SPHÉRISME > Confession de Nafissatou Diallo 7

Confession de Nafissatou Diallo

 Acte 7

" Oh moon of Almaviva,
We now must say good bye... "

Bertolt Brecht, Alabama Song
in Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny


" Or, messieurs, la co-omédie
Que l'on juge en cè-et instant,
Sauf erreur, nous pein-eint la vie
Du bon peuple qui l'entend.
Qu'on l'opprime, il peste, il crie ;
Il s'agite en cent fa-açons ;
Tout fini-it par des chansons... "

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro

Abîme du ciel et des eaux, cadence de vague en vague, page d'écriture...
Je me suis élevée de ciel en ciel, puis je suis redescendue purifiée pour me déposer comme une rosée.
Cri en fin de nuit. Celui du Bien-Aimé. Que je console sur son divan. Pour qu'il retourne à sa chanson.
Pousse-toi donc un peu sur ton waterbed ! Dans le ciel, as-tu vu le visage d'Ophelia, ton ange en dentelles ?
Il existe un septième ciel dans la tradition de l'Islam. Ce qu'ignore l'Occident, pour lequel cette expression s'entoure d'un parfum licencieux n'évoquant la jouissance que de manière allusive, par le genre de sous-entendus égrillards dont hommes d'affaires et autres grands décideurs en goguette raffolent. Ainsi j'ai lu dans un journal français tiré d'une poubelle du Zuccotti Park, à deux pas de Wall Street, qu'un dénommé Dodo la Saumure, " Français joufflu de 62 ans, crâne lisse et yeux ridés ", ne fait plus guère le malin dans sa " maison close en face de l'hôtel de police ", ni dans son " Smoke Havana face à la caserne des pompiers ", depuis qu'il est emprisonné pour proxénétisme, de même que sa compagne Béa, tous deux " au coeur du dossier dit du Carlton, qui, avec ses parties fines et le nom de Dominique Strauss-Kahn en toile de fond, agite le milieu des notables politiques et des industriels dans le Nord de la France ".
Ce couple sympathique n'était-il pas le fournisseur en chair fraîche des soirées parisiennes auxquelles participaient Béa et DSK ?

Mais d'abord : quel rapport avec le comte Almaviva ?  Peut-être aucun, sinon le fait que la même page du journal évoque un coup de filet policier dans les bars de Marrakech, "capitale mondiale de la prostitution", rendant hommage d'autre part à une jeune enseignante récemment immolée par le feu dans son collège pour cause de burn out, maladie devenue chronique dans une profession frappée plus que toute autre par les fléaux d'un néolibéralisme ne conduisant plus qu'assez rarement les héroïnes de l'école au septième ciel. Mon Bien-Aimé, comme si tu avais été capable de m'y conduire !  Mais Allah soit loué pour l'idée de cette pièce de théâtre qu'il a pu faire germer en moi telle une semence miraculeuse, dans la volupté de la langue !

Un état de démence psychotique est donc désormais la norme pour ce qui sert de tête au capitalisme. Le berceau de la démocratie va-t-il confier son destin à la voix des urnes ?
"Coup de théâtre dans la tragédie grecque !"
Voyez-vous, c'est que les peuples sont incapables de comprendre la réalité, proclament leurs propriétaires.
Dans le même temps, qui voudra croire que le revenu d'une taxe de 1 % sur les transactions financières équivaudrait presque au PIB mondial ?  Ne sont-ils pas farces, les bergers de l'humain troupeau ? 
Oui, qui pourrait encore croire ce qui est pourtant la plus stricte réalité ? 
Quel dramaturge outrepasserait-il celle-ci ?
Il ne s'agit ici que d'une comédie française, ayant ambition d'élucider la réalité, ô mon Bien-Aimé !

