SPHÈRE CONVULSIVISTE
 
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 Denis Diderot

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 Les Bijoux indicrets












































































 Mamiwata
Sphère >  8. Le Parrain de la Belgique

Huitième invitation à l'Axiome de la Sphère

Le Parrain de la Belgique

Tout art authentique est résonance universelle entre éther et poussière, dont les vibrations infinies donnent à qui veut l’intuition de la Sphère. Chaque temps met au défi l’humanité de réinventer ses jeux de signes, dont la plus vieille trace est gravée sur des tablettes en argile relatant mon épopée. L’écriture, entre autres arts, est donc toujours à recréer.

J’ai vu les idéogrammes cunéiformes devenir l’alphabet phénicien sur peaux et parchemins conservés en rouleaux, jusqu’à l’usage du papier comme support ayant permis l’invention de l’imprimerie. Celle-ci rendit possible une diffusion d’idées singulières, dans ce qui devint l’espace public ouvert aux expressions critiques…

 Alphabet Phenicien

De vos jours, la Parole s’oppose à la Valeur par la voie des électrons. Si le drame de l’humanité n’était l’oubli, je n’aurais pas eu besoin de resurgir aujourd’hui ; mais son fléau, c’est celui-là. Qui se souvient de l’époque où se fit jour cet espace public ? Et qui sait encore que cette ère vit l’un des plus fieffés inventeurs d’écriture imaginer en Europe l’apparition du premier écrivain congolais de la littérature, pour lequel il utilisait plaisamment l’adjectif « congeois » ?…

Tout élève devrait avoir appris cette leçon à l’école primaire, mais je crains qu’elle n'échappe à la compétence des professeurs universitaires. C’est en 1748, dans Les Bijoux indiscrets, que Denis Diderot rapporte l’existence d’un auteur africain, dont il dit traduire le journal mettant en jeu, sur la scène européenne, un personnage venu du Congo…

Trois voix sortant de nulle part évoquent le génie visionnaire du grand Diderot, dans une obscurité si épaisse qu’elle concentre la matière des ténèbres tombées sur le monde. Ce trio disposerait de tous les feux qui lui seraient nécessaires pour éclairer cette conversation, mais préfère se contenter d’un modeste brasero. Nous sommes plusieurs milliers de mètres sous l’eau. Nul, à la surface terrestre, n’imagine âme qui vive dans ces profondeurs, qui sont de très haute altitude grâce aux fumées que répand un narguilé dont la braise est alimentée par ce foyer sous-marin. Les trois hommes baignent dans une douce torpeur sous l’effet de la plante sacrée venue de Mésopotamie. Vaste est le continent de l’Atlantide, mais qui soupçonnerait qu’il s’étend jusqu’à ces régions ?

L’île ne serait pas un lieu de référence pour la Sphère si elle n’abritait le point zéro des latitudes et longitudes, au large du Cameroun. Ils savent bien, ceux qui fument les décoctions de haoma près du brasero, que dans l’inversion généralisée les engloutis ne sont pas ceux qu’on croit. Comment les mortels survivraient-ils à l’asphyxie de la noyade consécutive au naufrage de leur Pyramide,  sans secours de la Sphère ?  C’est pourquoi  Ruben Um Nyobè – surnommé Mpodol – a voulu me faire envoyer un message vers son disciple Achille Mbembe, quand il partageait avec ses trois camarades la songerie du narguilé…

Le droit sans la force est-il plus fort que la force sans le droit ? Tel est le sujet d’un éternel débat entre Patrice Lumumba, Mehdi Ben Barka et Thomas Sankara. C’est à ce propos qu’ils convoquèrent Diderot, non sans force esclaffades pour l’invention d’un écrivain congeois par l’Encyclopédiste français, voici plus d’un quart de millénaire…

 Patrice Lumumba

« C’est d’une ensphéropédie que les mortels ont besoin désormais », lance Lumumba dont les yeux sont perdus dans une rêverie profonde. La pensée des deux autres s’exhale par les nuages de la plante sacrée : « N’est-ce pas le sens des innombrables fables africaines, ayant fait deviser les hommes et les animaux depuis des temps immémoriaux ?
— Qui inspirèrent Esope et tous les fabulistes jusqu’à La Fontaine !
 »

Île imaginaire d’un mètre carré dans le golfe de Guinée, la Null Island est une république où flotte une bouée symbolique pour civilisation en perdition. Son drapeau représente l’intersection entre le méridien de Greenwich et l’équateur. Qui se douterait de la scène s’y jouant par autant de mètres de fond que j’ai traversé d’années ? L’air embaumé d’un parfum divin se respire aussi bien que dans l’Atlas où mon scribe est face à l’Atlantique et m’écoute, par 30 degrés de latitude Nord…

