SPHÈRE CONVULSIVISTE
 
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 Carl Marx

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Douzième invitation à l'Axiome de la Sphère

Acéphalopolis

Il fait nuit sur le monde plus que sous les eaux de l’océan.
Quel cosmos intérieur, quelles vieilles lunes de l’âme, quels astres du rêve et de la mémoire en échange de quels biens pour la chair sacrifiés à quel tube digestif ? Un crépuscule de film en technicolor nimbe les décors naturels de cet immense plateau de théâtre qu’est l’Atlantide…

La nuit n’emplit pas l’eau comme l’air : sa couleur est d’une substance pour ainsi dire lumineuse au plus profond de l’océan. Médiums d’un monde en devenir, les Atlantes sont des photonautes qui informent les mortels par des ondes que leurs sciences n’ont pas encore découvertes. Chaque soir après le rideau rouge, un nouveau spectacle commence…

La scène sous-marine dispose d’accessoiristes qui entretiennent débris de naufrages, galions chargés d’or, vestiges de temples et d’édifices profanes – ici le phare d’Alexandrie brille de son antique splendeur – parmi conques géantes, algues, méduses, étoiles de mer et sirènes dont le chant mélodieux n’en finit pas de se transformer en cris d’alarme. Cloches d’églises et voix des muezzins sonnent aussi le tocsin, car une épidémie s’est à peine calmée que reprend la sarabande ordinaire des ravages causés par les quatre éléments : séismes, incendies, tsunamis, cyclones. Avant que ne se déclenche un autre foyer d’infection. Quel est ce personnage à la barbe célèbre marchant d’un pas tranquille dans la pénombre habilement éclairée d’une ville pavée de crânes ? Il n’est pas étonné des rues vides aux boutiques fermées par la peur du fléau, tant sa vie fut vouée à prévenir les humains des virus transmis par la chauve-souris dont les crocs sont plantés dans leurs jugulaires. Béni soit le vampire qui fait de la planète une île déserte !…

Les habitants de la cité planétaire (si faciles à endormir) sont plongés dans leur somnie chimique et électronique, sans scrupules ni remords qui maintiennent éveillés les Atlantes. Il arrive à beaucoup d’humains d’âge mûr de n’être plus rien de ce qu’ils étaient dans leur jeunesse. Tel n’est pas le cas du barbu semblant se réjouir des malédictions dont il fut le prophète, sur cette scène baignée par un rayon de lune. La cité marchande, blême comme un cimetière, fait pâle figure face au Diwan des Ancêtres. Sans la vigilance des morts, que seraient les vivants ?…

 Gilgamesh terrasse un taureau

Quelle belle nuit que cette nuit dans l’océan d’une musique lunaire, océan sonore où les notes sont des étoiles dans les yeux des crânes ! Les spectres ne sont pas d’outre-monde ; ils continuent de vivre, mais ailleurs. Ce qu’atteste l’athlétique démarche du barbu s’avançant dans l’immensité d’eau transextralucide, avec vue sur le bocal des mortels. Bagnoles, avions, fusées, radio, télé, missiles nucléaires, ordinateurs, humains à puces, biotechnologies, transhumanisme : tout ce qui fut nécessaire au capitalisme du XXe siècle, est simple contingence dans la lecture qu’il fit d’un système inégalable pour déployer des villes flottantes aux buildings de conteneurs emplis de marchandises venues de Chine – mais sans figures féminines exhibant poitrine et chevelure en figure de proue. Leurs cornes de brume résonnent de l’écho lugubre des forêts dont la destruction propagea la dernière peste. Ce pourquoi la voix des sirènes dit le destin des humains dans le chant de l’océan. Rouge sang les étoiles dans les yeux des crânes braquent leurs feux sur ce drôle de type aux drôles de théories dont une drôle de statue fut placée par la Chine devant la maison natale en Belgique (à condition de tenir pour belge, comme César, toute la Gaule au nord de la Seine et à l’occident du Rhin). Lune ou pas lune, les quinquets des crânes éclairent suffisamment sa silhouette pour un public tapi dans le futur. Un éclair zigzague entre la statue de Zeus qui surplombait l’Acropole, un Veau d’Or et le temple de Salomon contenant les Tables de la Loi. Ces images me sont familières. Membre à vie de toutes les époques, je paie à l’histoire ma cotisation depuis cinq millénaires. Un parchemin m’accompagne en guise de passeport pour témoigner de mes errances à travers les siècles. Ce barbu l’a contresigné, qui en déchiffra la trame secrète – à la risée presque générale des mortels. Or le système de la Valeur, aux lois implacablement analysées dans son Capital, n’est-il pas foudroyé par une crise d’apoplexie conformément à ces lois ?…