Une comédie française pour laquelle, si l'on n'oublie pas le personnage de Tartuffe, ni telle Femme savante et Précieuse ridicule adepte des lumières d'Alain Minc, signataire avec Almaviva du Pacte de Marrakech et préfacière de Tony Blair, c'est tout Molière qui devrait être ici convoqué. Comment ne pas recourir au passé pour le génie satirique, si de nos jours les comiques troupiers préposés aux fonctions humoristiques n'ont que leur bêtise et leur ignorance comme armes spirituelles pour seconder l'extrême-droite et le ministère de l'Intérieur dans les mobilisations de leurs caricatures contre le grand rire des prophètes !  Toute une société, sans le savoir, vire de la névrose à la psychose parce qu'au déni de réel elle ajoute le déni d'idéal... Croyant insulter Muhammad par quelques petits mickeys imbéciles, ils détruisent les vestiges de leur propre culture en ruine : aucun d'entre eux ne peut savoir que La Divine Comédie s'inspire du voyage décrit dans le Coran.
Qu'est d'autre la réalité qu'un processus en devenir, fruit de l'interaction de la praxis humaine et de sa théorie toujours plus complexe, ayant pour conséquence de modifier sans cesse par le champ toujours plus élargi de la culture ce qui sans ce processus demeurerait immuable ordre naturel, que nul ne serait là pour considérer comme réel ?  Qu'est d'autre l'idéal que le pressentiment, consubstantiel à l'humanité, d'un ordre potentiel où les richesses nées de la nature et de la culture produiraient des jouissances infinies sous les lois de la justice et de la vérité ?  Sur ce continent d'Amérique, le grand poète Walt Whitman exprima de la plus haute voix cet idéal, envisageant la démocratie comme un processus, à peine entamé, dont la tâche du poète était de traduire l'essence épique. Depuis la Grèce antique, la démocratie ne postule-t-elle pas que la Cité se doit d'obéir à des normes édictées au terme d'un débat public, où chacun peut intervenir librement pour exprimer ses arguments ?  L'attribut du Logos, définissant tout citoyen comme "politikon zôon " – animal raisonnable - est l'outil décisif dont l'usage universel, rendu possible par une priorité politique accordée à la culture, autoriserait l'avènement d'une démocratie mondiale.

Sans doute, les notions de justice et de vérité font-elles partie du vocabulaire privilégié du prophète Josué ; comme, il y a peu, le comte Almaviva déclarait encore : « Mes seules préoccupations sont de servir le bien public ». Mais l'esprit de responsabilité, le sens des valeurs partagées, la notion de bien commun, le souci d'un destin collectif, l'inquiétude quant à l'intérêt général ou l'appel à des principes universels : qui ne voit comment ces grands mots se fracassent contre la logique intrinsèque au capitalisme, que sa crise encore non analysée - sinon dans Le Capital de Karl Marx - poussera toujours plus à imposer une démocratie des bombes, par les bombes et pour les bombes ?  Au temps de Beaumarchais, ces idées nobles n'avaient-elles pas été brandies par la bourgeoisie pour jeter bas le féodalisme ?  Si l'humanité se caractérise par le fait de pleurer et d'enterrer ses morts, donc par la capacité d'exprimer un émoi collectif devant l'injustice quand elle frappe à mort, tous les pseudographes et pseudologues aux gages d'un tel système, de quelque masque ou costume qu'ils se déguisent, ne peuvent plus être assimilés à des défenseurs de la bestialité que sous peine d'insulter gravement la gent animale.

Depuis le septième ciel, j’implore le pardon très miséricordieux de ceux qu'épouvantera ma parole, car leur septième étage intellectuel et spirituel a été condamné, de même que le sixième, voire même le cinquième et le quatrième, les plus hauts messages de l'Occident ne s'écoulant plus qu'à hauteur du troisième niveau de l'Atlas.


VOIX off

Mahmoud Jibril is now the prime minister of the Transitional Council of Libya. The opposition of Jibril to the United States of Africa's project is the reason he conspired against Qadafi. Supporter of the Arab dictators, he is a democrat, isn't 'it ?

