SENS INTERDIT
L'Atlas vient de faire signe aux cerveaux amnésiques d'Acéphalopolis,
en exhumant de son djebel Irhoud le crâne du plus vieil homo sapiens (300.000 ans).
Pendant que les vivants se résignent à l'amnesthésie programmée, notre ancêtre parle : il exige d'être baptisé Amen
("eau" en langue amazigh).
Depuis cette lointaine source, à travers de multiples méandres, Amen est mémoire d'une histoire ouvrant,
par-delà tous les horizons, sur un océanique destin commun...
Les cimes de l'Atlas interrogent les abîmes de l'Atlantique :
en quelle Atlantide l'essence humaine s'est-elle engloutie, dans un monde
exsangue de sens ? L'enquête conduira vers l'Anatolie, sur le plateau
d'Arménie, jusqu'au mont Ararat où selon la légende biblique échoua l'arche de Noé...
« Make our planet great again ».
Qui mieux qu'Atlas pouvait-il ressentir le poids sur ses épaules d'une aussi grave sentence ?
Décochée par Baby Mac en réponse à Killer Donald, elle fut saluée comme la
preuve d'une force de frappe jupitérienne. La tour Panoptic célébrait un
nouveau leader de l'Olympe, jugé le plus apte à servir les intérêts de Kapitotal.
Dans cette compétition mondiale entre deux champions ayant conquis
le titre suprême, sur chaque rive de l'Atlantique, par de peu communes constructions
de situations, la victoire symbolique devait aller au plus situationniste...
Voici deux États phares du monde occidental, qui affichent à leurs sommets les attributs d'une
idéologie diffusée clandestinement depuis Mai 68, et nul n'en dit mot !
Le capitalisme de la transgression pouvait-il se développer à partir d'un
autre embryon que cet occulte et sulfureux mouvement qui voici cinquante ans,
dans le sillage de Nietzsche, revendiquait une perspective révolutionnaire
« au-delà du clivage gauche-droite » ?
Baby Mac n'a-t-il pas usé, mieux que son adversaire, d'une technique de la dérive pour arriver
à ses fins ? N'a-t-il pas fait usage, en renvoyant à Killer Donald son
propre slogan de campagne retourné comme un gant – pour la première fois dans
l'Histoire à un tel niveau de pouvoir – d'un procédé stylistique typiquement situationniste : le détournement ?
Transgressifs, affranchis des contraintes, en rupture avec les structures du vieux monde, l'un et l'autre
camelots pratiquent une rébellion libertaire contre l’État, cette entrave à
leur subjectivité révolutionnaire. Donc, à la gestion d’un pays selon des
pulsions instinctives. L'abolition du sens n’ira pas sans excitation des sens,
en sorte que le monde radicalement désacralisé du situationnisme garantisse un perpétuel sensationnisme du marché.
*
C’est dans un crâne vieux de 300.000 ans qu’en guise de coupe les élus de l’éther trinquent pour
s’enivrer du sang des damnés de la terre en évoquant la théorie du trickle down :
celle du ruissellement naturel des richesses. Lors de la fête nationale,
au pays de la Révolution française, un lieu symbolique fut le décor
idéal pour créer une situation suggérant à la fois l’Olympe et le mont Sinaï,
d’où la domination planétaire eut l’obligation de faire oublier que
Jupiter rend fou celui qu’il veut perdre. Du haut de la tour Eiffel, trois
mille siècles d’histoire d’homo sapiens contemplèrent l’humanité pour
lui dicter les nouvelles Tables de la Loi : celles de la seule communauté
du marché, de l’unique universalité de l’argent, de l’exclusive transcendance de Kapitotal.
Dans la mise en scène du 14 juillet, Baby Mac et Killer Donald poussèrent à son paroxysme le jeu des apparences,
obéissant aux recommandations du Prince autant qu’à celles de la Société du Spectacle.
