SPHÉRISME > Confession de Nafissatou Diallo 4

Confession de Nafissatou Diallo

 Acte 4

" Faut-il dire le pourquoi ?
Les plus forts ont fait la loi... "

Beaumarchais , Le Mariage de Figaro

Le soleil vient à moi sur les lèvres de l'aube, dans une beauté si brutale que je m'agenouille - aux pieds du Bien-Aimé. Cette chose enrobée d'un prestige planétaire peut-elle avoir conscience de la pitié dont j'ai fait preuve à son égard ?  Oui, la commisération seule empêcha ma douleur de se transformer en haine !
Mais le comble de la miséricorde fut pour moi de taire ce dont la divulgation pour lui aurait été la pire : que cette arrogance commune à tous les propriétaires du monde masque un complexe d'impuissance, dérivé de cette hantise de la mort inconnue chez nous, qu'en langage médical on nomme aphanisis.

« Je veux que cette femme soit jugée et condamnée », aurait prononcé l'honorable comte Almaviva devant les caméras qui chaque jour accueillent un nouveau prêche du vénérable prophète Josué. Si le public de la comédie française ordinaire a pu lui faire crédit d'une autorité supérieure, à lui qui était présenté comme le vainqueur de l'élection présidentielle avant même d'en être le candidat de l'un des partis, n'est-ce pas qu'une bestialisation de la société civile, où le ça des instincts prime désormais sur le surmoi dans la hiérarchie des valeurs, s'accompagne d'une domestication des esprits ?  D'où la répugnance pour toute lecture distanciée du réel, qui incombait jadis à l'intellectuel. Freud aimait raconter une anecdote résumant le déni de réalité : « Je ne vous ai pas emprunté de chaudron ; d'ailleurs, je vous l'ai rendu et il était déjà abîmé...»

Je n'ai pas agressé cette femme. D'ailleurs, c'est elle qui m'a fait des avances ; la preuve, ces traces de griffes que j'ai sur le visage. Quant aux blessures au croupion qu'elle exhibe complaisamment à l'hôpital : êtes-vous assez naïfs pour croire qu'il ne s'agit pas d'une vulgaire mise en scène ?  Ces gens-là sont capables de tout pour faire du profit sur notre dos !  Et puis, tous mes amis vous le diront - Josué l'a écrit d'emblée : suis-je le genre d'homme à violer une femme de chambre ?  Franchement, vous rigolez !  Prétendez que je suis un homme des cavernes, tant que vous y êtes... Séducteur, peut-être ; violent, jamais. C'est question d'honneur !  Vous n'avez qu'à le demander à mon épouse...
Contre l'imputation, par autrui, d'un fait que l'on refuse d'assumer, la dénégation du réel peut être si délirante qu'elle en vient, à force d'outrance, à une torsion de la conscience produisant un aveu involontaire. Puisqu'il est question de l'épouse du Bien-Aimé, et de torsion, n'affirmait-elle pas l'an dernier à la télévision : « Il faut être tordu pour croire que Dominique n'est pas de gauche » ?

Peu importe qu'il n'y ait bruit, autour du Bien-Aimé, que d'associations de malfaiteurs ou de proxénétisme aggravé en bande organisée (ne sont-ce pas là des qualités banales, dont peut s'enorgueillir tout dirigeant d'importance mondiale ?), la représentation de son image publique en fera toujours un seigneur échappant à la loi commune. Chacun sait qu'un Noir pauvre, à sa place, aurait vu son avocat lui dire : « Mieux vaut plaider coupable que risquer vingt-cinq ans de prison ». Et il aurait accepté cinq ans à l'ombre...

