SPHÈRE CONVULSIVISTE
 
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 Arthur Rimbaud

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 Karl Marx









 Arthur Rimbaud en Afrique
 
Sphère >  9. Homo Bubble-Gumis

Neuvième invitation à l'Axiome de la Sphère

Homo Bubble-Gumis

L’Atlas culmine, l’Atlantique gît, l’un et l’autre à autant de mètres que j’ai franchi d’années. Coïncidence ourdie par la Sphère, bouleversante pour la Pyramide. Atlas n’est-il pas un vieux nom berbère, antérieur à mon épopée, dont les Grecs firent un axe mythique entre ciel et terre ?

L’océan ressemble à une marmite en ébullition. Sans qu’aucun expert ne puisse en identifier la cause, toute la surface liquide entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique se boursoufle comme sous l’effet d’un virus inoculé par quelque puissance ennemie. La température de l’eau, sous haute surveillance, demeure pourtant normale. Qui pourrait se douter de l’effet d’innombrables narguilés sous-marins dans ce phénomène ? Des volutes parfumées se mêlent à l’atmosphère, exhalant les subtils mystères d’une île engloutie. Les nuages, les vents, les astres du ciel semblent faire écho au chœur des sirènes rassemblées en Atlantide…

J’imagine mon scribe observant ces détails sur le rivage au pied de la montagne. Par quelle folie certains dédaignent-ils une carrière assurant confort et distinction sociale ? Réponse dans Axiome de la Sphère

Depuis cinq millénaires, chaque siècle m’accueille avec flèches, balles puis bombes de silence. Rares sont ceux qui jugèrent bon de connaître mon épopée, tant la précède une ombre impardonnable pour les idoles ayant régné sur l’histoire, la dernière en date étant celle des vitrines…

J’ai tissé tant d’horizons que la tapisserie qui en résulte porte au cœur de sa trame une image interdite : celle de l’ancêtre Cham. N’est-ce pas lui que j’invoque sous le nom de Shamash dès ma première aventure ? Sa réponse, et notre dialogue muet, n’inaugurent-ils pas la littérature ? Mes aveux de faiblesse et de finitude (les précédents exploits du 5e roi d’Uruk après le déluge n’étaient pas dignes d’être gravés dans l’argile) et les secours que m’accorda Shamash au prix d’une querelle avec le roi des dieux, puis les douze lieues parcourues dans les entrailles du mont Ararat pour tenter de revoir mon frère au royaume des ombres, clamant ma peur de la mort à une cabaretière devant l’océan, laquelle me prodigua le conseil d’abandonner cette quête vaine, et l’obstination de poursuivre un voyage insensé dans l’au-delà du monde connu, sur des flots inexplorés, faisant de mon corps un mât dont la voile était mon vêtement, jusqu’à rencontrer le Lointain, seul homme à qui fut accordée la vie éternelle, pour lui poser la plus simple des questions, « Comment trouverai-je la vie que je cherche ? » : tout cela mérite-t-il moins d’honorer les yeux d’aujourd’hui que ceux de la déesse Ishtar ? Cette recherche diffère-t-elle beaucoup de celle qu’un poète cinq mille ans plus tard traduirait par ces mots : « La vraie vie est absente » ?...

 Tablet of Shamash

Axiome de la Sphère poursuit la double interrogation de ce poète et d’un penseur de la même époque, ayant écrit voici un siècle et demi : « Après moi le déluge. Telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. » « Le capitalisme ne développe la technique qu’en ruinant les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur. » « Pour la première fois, la nature est devenue un pur objet utilitaire : elle n’est plus reconnue comme une force existant par elle-même. » « Telle est la loi qui contraint le capital à ne laisser aucun repos à la force de travail, et à lui murmurer sans cesse : Avance ! Avance ! » « La croissance industrielle a provoqué une telle destruction des forêts que tout ce qui est fait pour son maintien ou sa réhabilitation semble infime. » « Avec les populations urbaines qu’elle entasse dans de grands centres, la production capitaliste amasse d’un côté la force motrice de la société, et perturbe d’un autre côté le métabolisme entre l’homme et la terre, donc le retour au sol des composantes de celui-ci, épuisées sous forme de marchandises. La production capitaliste détruit l’éternelle condition naturelle d’une fertilité durable du sol. » « L’exploitation et le gaspillage des ressources des sols remplacent la culture consciente et rationnelle, condition nécessaire pour perpétuer la chaîne alimentaire. » « La société n’est pas propriétaire de la terre. Elle n’en a que l’usufruit et doit la léguer aux générations futures après l’avoir améliorée. » « Du point de vue d’une organisation future de la société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe terrestre sera aussi absurde que le droit de propriété d’un individu sur un autre. » « Le communisme supprimera l’opposition entre l’homme et la nature, comme celle des hommes entre eux. »…