Poignées de mains spectaculaires, tapes dans le dos, complicité martiale confirmèrent leur alliance rivale au Moyen-Orient,
tandis que les factotums de Rothschild et de Goldman Sachs échangeaient un
rictus canaille pour énoncer l’impératif catégorique de toute politique à
venir : tailler dans les dépenses publiques. Bien sûr, Baby Mac et Killer
Donald étaient accompagnés, sinon de leurs épouses respectives, de leurs
conjointes réelles. Car il faut considérer Marine Le Pen et Macron comme un
couple, symétrique à celui formé par Hillary Clinton et Trump. L’Empire
occidental y trouve une structure comparable à celle qui unit à Netanyahou le
roi Salman d’Arabie saoudite. Gaver les riches en détroussant les pauvres, sabrer
l’impôt sur la fortune comme les budgets sociaux, libérer le voleur de milliards
et mettre aux fers le chapardeur de volailles, déréglementer la finance et
militariser la cité par la grâce de providentiels attentats justifiant l’état
de siège permanent. L’art de la guerre que l’on prêtait à Guy Debord
leur est nécessaire, dès lors qu’il s’agit de conférer un caractère ontologique
à la scission de l’espèce humaine entre élus et damnés. C’est pourquoi Bibi fut
de la virée parisienne, lui dont les stratagèmes s’accouplent à ceux des
monarchies du Golfe. L’étreinte avec Bibi confirma la validité du sionisme
salafiste. Ce qu’on appelle mondialisation n’est-il pas synonyme d’une
israélisation du monde ? Sionland ne doit-il pas être ceinturé par un
vaste Salafistan ? D’où la destruction de la Mésopotamie, de la Libye et
de la Syrie – avant l’Iran ? Si tu as Sion : résumé du
programme d’une civilisation…
*
Je suis un crâne qui parle au nom de tous les crânes et s’adresse aux cerveaux des vivants,
s’ils sont encore capables d’entendre un tel message. Car l'essence humaine est
aptitude à comprendre la nature pour y puiser le sang, comme à l'invention
d'une culture nourricière de sens. Mais j'ai vu cette humanité se corrompre
dans une guerre où chaque sang prétend faire couler celui de l'autre au nom du
sens, et chaque sens vider l'autre au nom du sang.
Si le capitalisme est un vampirisme de la substance, Kapitotal et la tour Panoptic sucent l'essence
humaine d'une manière telle qu'ils la vident de son sens plus encore que de son sang.
Pareille transfusion se fait au nom de la créance, qui remplace toutes
les autres croyances dans un univers désâmé, désenchanté, désacralisé par son
idéologie d'avant-garde la plus radicale, ayant promu la mort de l'art et du communisme.
Quoi d'autre que la situation dans un monde ayant perdu sens, essence et substance ?
Pour qu'aucun au-delà de Kapitotal ne puisse être imaginé, c'est toute l'expérience humaine antérieure
au marché capitaliste – mémoire de l'humanité – qui se trouve invalidée par la
tour Panoptic. L'industrie du happening et de la performance, des installations
éphémères et de l'événementiel, peut se déployer de manière ludique, marginale
et libidinale pour accomplir la mort de l'art et des médiations symboliques,
dans une destruction planifiée de l'esthétique, de l'éthique et du politique.
*
Je suis un crâne qui lance des signes en espérant qu'ils puissent être captés.
Vidée de sens plus encore que de sang, l’humanité porte ceux qui s’expriment en son nom comme
s’ils en étaient la tête, ainsi que des prothèses issues de greffes monstrueuses, de plus en plus vite rejetées,
tant rien ne relie plus ces organes artificiels aux véritables aspirations du corps social.
*
C'est ce qui saute aux yeux d'Atlas, face à cet Élysée qu'au-delà des colonnes d'Hercule un mythe
grec assignait au séjour des Bienheureux. Les mystères du ciel et de la terre
se répondent en l'atlante ayant eu la mission de les relier, depuis sa
damnation par l'Olympe. Il voit surgir des Enfers une chimère à trois gueules,
traînant entre ses crocs une tête sanguinolente porteuse du bonnet
phrygien : celle de la République. Quel stratagème a-t-il ourdi
l’abolition d’une conflictualité démocratique entre « droite » et
« gauche » (happy few et many unhappy) – nous
interroge Amen – comme expression politique de l’antagonisme
économique entre capital et force de travail, par la duperie d’une prétendue
« troisième voie » dépassant un clivage dit obsolète ? Comment
Mai 68 et Mai 81 ont-ils engendré la structure contre-révolutionnaire
d’une social-démocratie libéralitaire ? Pourquoi les communistes
français furent-ils pris en tenaille par Debord et Mitterrand, dans une
manœuvre ayant également sacrifié le gaullisme, pour que triomphe aujourd’hui
le Fiston des Fistons de Tonton ? Sur un flanc de « la gauche »,
une bourgeoisie rose, plus cupide et arriviste encore que tous les modèles
classiques de bourgeoisie libérale, allait au devant des souhaits de ses
maîtres pour s'emparer des privilèges du pouvoir d'Etat, trahissant sans
vergogne ses dupes d'électeurs et assurant le triomphe d'une tyrannie
financière ; sur l'autre flanc de cette même « gauche »,
envahissait tous les secteurs de la culture une idéologie soixante-huitarde qui
se combinait à ces putréfactions pour conférer à leurs pestilences un parfum
d'avant-garde, et parer d'une aura révolutionnaire le nouveau mot
d'ordre : « Jouir sans entraves »...