Les trois hommes embrassent d’un regard circulaire l’espace abyssal, se passant de main en main la pipe à eau. Dans leurs yeux brille une lumière qu’on ne voit guère à la surface de la terre. Ils savent que leurs propos n’ont aucune chance de réception dans la mémoire des vivants, au cas même où quiconque accepterait de les publier. Trop d’intérêts sont en jeu, dont dépend le confort des propriétaires du globe et d’une caste gérant le commerce des mots. Le glouglou du narguilé rend des sons énigmatiques autour du brasero, qui attirent les méduses tenant lieu de chandelles. Patrice Lumumba plonge les doigts dans la braise à la recherche de quelque diamant lui faisant office de charbon ardent :
                  « Ce n’est pas cette vie que l’Ancêtre Cham voulait pour les mortels. »

 SanGiacomo in Castellaccio

Sa voix vibre d’une infinie tristesse, comme si dans chaque syllabe se télescopaient l’avènement du 30 juin 1960 et le calvaire de janvier 61. Le ballet d’une sirène lui lançant des œillades évoque la Mamiwata du fleuve Congo, portant même nom par tout l’océan de l’Ouest africain. Soufflant dans le tuyau pour vérifier le niveau de l’eau, Ben Barka secoue la tête avec lassitude. À quoi bon ces combats héroïques, si les criminels se pavanent au sommet de la Pyramide, faisant régner une misère pire que la mort sur le continent maudit. Scrutant les ténèbres, Sankara constate qu’ils ont tous trois tenté d’accomplir une mission, sans que la situation ne cesse d’empirer. L’extrême tension psychique leur fait percevoir une rumeur à l’autre bout de l’Atlantide : ils savent qu’en mer de Barents, la guerre se joue pour sucer plus encore le sang noir des entrailles océaniques. Un autre brasero fait parvenir à leurs narines équatoriales, depuis les abords du cercle polaire, le parfum d'un narguilé que se partagent Aldo Moro, Olof Palme et André Cools. Tous les six assassinés par la même pieuvre !...

J’interviens pour signaler que c’est un thème d’Axiome de la Sphère, où est documenté certain Club des Six, dont fut un membre éminent le Parrain de la Belgique. On prête aux sourcils et aux bajoues de celui-ci plus d'influence que n'en a la monarchie de son pays. Mais connaît-il mieux la coupole du ciel que les citoyens de l’Atlantide ? Ces gens de l'élite mondiale ne voient pas que le socle de leur propre humanité s’est dérobé sous leurs pieds, les plongeant eux-mêmes dans un gouffre sans fond. De leur point de vue, très pratiquement concerné par les richesses minières africaines, la vie des humains au-dessous d’une certaine latitude ne vaut guère plus que celle des chiens, des chats ou des mouches, voués à se battre pour des ordures en tout genre exportées avec profit contre leurs matières premières. La domination dépend d’un contrôle militaire des flux migratoires, sous prétexte de guerre contre un terrorisme qu’alimentent partout en Afrique les alliés saoudiens, dûment armés par les bannières démocratiques. L’essentiel est que soit réputée morte l’étoile rouge à cinq branches, au Sud comme au Nord, où l’enjeu des joutes électorales est la peur des réfugiés de la misère et de la guerre…

C’est parmi ceux de Mésopotamie que j'ai fait une entrée à Bruxelles digne, non seulement de Jérôme Bosch, mais aussi du peintre belge James Ensor, dans Axiome de la Sphère. La banderole surplombant le Christ sur toute la largeur de cette toile peut-elle encore être comprise au cœur de la capitale d’Europe – qui porte le slogan Vive la Sociale ? Serial killers des produits dérivés, racketteurs de dividendes, voleurs à la tire des stock-options, maquereaux des start-ups, coupe-jarrets du shadow banking festoient sans scrupules au banquet de la plus-value. À leurs ordres, tous les gouvernements du monde libre et leurs forces policières organisent la mise en coupe réglée des corps mais surtout des esprits : quel étage de la tour Panoptic n’obéit-il pas à Kapitotal ?…

« C’est l’extinction des Lumières telles qu'en avait allumées Diderot qui génère l’opacité généralisée », s’exclame Patrice Lumumba – lequel n’ignore pas le rôle joué dans ses déboires par le Parrain de la Belgique. À nouveau la sirène du fleuve et de l’océan vient ondoyer autour du trio. Comment s’étonner si Mamiwata, le roman dédié à sa mémoire, demeure introuvable ? Une odeur de tabac leur parvient d’un troisième brasero, du côté des Caraïbes. L’Atlantide n’a-t-elle pas des contours épousant le tracé du commerce triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique ? Ce qui relie cette confrérie sous-marine, c’est un deuil pour la vie que l’humanité n’a pas vécue…

Le parfum de havane signale que Fidel est en compagnie d’Aimé Césaire et d’Allende, peut-être d'Hugo Chavez ou même d’Emiliano Zapata. Comme si le fond de l’océan condensait des énergies inconnues dans les millions de crânes qui le tapissent en héritage de la traite négrière, un chant de sirène en monte, faisant bouillonner l’Atlantique ainsi qu’un gigantesque narguilé.

Gilgamesh – mars 2020

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 Sirène bicaudale