du passé. Shahrazad leur
proposait donc l’aveu d’un cancer généralisé. Quand les programmes électoraux ne
sont plus régis par une réflexion politique, mais par les dettes à rembourser,
donc par des créanciers spéculant sur le défaut de paiement, c’est l’esprit qui
a vécu. Le calcul des robots suffit, non seulement pour le shadow banking,
mais pour toutes les besognes de l’intelligentsia. N’en ayez pas honte :
assumez-le ! Nous sommes en l’ère d’une civilisation sans tête, et
alors ? Mieux vaut invalider la théorie des 3 fonctions de Dumézil et se
résigner à ne gérer que la matière, plutôt qu’entretenir une prêtraille intestinale.
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