*
J’ai vu la domination se transmettre de millénaire en millénaire et de siècle en siècle,
sous des formes variées, comme une maladie héréditaire de l’humanité.
Mais jamais avant cette ère convulsive aucune exploitation économique, domination politique,
aliénation idéologique, n'avait eu l’insolence de revendiquer un totalitarisme libertaire.
*
La perversité d'une telle imposture tient au fait que, se proclamant solution tierce (entre droite et gauche)
dans la logique du Tiers-Etat quand il supplanta l'Eglise et la Noblesse d'Ancien régime,
elle supprime le principe tiers en niant toute authentique médiation !
Car le capitalisme classique (au temps où « droite » et « gauche » avaient droit de conflictualité
démocratique), assurait l'émergence d'une classe moyenne entre les extrêmes,
ainsi que d'un Tiers-monde... Alternatifs l'un à l'autre étaient en ce temps-là
capitalisme et socialisme, ce qu'il ne se trouvait personne pour nier.
L'idéologie situationniste réussit alors le tour de force de discréditer le
système soviétique de son propre point de vue, permettant sa
disqualification théorique, dont feraient usage tous les idéologues de la tour
Panoptic dans l'offensive planétaire de Kapitotal. Pareille manœuvre n'allait
pas sans proclamation révolutionnariste absolue niant toute forme de médiation
(partis, syndicats) : la stratégie même de Baby Mac. Tous les signes
extérieurs de rébellion peuvent dès lors être récupérés par le nouvel absolutisme.
N'est-ce d'ailleurs pas une même industrie de la falsification médiatique, mais
dans une autre branche, qui mit sur le marché du néant le mouvement punk, dont
se commémore aujourd'hui l'anniversaire ? A l'instar des Sex Pistols (qui
se revendiquaient du situationnisme), Baby Mac est un produit de synthèse (au
sens moins hégélien que chimique du terme), des contradictions de son époque.
L'accès fantasmatique et immédiat à un futur dépassant le Vieux monde, pour
lequel, comme un seul homme, le corps électoral est sommé d'offrir l'Assemblée
nationale à son deus ex machina, n'est que l'envers binaire du mot
d'ordre « No Future », dans une même négation de tout processus dialectique.
*
J’ai vu l’essence humaine s’abîmer – sous la loi d’un renversement des moyens et des fins – dans un
gigantesque appareillage technique, dont l’élogieuse notice d’emploi qu’est sa
propagande intégrée ne cesse de vanter les mérites libérateurs. J’ai vu la
soumission parfaite à ces machineries de plus en plus nuisibles et toxiques, au
point de menacer les fondements biologiques de la nature comme les acquis
symboliques de la culture. Et j’ai vu ce que cet empire nouveau devait à
l’emprise des plus anciennes divinités tutélaires depuis Jupiter et Yahvé. J’ai
vu les deux en un s’incarner dans le technicien convoqué à l’Elysée pour
ajuster la machine électorale à l’ordinateur central, comme pour la même
fonction fut préposé un autre technicien à la Maison Blanche. Dans les deux
cas, ce qui se présentait comme « la gauche » (Hollande ou Clinton)
étant devenu l’extrême-droite, il s’agissait d’appliquer un programme plus à
droite que celui de « la droite », en feignant d’être plus à gauche
que « la gauche ». En sorte que toute protestation des chaumières
contre la cupidité prédatrice du Palais fût dite populiste, l’affairisme du
Palais s’imposant comme seul modèle des chaumières.