Car, dans cette guignolade où Gendarme est effacé par Voleur, qui lui dérobe son uniforme en soudoyant Arlequin, criminel est par définition le gueux ne pouvant payer sa place au sein d'un public aveuglé par les projecteurs et sommé d'applaudir les marionnettes à son effigie. Qu'une figurine imprévue surgisse et tout le jeu d'ombres et de lumières prend un autre sens. Tel fut mon rôle dans cette pantomime orchestrée peut-être par mon père, qui de son vivant conservait quelques illusions sur les Pierrots de la social-démocratie...
Mais, prisonnier des préjugés de sa caste, victime d'une misère spirituelle inhérente à la richesse matérielle des parvenus, mon Bien-Aimé n'est tout simplement pas capable de concevoir un rapport humain qui ne soit fondé sur la rapacité prédatrice du maître face à l'esclave. C'est pourquoi j'avoue sans honte ici la pitié qu'il m'inspire.
L'on peut donc à bon droit - tel Beaumarchais - prendre le parti du rire. Le principal ressort comique du Mariage de Figaro n'est-il pas dans la dénégation bouffonne, par le comte Almaviva, de ses manoeuvres évidentes pour suborner une servante qui se trouve être la promise de Figaro ?  Dans le renversement des rôles, par lequel un valet manifeste plus d'esprit que le Grand Seigneur, tient tout le génie subversif d'une pièce dont je m'inspirerai librement sur cette scène océanique.

Mais s'il s'agit d'abord d'une comédie, je ne vois pas qui m'interdirait d'avoir aussi recours aux artifices de la tragédie. Pourquoi ne pourrais-je camper le personnage de Bérénice, princesse de Palestine, que des raisons obscures empêchent de convoler avec l'homme le plus puissant de Rome ?  Quelle femme ne rêve-t-elle pas de nouer avec un homme noble des noces telles qu'elle soit à jamais sa reine étrangère ?  Quel amoureux peut-il ne pas rêver de satisfaire un tel désir ?

Deux mots s'échappent toujours de ses lèvres...Moon...Almaviva... Comme si tu voulais me dire que je suis à jamais ta lune, ô mon Bien-Aimé !  Face à l'espace infini je te demande : Suis-je la lune dont les dieux ont mangé le coeur ?  Qui ramènera son coeur à la dépouille d'une lune abandonnée ?
Mais à l'horizon répond le cri de l'aurore : Je suis l'Ange déchue de l'Orient !


VOIX off

The Wealth Redistribution Project was viewed by U.S. Congress as a very serious threat for the U.S., the E.U., and a few corrupt Libyan officials. If successful it could have created political unrest amongst many populations around the world.

