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Sixième invitation à l'Axiome de la Sphère

Ecce Homo

« Khasna n’bqow EN ACTION ! »
Abdelkader ABOUBA, créateur de théâtre marocain, mort le 20 janvier 2020.


Mon âme a la nostalgie de l’ancêtre Cham et mon ADN, celle d’une voltige dans les arbres d’Afrique il y a cinq millions d’années.
Votre épopée fut une flamme promenée dans le cerveau de l’humanité pendant cinq millénaires, me confiait Jérôme Bosch, dont les visions font crépiter ce cerveau d’un feu sans précédent depuis cinq siècles…

Restons-en pour l’instant à mon histoire personnelle, puisque le plus vieux crâne humain (300.000 ans) parle dans Axiome de la Sphère. Ce crâne, détenteur d’une mémoire universelle, fut-il jamais plus illuminé qu’au terme de la première guerre mondiale ? Un livre phare du XXe siècle (Die Fackel im Ohr / Lebengeschichte), du prix Nobel Elias Canetti, intitulé dans la version française Histoire d’une vie, voit ici négligée la première partie de son titre : Le Flambeau dans l’oreille

 Elias Canetti

C’est d’un crâne embrasé par ses expériences durant les années 20 que traite ce chef d’œuvre publié longtemps plus tard. Je prends la liberté d’en rappeler l’existence, non seulement parce que l’auteur m’y fait de vibrants hommages (« le poème de Gilgamesh a exercé plus que toute œuvre littéraire une influence déterminante sur ma vie »), mais surtout pour ce flambeau qui ne lui sera jamais sorti de l’oreille, allusion à la revue Die Fackel d’un génie nommé Karl Kraus (auteur des Derniers jours de l’humanité), dont les conférences enflammaient le public…

On chercherait en vain, de nos jours à Bruxelles, un écrivain défiant la société entière par ses textes pamphlétaires comme le faisait Kraus à Vienne, qui était la capitale de l’Europe voici cent ans. Pareille figure mythique n’ayant plus lieu d’exister, je me suis résigné à trouver asile dans les écrits d’un quelconque aède imaginaire, pour y rendre visible cet Axiome de la Sphère

Puisse l’éventuel spectateur ne pouvant croire à la réalité d’un acteur vieux de 5000 ans, jouant son propre rôle sur la scène contemporaine, au moins lui accorder la dignité que l’on réserve aux simples d’esprit, dont le délire quelquefois sonne plus juste que les sagesses de la Cour. Tout au long de cette aventure, mon auteur fictif donne d’ailleurs la curieuse impression de vouloir marquer les consciences ainsi qu’une créature tenant à la fois d’Hamlet et de Don Quichotte, exprimant une critique du monde sans laquelle celui-ci succomberait à l’abomination. Face à l’Atlantique, au pied de l’Atlas (où fut trouvé le crâne), il vient de convier 40 jours après sa mort le dramaturge Abdelkader Ababou à créer un spectacle d’Atlantes. Jusqu’au dernier souffle, dans un arabe dialectal intégrant des mots berbères et français, celui-ci enjoignait à ses proches de poursuivre le chemin tracé par Bertolt Brecht…

 Abdelkader Ababou

Que sommes-nous, l’auteur et moi, sinon les personnages d’une pièce de théâtre ayant pour plateau l’histoire de 50 siècles, indispensable à ses yeux comme perspective pour éclairer les cinq ultimes décennies ? L’un et l’autre n’ignorons certes pas combien, durant cette période, la scène s’est rétrécie à la taille des écrans de poche, le temps historique n’excédant plus 50 jours – voire autant d’heures, minutes ou secondes. Au cours des années 80 (rappelle mon scribouillard), il signalait à ses amis soviétiques une situationnisation du monde culturel occidental, à coups de performances ayant pour prétexte le dépassement de l’art par d’incessantes créations de situations. Lui-même ne fut pas le dernier à pratiquer ce type d’expériences, phénomène ayant depuis lors connu les développements mimétiques les plus spectaculaires en Russie…