 Arthur Rimbaud en Afrique

La prescience visionnaire propre à leur auteur dénonce en ces phrases, paraissant écrites aujourd’hui, le désastre dont chacun feint de pleurer les effets tout en condamnant Marx pour en avoir analysé les causes. N’est-il pas coupable des pires tragédies du XXe siècle ? Au nom d’un libertarisme dont se nourrit le chaos, les voix officielles accoutument le peuple à la fatalité d’une catastrophe n’ayant de remède que le care

À ce dernier mot retentit un rire de tous les crânes au fond de l’abîme. En l’absence d’une grille de lecture opératoire pour conjurer le mal, comme naguère la pensée de Marx, qui permit à Lénine d’éclairer les causes financières de la guerre mondiale, s’est imposée la vulgate, née sur les campus américains, des médications individuelles…

Transformer le monde et changer la vie sont les injonctions conjointes lancées par ce penseur et ce poète (que l’on peut considérer comme le véritable axe franco-allemand) vers les années 1870. Ces formules ont été réduites en slogans pour former une matrice idéologique au cours du dernier demi-siècle, affirme l’auteur d’Axiome de la Sphère

Son œuvre entière se réfère donc à Marx et Rimbaud, qui firent l’un et l’autre allégeance à l’ancêtre Cham. Tous deux répudièrent la version biblique de l’histoire et fuirent la Pyramide pour accéder à la Sphère. Dès le premier roman mettant Atlas en scène, voici trente ans, cette vision s’exprime face à une galerie de personnages emblématiques du dernier demi-siècle, parmi lesquels émerge une caricature de l’actuel Killer Donald, sous les traits du fringant Herr Doktor Bubble Gum

 Donald Trump Bubble Gum

Un monde sans axe n’exige-t-il pas un humanoïde privé de colonne vertébrale, dont la structure tient en une carapace d’apparence blindée, molle telle une bulle de chicklet prêt à exploser comme n'importe quelle bulle financière ?…

Pendant ce temps s’aggrave l’épidémie de l’océan. Combien de perles et diamants rougeoient dans des braseros invisibles ? Sur la plage, les touristes hésitent à mijoter dans ce bouillon de culture où mon scribe tourbillonne parmi les avalanches d’écume. Il a confié son sac à des étudiants de Francfort portant shorts et bikinis fluorescents sur des corps aux couleurs de gomme à mâcher. Vautrés dans le sable, aucun n’a entendu parler de l’Institut de critique sociale ayant rendu leur ville mondialement célèbre. Ils ignorent les noms d’Adorno, Lukacs, Benjamin, Bloch et jusqu’à celui de Stefan Zweig. Pauvre Françoise Wuilmart, traductrice de ces deux derniers, lance mon scribe vers le sommet de la montagne en revenant de son plongeon. Futurs diplômés en Medias et Communication, ils n’ont jamais lu une ligne de Marx et, par contre, bénéficient de cours passionnants sur Nietzsche…

Mon scribe s’allonge et ouvre Totalité et Infini d’Emmanuel Levinas, trouvé au souk. L’incipit prétend citer : « La vraie vie est absente mais nous sommes au monde ». « Nous ne sommes pas au monde » écrit en réalité Rimbaud dans Une saison en enfer. Pourquoi cette falsification grossière, de la part d’un philosophe adulé de l’ère postmoderne ? À quelques pas, l’une des étudiantes mâchonne du chewing-gum en s’amusant à faire des bulles, grimacières contrefaçons de la Sphère.

Gilgamesh – mars 2020

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