*
L'explosion de la contradiction fondatrice du capitalisme – entre capital et force de travail –
creuse un abîme social dont il faut maquiller les effets pour en occulter les
causes. Or, une sphère – davantage qu'un cycle – romanesque en sept volumes,
censurée par toutes les instances officielles du livre en Belgique, se
revendiquait d'une vision globale pour désigner en la tour Panoptic un
appareillage idéologique de falsification des représentations nécessaire à
Kapitotal. Seul un tel point de vue permet de pulvériser les prétentions de
Baby Mac lorsqu'il exhibe dans les magazines quelque relation de circonstance
avec le philosophe Paul Ricœur. Celui-ci n'ignorait pas la gigantesque
inversion des moyens et des fins constitutive d'un système dont le nouveau
Grand Maître dans l'Ordre de la Légion du Déshonneur fut un agent zélé chez
Rothschild. En assurant à Nestlé le monopole du lait en poudre, et par une
propagande criminelle incitant les femmes à ne plus allaiter, n'a-t-il pas à
son compte quelques millions de bébés crevés en Afrique ?
Un crâne de 300.000 ans croit avoir l'expérience requise pour voir en l'essence humaine l'ensemble des
rapports individuels, familiaux, sociaux, historiques, génériques et cosmiques
de l'humanité depuis sa naissance dans l'Est africain. Ces catégories
déterminent homo sapiens d'une manière anthropologiquement
plus décisive que ses liens tribaux, ethniques ou religieux, davantage mis en
évidence dans les époques de régression comme l'ère convulsive. L'ensemble des
richesses est donc le résultat d'un procès de travail s'étalant sur des
milliers de siècles, dont l'Afrique orientale fut la pionnière. Par quelle
plaisanterie macabre l'essentiel de ce patrimoine est-il aux mains d'une
engeance devant sa fortune à une guerre de carnage et de pillage dont l'Afrique
fut la principale victime ? Par quelle farce digne de Shylock non moins
que de Méphisto, cette engeance est-elle aujourd’hui créancière de l’humanité ?
*
Tel est l'esprit du progressisme contre tous les conservatismes. En marche !
Quand Baby Mac plaisante à propos des milliers de migrants crevant dans leurs barques
d'infortune, son humour est l'exact lieu de rencontre d'une blague de potache
angélique et d'un sarcasme méphistophélique. Le cynisme voyou du mitterrandisme
pro-situ. L'Afrique réelle, et ses centaines de millions de déshérités n'ayant
plus droit de chaumière, n'ont pas davantage d'existence pour les palais qu'une
courbe de statistique dans un cours de l'ENA, promotion Debord. Si ce qu'il
faut bien nommer une race élue, représentant un millième de l'espèce humaine,
dispose de celle-ci corps et âme avec le droit de la dépouiller, détrousser,
déraciner, délocaliser, déporter, détraquer, dépecer, démantibuler,
dévitaliser, décérébrer à son gré, tout en s'étant approprié la plus grande
part du patrimoine de l'humanité depuis ses origines, et si l'anéantissement se
fait baptiser globalisation, n'est-ce pas que l'esprit de cette race
élue surpasse, en radicalité révolutionnaire, celui de Swift, quand il
préconisait que les pauvres se nourrissent de leur progéniture afin de remédier
au fléau de la famine ? Sous le signe d'un situationnisme apocalyptique,
dès le premier tome d'une œuvre introuvable (Pleine lune sur l'existence du
jeune bougre, 1990) était donc éclairée la présente actualité par une
tentative de vision globale.
