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Confession de Nafissatou Diallo

 Acte 5

" I was damned if I did, and damned if I didn't. "

 Piroska Nagy, Fonctionnaire au FMI 

Je suis les montagnes et l'océan, je suis la source et le rivage, et je suis aussi les nuages pour suffoquer des 30 milliards de tonnes de CO2 chaque année crachées par leur frénésie démente. À ce jeu dit win-win tout le monde sera vaincu, même si les règles officielles en sont : pile je gagne, face tu perds.
Que toute détresse recule et disparaisse !  Me voici, tourbillon de désirs tournant autour du Bien-Aimé, afin que de nouveau tout s'illumine. Rien de tel que les feux de la rampe lancés par l'écume des vagues et le projecteur du soleil à l'horizon pour m'envahir de cette excitation qui saisit l'actrice en scène...

Comme tu m'attendris quand tu fredonnes cette chanson laissant penser que je suis ta lune, ô Bien-Aimé !
Il me réjouit qu'au même moment un Théâtre du Soleil  traverse l'Atlantique en direction de l'Amérique du Sud puis de New York, porteuse d'une pièce intitulée Les Naufragés du fol espoir. Comme tu l'auras compris, cette représentation que je donne tout entière consiste en didascalies pour un projet d'ampleur démesurée, qui ne devrait pas négliger d'offrir une perception sensible de la rotation terrestre : deux mille kilomètres parcourus à chaque heure de spectacle. Comme bon te semblera tu disposeras les différentes scènes au gré de ta fantaisie, le plateau devant par convention représenter l'océan. Libre à toi d'y poser une flottille d'embarcations figurant le Palais des Mirages à Marrakech, l'Elysée à Paris, la chambre du Sofitel à New York, Jérusalem et la Terre Promise pouvant aussi bien se trouver au milieu de l'Atlantique...

L'essentiel n'est-il pas que ce théâtre produise une élucidation ?
Feindre de croire le comte Almaviva comme le prophète Josué correspond à un suicide intellectuel et spirituel. De même qu'il faudrait le génie de Shakespeare pour tenter d'esquisser le portrait d'un homme comme Qadafi, celui de Bertolt Brecht serait nécessaire pour peindre le ridicule d'un moderne bourgeois bouffi de certitude en sa prétendue noblesse, comme il le fit en redessinant le Don Juan de Molière, tout aristocratique prestige aboli sous les traits d'un noceur parasitaire du plus vulgaire acabit.
Dans les deux cas, le théâtre seul serait capable d'élucider publiquement une imposture historique, donnant à voir l'ensemble des rapports - occultés par une omniprésente pseudoscopie - qui sous-tendent ce que le show met en lumière.


VOIX off

Amongst the Libyan officials who viewed this project with horror was Mahmoud Jibril. He would become the head of the People's Committee, to impose neo-liberal economic reforms, opening the doors for privatization and poverty in Libya.

Voici le monde brutalement transformé sous nos yeux. Jusqu'à il y a peu, l'inversion pyramidale opérée depuis quarante ans se caractérisait par une distorsion toujours croissante entre les discours officiels et l'ensemble de la réalité qu'ils étaient censés représenter, sans qu'un tel écart n'en vienne encore à valoir symptôme d'absolue démence. Le grand banditisme avait certes pris le gouvernail, mais il est des paquebots aux mains de la mafia qui n'en mènent pas moins leurs traversées sans trop d'encombres pour les passagers.
La séquence récente inaugure une ère prometteuse quant aux relations du crime et de la folie.
C'est que tueries, pillages, fraudes, escroqueries, vols, agiotages, prévarications en tout genre organisés par la compagnie de navigation s'accompagnèrent, pour la recherche du profit maximal, de telles coupes sombres dans le budget du personnel formant l'équipage, qu'il en résulta de graves avaries dans la salle des machines, jusqu'à menacer le navire de naufrage.
Les responsables du sinistre, ayant falsifié du tout au tout les conditions du voyage en regard du contrat tacite passé avec la clientèle, ne risquaient-ils pas d'être démasqués par leurs dupes, lesquelles auraient pu mettre aux fers à fond de cale officiers et capitaines félons ?  Ceux-ci, d'ailleurs, ne sont-ils pas les premiers à soutenir toute mutinerie se produisant sur une flotte rivale ?  Ce dont nous avons eu l'expérience passe l'entendement. Jouant d'un chantage défiant toute raison, laissant entendre qu'il n'était d'autre espoir de salut que sous leur protection - tant sauvegarder la confiance en leur compagnie demeurait une indispensable condition de survie pour tous - nous vîmes d'authentiques pirates, aux ordres de ces forbans, rançonner de force les passagers de toute catégorie (à l'exception des premières classes), sous le prétexte qu'il s'agissait du seul moyen d'assainir la situation ! 
Leurs arguments ?  Nos mécanismes de contrôle n'ont pas suffi, ou furent mal appliqués : c'est donc à vous de casquer, sous peine de compromettre une bonne remise en marche des machines !
Un si vertigineux saut du diable mental a naturellement des conséquences dommageables, davantage encore que sur les portefeuilles, au plus profond de leurs organisations psychiques, chez les infortunés se trouvant pris au piège - et sans que quiconque d'autre ne semble s'en aviser qu'un éventuel passager clandestin.