Toute humanité doit inventer des signes conciliant vie et mort, nuit et jour, idéal et réel.
Prophétie, philosophie, poésie : parole sacrée, logos, mythe.
Le théâtre est au coeur de ce dispositif, depuis l'acte fondateur d'Abraham et de Dionysos consistant à sacrifier un animal plutôt que de verser le sang humain. Les missiles à l'uranium appauvri largués sur l'Irak au cours de la dernière décennie produisant aujourd'hui leurs effets secondaires sous forme d'enfants naissant difformes et privés de certains organes, c'est au cours des prochaines années que le Nord de l'Afrique mesurera, dans toute son ampleur, l'acte de civilisation que fut ce largage de la démocratie par les bombes de l'OTAN. Ne se prépare-t-il pas une même libération de l'Iran grâce aux puissances atomiques de l'axe ?  Ainsi faut-il sans doute entendre le jovial message des chefs d'Israël, qu'inspire l'Ancien Testament, pour justifier leur futur massacre préventif.
Ainsi l'Occident judéo-chrétien n'élève-t-il pas à une altitude inédite la signification symbolique du théâtre ?
Car qu'est d'autre celui-ci qu'un simulacre ?  Or, la plus énorme des mascarades jamais conçues nous est fournie par les dirigeants du G20 feignant de s'interposer comme un bouclier protecteur entre les peuples et le péril qui les menace, quand ils sont le bras de ce glaive dirigé contre les peuples, ainsi que le fut celui d'Abraham levé sur la gorge de son fils Isaac.
Mais l'Ange intervint alors, selon notre croyance que perpétue chaque année la fête sacrée du sacrifice.
Les yeux grands ouverts face à l'aurore je comprends enfin ce que voulait dire mon père. L'aveuglement de l'Occident face à l'Orient relève d'un phénomène optique. Une source lumineuse trop intense pour une capacité de vision défaillante, préférant nier l'origine de son éblouissement pour se tourner plutôt vers son ombre vacillante. Je pourrais abandonner l'idée de ce spectacle et m'en retourner à New York. Mais qu'en penserait mon père ?  Je ne crois pas le trahir en imaginant qu'il aurait aimé voir interpréter cette
Confession sur quelque scène prestigieuse, comme celle de la Comédie française. Mais avant cela, mon Bien-Aimé : les kiosques n'annoncent-ils pas ton anniversaire de vingt ans de mariage pour ce mois de novembre, au cours duquel nous fêtons l'Aïd al Kebir ?  Pourquoi ne pas associer les deux événements ?  Je te propose d'offrir ce soir à ta sultane légitime un cadeau de pacha : la représentation de ma pièce dans vos jardins de Marrakech.


Didascalies

Cette pièce démontre que les juges ont bien fait d'acquitter le comte Almaviva, qui fut la dupe aliénée de cette histoire. Une dupe au sens le plus vaudevillesque du terme. Si la folie de certains personnages de théâtre résulte d'une scission mentale par laquelle ils perçoivent théoriquement leur infortune sans en tirer de conséquences pratiques, le cas du comte me paraît pire en ce qu'il agit pratiquement dans une direction, dont son système psychique est incapable de concevoir les conséquences théoriques.
Aliénation mentale sans doute incurable...
Car cet homme doit son statut social exceptionnel à de supposées facultés intellectuelles hors du commun. Quelque chose est donc malade en ce lieu du psychisme social où les fonctions théoriques sont censées s'élaborer. Dans son cas, impossible de lui "refaire voir" ou de lui montrer à nouveau (comme chez le refoulé) ce qu'il n'avait pas voulu voir. Toute remontrance est vaine : on ne saurait en remontrer à qui toujours conserva sous les yeux cela qu'on se propose de lui faire voir derechef.
C'est donc dans les zones les plus souterraines de la psyché collective qu'il faut signaler la pathologie : dans l'inaptitude à enregistrer comme réel ce qu'on a vu - aptitude à l'enregistrer comme irréel ! -, dans la mesure même où l'activité professionnelle consiste à faire voir comme réel ce qui relève de l'idéel, voire de l'irréel...
Dissociation non sans rapport avec le fait que ces illusionnistes exercent une activité quotidienne consistant à faire montre d'habileté dans un domaine, tout en orientant le regard ailleurs, où il ne se passe rien. Comme le dramaturge, usant des artifices de la scène pour induire en illusion le spectateur, mais avec une tout autre finalité que celle des propriétaires du monde. Puisse ma pièce contribuer à ce que ceux-ci s'en avisent : l'art est un regard qui les surplombe.

Aïd el Kebir 2011


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