*
J’ai vu ces réalisations fantastiques de l’essence humaine que furent les traditions
mythiques et religieuses, comme les créations de l’art, se rabougrir dans les
miasmes de mystifications industrielles, où des sous-cultures excrémentielles
fournissent le marché d’une religion nouvelle. Et j’ai vu cette perte absolue
de l’essence humaine se vendre pour une libération. Plus la société se délabre
en cancer de la finance à un pôle, d'où prolifèrent les tumeurs malignes sur un
corps social réduit en lèpre et gangrène à l’autre pôle, plus l’essence humaine se désintègre
*
Il se fait que ce roman fut publié par les éditions du Parti communiste français, qui disparurent
au lendemain de la fin de l'Union soviétique. Alors s'accomplit une gigantesque
trépanation de l'humanité, dont l'essence fut vidée de son sens, défini par
l'humanisme d'inspiration marxiste non moins que par le soleil de la
conscience d’Édouard Glissant. Quand Aimé Césaire prend congé du PCF en
1956, c'est lui qui agit en leader communiste pour fustiger l'immobilisme des
Assis, non sans avertir : « ces forces ne peuvent que s'étioler
dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites
par eux et adaptées à des fins qu'eux seuls peuvent déterminer ».
C'est alors que s'installe une officine promise à connaître quelque notoriété
sous le nom d'Internationale situationniste. Sa stratégie de l'ombre
s'appuie sur une analyse des contradictions du « marxisme », pour
prononcer une condamnation radicale des partis dirigeant le combat de la classe
ouvrière. Manœuvre à laquelle répond, dans le camp communiste, une attitude
comparable à celle du primate se bouchant les yeux, les oreilles et la bouche.
Depuis lors fut neutralisé ce que l'on tolère encore dans la gestion municipale
sous un label « communiste ». Le club conservant une telle
dénomination, privé du soutien nourricier de Moscou qui assurait son
intendance, dut faire preuve d'une soumission parfaite à qui désormais lui
assurerait le remplissage des gamelles. Carriérisme, arrivisme et opportunisme
de bon aloi firent en sorte que la médiocrité bureaucratique fût l'exclusif
critère d'accession à la direction de ce vestige d'un temps révolu. La garantie
d'une prospère sinécure sous l'aile protectrice de la social-démocratie stimule
bien des appétits. Continuer d'arborer le drapeau de la Commune, en devant son
confort à Versailles, méritait quelques complaisances. Dans la triple fonction
qui jadis avait été sa raison d'être (celles d'intellectuel collectif, de
champion du combat de classe et de bouclier des chaumières contre le glaive des
palais), la direction du Parti fit preuve d'une docilité de toutou quémandant
les sucreries de son maître et agitant la queue pour toute expression
d'opposition, dressée à ne montrer les crocs que face au seul danger de
Jean-Luc Mélenchon. C'est donc fort justement qu'un Pierre Laurent perçoit les
dividendes mérités de sa servilité. Certaines rumeurs insistantes selon
lesquelles Arnault, Pinault, Dassault, Lagardère, Bolloré, Drahi, Gattaz et
quelques autres auraient des vues sur le siège du PCF et envisageraient d'en
faire leur Quartier général, n'ont pas été démenties place du Colonel Fabien.
Marc Zuckerberg s'est réservé le podium du Comité central et la tribune de L’Humanité
pour présenter son programme électoral visant à construire une communauté globale.
L'absence d'une tête pensante collective engendre tous les intégrismes.
L'empire marchand ne cesse d’exacerber les désintégrations, dont il étale à l’infini ses gammes de
produits miracles contenant mille promesses d’effacer les effets morbides, afin
de restaurer l’intégrité perdue. Pareil cycle infernal est jugé sain quand il
répond aux chiffres souhaités de la croissance, et préoccupant s’ils ne suivent
pas la courbe voulue par les experts. Ainsi le bilan à deux chiffres de
l’Ethiopie sert-il de modèle à l’Afrique, précisément parce que plusieurs dizaines
de millions d’êtres en trop, voués à crever comme capital variable inutile,
n’encombrent plus les statistiques d’un travail mort affichant une insolente santé…
*
Quel plus prestigieux décor pour les shows de la tour Panoptic, quelle meilleure valorisation de Kapitotal,
que le dôme du comité central conçu par Niemeyer ?
Quelle vitrine plus transgressive pour les icônes des grandes marques ?
Il s'agit d'effacer de la mémoire humaine une vérité : ce dont est grosse la société
bourgeoise a les traits d'une organisation sociale esquissée dans les plus
hauts rêves de l'humanité. Ce pourquoi le sommet du génie disparaît de la
culture officielle. Depuis la disparition du marxisme, le personnel
fonctionnant dans les secteurs de la culture est scindé selon une même ligne de
fracture que celle divisant la société dans son ensemble. Une élite ignare
truste les postes concentrant toute la plus-value symbolique, sans relation
vitale avec un sous-prolétariat d'intermittents précarisés. Seul un tel clivage
autorise la démagogie fasciste à éructer sa haine contre le monde intellectuel,
recueillant de puissants échos dans les tréfonds de populations commotionnées.