      Statue de Karl Marx

Cette île est faussement déserte, comme sur scène quand le projecteur éclaire ce qu’il faut montrer, le reste enfoui dans le noir. Les ténèbres dissimulent ce qu’il n’y a pas lieu de voir : d’où vient l’actuel fléau ? Les historiens verront que sa propagation mondiale fut concomitante aux invitations de mon scribe à découvrir l’Axiome de la Sphère. Bien sûr, une telle relation ne peut se dire sous le postulat de la Pyramide…

Mais l’on voit avec d’autres yeux, l’on entend avec d’autres oreilles au fond de ces abysses. Nous ne sommes pas branchés sur les réseaux de communication médiatique, et pouvons inspirer leurs scientifiques.
Aperçoivent-ils combien les organes mentaux des mortels souffrent davantage encore que leurs membres physiques, à l’heure d’une crise n’avouant aucune maladie psychique ? L’ouvrage de mon scribe est un essai de psychosynthèse. Il offre aux regards un film, et du même scénario ce fléau sanitaire présente comme le négatif. Celui-ci trouve en Atlantide son interprète idéal, quand le barbu s’adresse aux crânes : « Souvenez-vous de mes Grundrisse, où je voyais toutes les sciences enrôlées au service du Capital. Ce n’était pas encore le cas des arts et de la littérature. On n’aurait pas imaginé, de mon temps, qu’un assez médiocre prêcheur de résignance à gros tirages fût encensé comme l’égal de Balzac, Baudelaire et Victor Hugo réunis, dans l’abolition de toute pensée critique. Se pose donc la question : sur quels savoirs appartenant au patrimoine des cultures humaines une société se fonde-t-elle ? À moins d’accepter l’insulte crachée par la môme Thatcher sur ma tombe londonienne : ‘ There is no such thing as a society ’, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que mon analyse critique de la Valeur eut recours à la plus large gamme d’exemples donnés par la Parole, sous forme de citations puisées aux sources de la littérature. »
Atlas voit courir une trotteuse autour du cadran sphérique de la boule qu’il porte sur ses épaules. Cette aiguille ignore l’histoire humaine, mais enregistre en nanosecondes chaque spasme d’une guerre ayant pour quartiers généraux le New York Stock Exchange, la City de Londres et la Hong Kong & Shanghai Banking Corporation…

En annexe d’Axiome de la Sphère est un texte, rédigé et signé en juin 2014, au moment même de la proclamation d’une filiale de Kapitotal sur ma terre natale par leur fondé de pouvoir Abou Bakr Al-Baghdadi. Le récit a lieu dans le Bureau Ovale de Washington, en présence d’une statue du calife des Mille et Une Nuits Haroun Al Rachid, qui rapporte ce qu’il entend sous le regard de Shéhérazade : Acéphalopolis en est le titre. Celui-ci se confirmerait-il par l’absence de curiosité des mortels, que nous leur donnerions encore une leçon de socialité. Dans la fosse de l’océan, l’orchestre accorde toujours ses instruments avant le lever du rideau. Shéhérazade met en scène son histoire sans fin.

Gilgamesh – avril 2020

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 Haroun al Rachid