Désormais tout l’espace public mondial, qui était déjà essentiellement situationniste, l’est devenu visiblement, nous dit Axiome de la Sphère. (Ce mythomane fut traité de fou dangereux stalinien par Guy Debord.) Il ne faut donc pas craindre le paradoxe pour s’aventurer sur ces terres. Une surenchère des postulats de la modernité, niant tout héritage de la tradition comme tout lien avec l’ancestralité, postule cette idéologie de l’immédiateté. L’essentielle dignité de l’humain n’est-elle pas réduite à néant par la négation d’une axiologie définissant l’humanité comme tendant vers Justice et Vérité ? Pareille axiologie liait Isaïe, Socrate et Homère. Contrairement à la Parole porteuse de ce double idéal ouvert à l’au-delà, sans valeurs est la Valeur. Kapitotal désigne l’ère d’une tyrannie de la circulation marchande, à ce point totalitaire qu’elle soumet tout Logos aux appareillages techniques de la tour Panoptic…

Les feux de Panoptic répandent une ténèbre plus épaisse que toutes les nuits du monde, voile noir d’un sang coagulé qui constitue Kapitotal. Depuis miradors et jets privés, BHL & Co surplombent un marché médiatique où n’a plus cours que la fausse monnaie du verbe falsifié, fomentant leurs prochains bombardements dans une complète inertie des intelligentsias gavées de distinctions bourgeoises ou jugulées par la précarité. L’ordre pyramidal ne rencontre guère de résistance quand il recourt à l’armature idéologique judéo-chrétienne comme simulacre tenant lieu d’axe moral, autorisant les gangs étatiques, aux ordres des multinationales, à travestir leurs massacres en série sous le képi d’une guerre du Bien contre le Mal…

 BHL

Même s’ils n’ont pas tous la vulgarité du truand déclaré Mike Pompeo pour clamer la victoire de l’Occident – négociant le contrôle du trafic de l’opium en Afghanistan avec les talibans –, mille idéologues usent du même armement contre les fantômes de l’Afrique et de l’Orient. Une citation de Rimbaud tirée d’Une saison en enfer ouvre Axiome de la Sphère : « J’entre au vrai royaume des enfants de Cham ». Quelles relations mystérieuses entre ces éléments, sinon l’antériorité de Noé ? Cham sera donc appelé le plus vieil ancêtre mythique de l’humanité. L’équipée, relatée dans ce livre, entre Bruxelles et le mont Ararat, est émaillée de messages électroniques lancés par celui qui a cru bon de se présenter comme improbable ambassadeur d’Anatolie en Atlantide. Assumant son écartèlement de toujours entre l’Est et l’Ouest comme entre Nord et Sud, le signataire fictif se prétend médiation vivante entre l’Occident et l’Orient comme entre ciel et terre. Il a recueilli le message du crâne préhistorique dans l’Atlas face à l’Atlantique, alors que son récit m’a fait cheminer jusqu’aux abords du mont Ararat en Anatolie. Cette région proche de ma Mésopotamie natale marquait une frontière pour l’empire de Rome : la question coloniale est essentielle dans ce livre, comme celle des conflits religieux au Moyen-Orient…

Le chapitre final se déroulant à l’intérieur du Jardin des Délices de Jérôme Bosch, n’y voit-on pas Jésus, entre Adam et Ève, renvoyer aux humains d'aujourd’hui l’affirmation de Pilate l’offrant à la vindicte de ceux qui veulent sa peau, mais sous forme interrogative : Ecce Homo ?...

Quelles résonances 20 siècles plus tard ! Ces deux mots, proférés par un sbire d'empire colonial comme toujours agent de la paix, traversent l'histoire ainsi qu'une flèche enflammée dont le voyage va de Jérusalem à Jérusalem.

Gilgamesh – février 2020

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