Car l'intelligentsia classique a trahi sa raison d'être, héritée des Lumières,
dont les feux les plus éclairants se trouvaient être ceux de la tradition
marxiste ; en sorte qu'une sous-culture excrémentielle ait pu s'imposer
sans coup férir au sommet de la pyramide idéelle. Nul ne perpétue plus le
message humaniste en son sens le plus noble, tant ce message est devenu
dangereux : les cyniques toutous du PCF l'ont bien compris. Pourquoi se
casser la tête à des réflexions n'entraînant que des déboires, quand on peut
toucher sa solde en agitant la queue dans une confortable niche ? Pareille
démission est le présupposé de la situation actuelle. Car la couardise du
marxisme officiel face à Kapitotal et à la tour Panoptic (l'abandon d'une théorie
de la praxis et d'une praxis de la théorie), s'identifie à la
contre-révolution anticommuniste et à toutes les régressions psychiques du
dernier quart de siècle. C'est une telle capitulation de la pensée, face à
l'offensive idéologique ayant décrété la mort de Marx, qui permit à Thatcher de
lancer : There Is No Alternative, davantage que ce TINA n'a réduit
à néant l'hypothèse d'une issue dialectique au capitalisme. Cette abdication du
parti de la médiation rendit possible un paralogisme : tous les hommes
aspirent à être reliés ; Kapitotal et tour Panoptic n'ont d'autre
objectif ; de sorte que votre bonheur sera fonction de Twitter, Facebook, Snapchat et Netflix.
*
Tous les oripeaux moraux et idéologiques dont se pare la domination libertaire,
tous ses shows les plus vulgaires substitués aux authentiques spectacles désormais interdits,
doivent paraître sensationnels aux yeux des esclaves subjugués. Mais je ne vois plus
que de lamentables loques rapiécées, des chiffons sans substance pendre ainsi
que peaux mortes autour d’une structure démâtée servant de squelette à un
épouvantail. Tel est l’ultime dessein de la technostructure : chasser les
oiseaux et les fées, les muses et les djinns, les anges et toutes les âmes
parcourant l’univers entre ciel et terre. Pour faire fuir ces voix ailées dont
on dresse l’humain bétail à ne plus capter les messages, brouillés par les
machines auxquelles on l’a connecté, prolifèrent les techniques assujettissant
la masse aux robots. N’est-ce pas des recherches aéronautiques militaires que
découle une cyberculture planétaire ayant pour effet d’enclore les cerveaux dans un ordre binaire ?
*
C'est à l'heure où la vision de Marx devenait vraiment dangereuse, qu'elle fut condamnée à
disparaître de l'espace public. Pensez donc ! Une majeure part de
l'humanité n'a pour survivre que sa force de travail à vendre sur le marché,
quand on lui signifie que les robots sont d'un coût moindre et d'un rendement
supérieur. Il faut à ce capital variable s'aligner sur la productivité des
machines ou disparaître. Si elle disposait de tout son esprit, l'humanité
s'aviserait de l'inversion des moyens et des fins constitutive d'un tel rapport
social. Pourquoi la valeur d'échange impose-t-elle sa logique à la valeur
d'usage ? Pourquoi ce travail mort qu'est le capital dicte-t-il sa loi au
travail vivant ? Si ces questions pouvaient être posées, la majorité
n'eût-elle pas voté pour Bernie Sanders et Jean-Luc Mélenchon sur l'une et
l'autre rives de l'Atlantique ? Mais uniformisation du marché comme
standardisation des marchandises humaines sont des nécessités parées de tous
les prestiges de la loi divine au service de César. Or le rêve communiste, issu
des premières humanités puis transmué dans les sociétés de classes par la
prophétie juive et le daïmonisme socratique, avant d'hériter du message
christique puis d'assumer l’humanisme de la modernité, s'inscrit dans
l'histoire comme négation de tout césarisme et ne peut donc faire l'objet
d'équations fallacieuses avec la peste brune, que théorisèrent les situationnistes
et vulgarisèrent les « Nouveaux Philosophes ». Mais cette idéologie
devenue dominante ne dérange plus ceux qui gèrent encore l'enseigne coco.