Didascalies

Pareille manière d'en finir avec le réel ressemble à son acceptation passive, bien que non effective. Une photo non révélée, dont on n'exige pas davantage que de subsister à l'état de négatif. Nul ne refuse de voir que cette année dix millions d'enfants doivent mourir en bas âge par la logique d'un système économique. Cette Shoah se planifie dans les milieux mêmes faisant profession d'entretenir le souvenir d'autres holocaustes. Or nul ne nie la réalité de la famine montrée sur l'écran du téléviseur à l'heure du repas familial, après les images où l'on a vu le comte Almaviva se régaler d'un plat de truffes à mille dollars dans son bistrot préféré de Manhattan, et toujours être présenté comme un garant de la justice, malgré quelques funestes penchants personnels.
Car la complaisance pour le réel a ses limites : elle s'arrête au seuil où cette perception deviendrait cognition. Faisons comme si l'on n'avait rien vu !  Faut-il s'étonner si pareil schéma se complète symétriquement par son inversion dans les affaires privées concernant des personnages publics, où tout le monde a toujours tout vu !  Dans l'un et l'autre cas, la mise hors jeu du réel signifie le refus de son accréditation dans un ordre supérieur : celui des choses promues à l'étage où ce sont désormais principalement les fantasmes qui accèdent au statut de pleine et entière dignitas. Plusieurs milliards d'êtres humains réels n'entrent pas dans cette catégorie, tels des mineurs d'âge ou des personnes à responsabilité limitée ne pouvant se comparer au club des propriétaires du monde. Anne Sinclair, Hillary Clinton, Marine Le Pen, Christine Lagarde ou Carla Bruni proférant l'une de leurs imbécillités coutumières jouissent d'une présomption de respectabilité a priori infiniment supérieure à toutes les créations potentielles de toutes les Nafissatou Diallo.
Il n'est pas certain qu'échappe au sort de la poussière quoi que ce soit de leurs caquetages professionnels, destin de néant que nul ne peut garantir à la présente Confession. Comme la pyramide sociale bénéficie d'un éclairage augmentant à mesure que l'on approche du sommet, la maîtrise des projecteurs dicte peut-être les conditions d'accès au statut de réel, mais pour un temps qui tend vers le zéro. Ainsi, n'est avérée nulle part ailleurs que dans la dimension de l'immédiateté médiatique, la défaite historique de Qadafi. Sans doute son système politique, étendu à l'ensemble de l'Afrique, menaçait-il de sauver des vies humaines par centaines de millions, sans compter la dignité promise aux enfants, par un élémentaire droit d'accès à l'école et aux soins de santé. Certes, ce fait réel pesait moins que les images de quelques figurants déguisés en rebelles et arrosés de dollars venus du Qatar, ayant servi de prétextes au déploiement d'une politique de la canonnière new look. Mais qui peut dire ce qu'il en sera demain de la semence de Qadafi, qu'à tout prendre je préfère à celle d'un dirigeant du Fonds monétaire international ?  Même si l'on habille le vieil impérialisme d'oripeaux révolutionnaires avec le même flegme que l'on fit un salvateur de l'Afrique du comte Almaviva.


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Les Perles du Scandale
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