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Séminaire de la Sphère

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Shéhérazade s’est toujours permise d’exiger la part des anges. Imaginez-la comme un djinn, l’Aladin du monde occidental. Rien ne peut faire que bons et mauvais génies orientaux ne logent en sa lampe, qui se confond au globe du soleil couchant. Ce sont les premiers mots de la vidéoconférence, énoncés d’une voix grave sur écran plasma dans le salon d’honneur où ont pris place les représentants de l’élite planétaire. Vous êtes, chers amis, dans sa Mille et Deuxième Nuit, prononce une femme en djellaba rouge coiffée d’écarlate, ses voiles se mêlant aux brumes de la mer. Portez donc votre regard, à travers les baies vitrées, vers l’océan. La surface est tranquille, en profondeur se prépare un raz-de-marée. Vous le savez tous. Examinez l’horizon. Vous ne voyez pas l’île d’où je vous parle, inaccessible aux mortels et pourtant l’unique lieu sûr de votre monde englouti. Sur l’autre rive, c’est à Atlantic City que, le 15 juin 1944, une semaine après le débarquement en Normandie, vos experts tinrent un colloque au terme duquel furent signés les accords de Bretton-Woods, qui assujettissaient l’Europe à l’Amérique. Les vassaux feignent aujourd’hui de s’étonner qu’un empire leur donnant ses ordres depuis 70 ans les tient à l’œil. Voici les instances médiatiques incitant à se méfier de Big Brother, désigné comme fauteur d’espionnage électronique ! Il me revient de rappeler quelle emprise doit avoir sur les esprits votre tour Panoptic. N’est-ce pas afin qu’un seul pôle du monde englobe sa totalité que s’élabore la stratégie de ce pôle, à juste titre nommé Kapitotal ? Et n’est-ce pas à mettre en œuvre un dispositif idéologique soumettant tous les englobés à l’unique point de vue du pouvoir englobant que fonctionne la tour Panoptic ? Dès lors, vous ne l’ignorez pas, Roosevelt peut être vu comme un agent de Staline et son New Deal comme un complot communiste. Ainsi le drapeau rouge, de la Maison blanche au Kremlin en passant par l’Elysée, flotta sur le monde jusqu’à l’arrivée de vos Chicago Boys. Depuis, suivant l’exemple d’Al Capone, le monde libre a retrouvé ses valeurs grâce aux théories de Milton Friedmann. L’axe de cette liberté ? Wall Street-Jérusalem. Ses plus sûrs alliés ? L’Arabie saoudite et le Qatar. Son champion ? Jésus Evangelista, mentor de Goldman-Sachs. Son crédo ? 20 % ! Son arme ? La dette, privée puis publique. Son principe ? Une entreprise ne travaille que pour le profit de ses actionnaires. Hors de quoi la société n’a que faire des prolétaires. Mais voici qu’un imprévu bouleverse Al Capone, fondé de pouvoir de Kapitotal depuis la mise au pas de tous les Etats, que leurs gouvernements se proclament de droite comme de gauche...


 boujloud en peau de bouc


Depuis le ciel Shahrazad me désigne une cour intérieure où circulent une demi-douzaine d’ânes entre des limousines aux vitres blindées. Seul y détonne un taxi blanc. J’ai dit que l’Aïd al Kebir ici s’accompagne d’une coutume carnavalesque remontant sans doute aux premiers âges : les peaux de boucs dont s’affublent ceux qu’en cette occasion l’on appelle boujlouds. Sous mon déguisement d’animal j’ai pu déjouer la vigilance rieuse des gardes, sautant par bonds capricieux dans l’entrée comme une bête égarée de quelque troupeau. Les sentinelles sous leurs guérites, rêvant aux festins du bled, ne voient pas malice en cette bête épargnée par l’holocauste, gambadant avec les ânes au milieu des bagnoles. D’une cabriole, passé le coin, j’atteins la porte-fenêtre du salon d’honneur où se poursuit la conférence dans un silence religieux. Jamais public ne fut hypnotisé par une voix comme le sont les éminences assemblées devant l’écran, suspendues au récit de Shahrazad ainsi que des convertis captés par les voyances de leur nouvelle prêtresse. Al Capone, continue-t-elle, a fait rafler en hâte par son gang le plus possible d’or des coffres de la banque lui appartenant, juste avant l’arrivée d’une police qui lui obéit. Les épargnants, se trouvant à sec, n’ont d’autre recours que d’implorer l’Etat, dont le premier geste fut de renflouer la banque avec l’argent de leur sécurité sociale. On leur dit que c’en est assez de vivre au-dessus de ses moyens, vu qu’il faut rembourser les dettes et celles contractées par l’Etat pour sauver la banque. Mais à qui d’autre qu’à celle-ci l’Etat a-t-il emprunté ? Al Capone prend alors la parole par la voix des banquiers et des gouvernements : respectez mes intérêts qui sont les vôtres, ou c’en sera fini de la démocratie ! Mais pourquoi déplorer que la pyramide sociale soit gouvernée par une tumeur ? L’idéal est lumière, ont proclamé toutes les idéologies. Vous êtes la première classe dominante vraiment révolutionnaire, d’avoir aboli le feu sacré. Quel qu’ait été l’abîme entre maîtres et esclaves anciens, toujours un axe vertical permettait d’accéder à la lumière au-delà du sommet, qui s’ouvrait sur un idéal. Kapitotal est une structure sociale sans autre médiation qu’hallucinatoire, grâce aux projecteurs de la tour Panoptic. Fi des vieilles hiérarchies spirituelles si la malfaisance est gage d’élection : jouissez sans entraves de vos privilèges !


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