Plutôt soutenir Manuel Valls que La France insoumise. Et si le leader de
celle-ci correspond à ce qu'était naguère un socialo, c'est raison de plus pour
aboyer contre lui seul. Car le pacte faustien de ceux qui ont bradé l'héritage
désormais trop compromettant de l’Étoile rouge, fut noué lors de la plus
grotesque mystification politique des temps modernes : quand, avec Jack Lang en
1981, l'on prétendit passer « de la nuit à la lumière » !
L'assassinat des lendemains qui chantent n'eût pas été complet sans une volontaire euthanasie.
*
Comment habiter le monde signifie : comment échapper à l’enclos ?
D’abord, celui des mots. Le Palais ne s’est-il pas approprié « Révolution »,
quand les gueux des chaumières sont réputés les pires défenseurs de l’Ancien régime,
les plus rétrogrades adversaires du progrès ? De même « réalité virtuelle »
pour désigner une médiocre irréalité, quand virtualité signifie possible autre, potentialité.
C’est-à-dire la définition même de l’art et du communisme.
*
Les braves toutous s'affublant encore de l'étiquette communiste ne le font donc plus que pour en
discréditer le sens historique, et accréditer l'usurpation du mot
« révolution » par Baby Mac. Sans quoi, s'élèveraient chez eux des
voix disant que l'absence d'alternative signifie l'interdiction d'une différance
dans l'espace comme dans le temps. Nulle possibilité de différer
un accomplissement historique par la double médiation d'une conscience et d'une
organisation structurée. Les monades atomisées du marché (sédentaires ou
nomades) ne sont plus reliées que par le seul Équivalent Général Abstrait
qu'est l'argent, dont Baby Mac se veut l'incarnation césarienne. C'est ici et
maintenant que ça se passe, vous suggère à chaque instant la tour Panoptic.
Tout et tout de suite, proclame Kapitotal. Adhérez au camp des insiders et des
winners ou vous serez propulsés dans le néant, selon les volontés du Très-Haut.
*
J’ai vu défiler bien des mannequins géants dans lesquels, au gré de barbaries successives,
chaque civilisation entassait l’ennemi pour un brasier dont les victimes se comptèrent par centaines, par milliers, par millions ;
mais l’holocauste en cours oblige à calculer par milliards. Car ce chiffre exponentiel obéit lui-même à la loi des ordinateurs.
*
Dans ce jeu de simulacres, à quels illusionnismes font appel toutes les apparences de
transcendance auxquelles recourt l’immanence pure nommée Baby Mac ?
Vous le saurez quand sera rendue publique une Mélopée,
conçue d’après les chants d’une sirène africaine et selon la vision globale
d’un aède grec à la mémoire homérique : hors l’enclos sous le joug. Il
vous en fut offert un aperçu dans les 7 livraisons de Schizonoïa.
Derrière la colonisation marchande, unique option garantissant un futur
désirable, seul a valeur démocratique le point de vue patronal. Kapitotal, par
la voix de ses plus hauts dignitaires, peut se parer de l'autorité légitime
d'un arbitre impartial défendant l'intérêt général au-dessus des vils intérêts
particuliers, parce que la destruction de toute vision globale, comme de toute
pensée critique, est assurée par la tour Panoptic. Bien plus : grâce aux
apparentes inepties proférées par un Killer Donald, qui se plaît à ridiculiser
comme à dessein le sommet de l'Etat, les multinationales de la Silicon Valley
(donc les fonds d'investissement) peuvent se prévaloir d'une moralité
supérieure à celle des pouvoirs publics et prétendre incarner les principales
forces d'opposition à leur propre domination. Zuckerberg se profile déjà comme
le successeur du gaffeur, auquel on aura permis d'accomplir, en Arabie saoudite
et en Israël, un funk deal à 300 milliards avec le sionisme salafiste,
avant de le remplacer par une figure incarnant la même utopie messianique et rédemptrice que Baby Mac.
L'israélisation du monde va de pair avec la promotion du modèle saoudien.