Lorsque nos regards se sont électrocutés sur le seuil de la chambre, il se produisit un court-circuit.
Je venais d'abaisser mon voile et il me reconnut. L'homme-à-femmes capta l'intensité d'un désir qu'il n'était pas armé pour combler. Son agression fut aveu d'impuissance. Imbu d'appartenir à la race élue (dont est illimité le crédit dans les affaires matérielles), il fut pris en flagrant délit de défaut de paiement...
Je me suis dirigée vers les deux livres sacrés posés sur la table de nuit, et j'ai prononcé les mots fatidiques.
Il parut ne pas vouloir me croire : je lui tendis l'exemplaire du Coran. C'était bien de la quatrième sourate (intitulée " 
Les Femmes" !) qu'était tiré le verset 78, que j'avais eu l'occasion de lui proférer en deux fois...
Son compte spirituel apparaissait clairement en négatif. Il était dans le rouge - et il vit rouge !
Mais comment aurait-il pu admettre un tel concours de circonstances ?...
Dans la médina de Marrakech, les deux somptueux ryads jouxtent un non moins royal Palais des Mirages.
Tout ce que l'intelligence parisienne fait briller sur la scène mondiale y tient sa cour. À l'occasion d'une fête grandiose donnée par le maître des lieux pour sceller le fameux
Pacte de Marrakech, qui assurait d'un futur triomphe le camp des opprimés, le comte Almaviva, pâle et tremblant, se réfugia dans les bras de son futur ministre de la Propagande. « C'est épouvantable, il me semble qu'elle est encore là ! » ... « De quoi s'agit-il ? »
... « Tout-à-l'heure, sur la place Jamaâ al Fna. Je bouscule par hasard une diseuse de bonne aventure. Elle ôte alors son voile. Noir, le regard ! » Son ami s'esclaffe : « Je voudrais bien savoir quelle femme ici n'a pas eu le bonheur d'être bousculée par le seigneur de cette ville ! » Le comte Almaviva l'implore : « Crois-moi, ce n'était pas n'importe quel regard. Je n'ai jamais vu çà. Elle a dit : "La mort vous atteindra partout !" » Josué le rassure, mais le comte paniqué supplie : « Je ne reste pas dans cette ville. Viens, filons à Paris ! » L'amitié véritable a ses lois : tous deux filent en jet vers le Nord et d'autres palais, d'autres fêtes. À l'Elysée, pour l'occasion d'un discours sur l'urgence de gratifier par les bombes la Chine et la Russie de la démocratie, le comte Almaviva s'écroule à nouveau dans les bras du prophète Josué.
« Mon vieux, tu ne me croiras pas, la femme... » « Quelle femme ? » « La voyante au masque de mort, celle de Marrakech ! » « Elle t'a encore foutu les boules ? » « Je l'ai heurtée par hasard en arrivant, même voile, regard identique. Elle a ajouté : " Même si vous vous trouvez dans des tours très fortifiées !" »  Le futur ministre de la Propagande console à nouveau le prochain locataire des lieux : « Cela n'a rien de terrible, il y a des dingues islamistes partout depuis le 11 septembre. »  ... « Tu ne comprends pas, je suis vraiment menacé. Accompagne-moi à jusqu'à New York ! On embarque avec nous quelques putes, le ministre de l'Intérieur et le directeur du Renseignement. Demain, nous bouffons des truffes à mille dollars au Ma Bohème de Manhattan. » ... « Ah non, mon vieux, c'est fini, j'en ai marre de tes lubies. Prends mon jet et vas-y seul avec tes putes et tes flics ! »
Le lendemain, c'est au prophète Josué que j'apparais sur le boulevard Saint-Germain. Tout de suite, il semble me reconnaître.
« Pourquoi effrayer ainsi mon ami ? » ... « Rassurez-le, je m'en vais à New York ! »
Ainsi s'explique la démence qui s'empara du comte Almaviva quand je baissai mon voile et lui révélai pour la troisième fois mon visage. Il fut saisi d'une crise de
delirium lorsque je lui rappelai le verset 78 de la Sourate ayant pour titre Les Femmes : "La Mort les atteindra où qu'ils soient, même dans des tours bien fortifiées !" En un instant, perdant toute assurance, le comte Almaviva voulut se refaire une fortune en investissant dans ces produits dérivés qui couvrent le défaut de paiement. Ce fut une erreur fatale (celle de miser en quelque sorte sur le Credit Default Swap, en poussant jusqu'à la folie le bluff sans rien dans son jeu), que commit ce petit looser gris et bedonnant, à la queue pendouillante, quand il crut pouvoir s'approcher de Nafissatou.


Didascalies

Ne dirait-on pas que, dans le monde occidental, un arrêt de perception du réel met les consciences à l'abri de tout spectacle indésirable ?  Quant au réel, s'il insiste, il pourra toujours aller se faire voir ailleurs. Exactement ce que m'ont signifié le juge et les avocats du comte Almaviva, tirant sans doute argument du fait que toute l'affaire avait été déjà suffisamment exhibée sur la place publique.
Mais l'obscénité médiatique peut-elle servir à valider le fait que le réel aurait épuisé ses droits ?
L'on vous inflige un dommage : vous exigez réparation. L'on monte alors un show autour de votre plainte, et ce sur quoi elle se fonde (qui est réel) en perdrait par là-même toute réalité, qui s'est en quelque sorte vidée, transférée - transfusée - dans l'image de qui commit le dommage, détentrice exclusive de cette réalité ?  Tout se passe comme si le réel gênait ceux qui ont intérêt à s'en affranchir. On s'en débarrasse par une manoeuvre du regard qui ne dit ni oui ni non à la chose perçue, qui ne l'admet ni ne l'expulse : qui lui dit à la fois oui et non - le doute cautionnant la présomption d'innocence de celui qui tint en haleine la France entière au cours d'une soirée télévisée, faisant exploser les records de l'audimat, en disant p'têt ben qu'oui p'têt ben qu'non.
Dans le même temps, sauf pour quelques féministes ringardes parce que mal baisées, le message subliminal est passé : dire non veut dire oui dans la bouche d'une esclave, si tous les oui des maîtres signifient non.
En cette brume du oui et non suffoque une civilisation.


Confession de Nafissatou Diallo   1   2   3   4   5   6   7
Les Perles du Scandale
SPHÉRISME | RETOUR