Sionland et son Salafistan sont les postes avancés de l'empire d'Occident pour contrôler tous les axes de l'Orient.
La gestion de ce colonialisme relève d'une diplomatie secrète où djihadisme et
terrorisme croisent le trafic des armes et du verbe insignifiant, dans un
échange de flux régis par d'occultes officines aux ordres des industries
militaires et de l'OTAN. Voilà ce qui sert de crâne à la planète. Nulle part il
ne peut y avoir une tête comprenant l’espèce humaine ainsi qu’un organisme,
dont la satisfaction des besoins matériels raisonnables serait l'unique
objectif économique. Ses aspirations spirituelles et intellectuelles, quant à elles,
relèveraient de finalités ultimes ayant pour axiome une conscience de sa propre histoire en devenir perpétuel.
*
Inacceptable est la parole d’un type qui prétend révéler ce qui se passe, quand il est étranger à
toutes les structures officielles et ne peut donc se prévaloir d’aucune
autorité légitime. Raison pour laquelle il n’y a pas plus à savoir dans ses
incompréhensibles charabias, que dans un discours délirant tenu jadis devant
Lacan. Ne va-t-il pas jusqu’à prétendre que la doctrine économique néolibérale
s’est acoquinée aux ruses politiques de la social-démocratie, non sans abuser
d’une phraséologie d’ultragauche et moderniser le logiciel de l’extrême-droite,
pour coloniser, à partir du centre, tout l’espace disponible, entièrement sous
contrôle et désormais sans lieu d’opposition crédible, afin de conjurer l’affreux
spectre dont Marx affirmait qu’il hantait l’Europe ? Il se prend pour Hamlet ou quoi ?
Si l’actuel technopithèque, enclos dans son labyrinthe aux miroirs factices, pouvait capter
la puissance d’esprit qui nous animait sur les premiers sentiers, son avenir en
serait éclairé comme du plus puissant phare ayant jamais guidé l’humanité.
Le mouvement des Lumières en eut l’intuition rapidement obscurcie.
« Nous ne sommes pas au monde, la vraie vie est absente » :
cette parole de Rimbaud jaillit comme la plus vive des flammes pour illuminer votre modernité.
Lui fit écho ce « rêve d’une chose » en lequel se cristallisa
pour Marx la mémoire de toute l’histoire jusqu’à nous, promesse d’un avenir humain viable…
*
C'est ce que son alter ego n'a cessé de laisser entendre dans chacun des sept volumes où il fut mis en scène.
L'an prochain retentiront partout les clameurs publicitaires
commémorant l'anniversaire de Mai 68. Un autre roman que Pleine lune
a-t-il fait sa substance des contradictions à l’œuvre dans ce mythe bientôt
cinquantenaire, et de la manière dont il a déterminé les convulsions d'une
époque ? L'an 2018 sera également celui d'un bicentenaire. Existe-t-il une
œuvre littéraire contemporaine plus inspirée par Karl Marx, né en 1818 ?
La tension entre changer la vie et transformer le monde,
signifiée par ce double rappel, se donne-t-elle où que ce soit davantage à lire
que dans cette Mélopée ? Elle ne doit donc pas exister. Cette
année-ci, sera célébré en Belgique le 20e anniversaire du décès de celui qui demeure
l'un des plus importants acteurs économiques, politiques et financiers de son
histoire : Papa Maréchal. L'apparition de Mobutu fut cruciale dans une
seule œuvre de fiction, tous arts confondus : l'unique roman ayant relaté
les relations entre une minuscule métropole et une aussi gigantesque colonie.
Raison pour laquelle sont inaudibles les six chants de la sirène du fleuve Mamiwata.
Dans quelques mois se feront entendre les évocations, dans un prévisible sens
unique, du centenaire de la Révolution d'Octobre. Rares furent en Belgique les
créations littéraires ayant fait de l'Union soviétique une substance
essentielle à leur trame. L'évocation d'un long séjour à Leningrad, ainsi que
la figure d'un poète communiste grec ayant traversé le XXe siècle sans renier
l'étoile rouge, lesté de l'héritage d'un aède homérique, sont raisons
d'interdire d'accès à l'espace public une œuvre qui actualise les figures
d'Hamlet et du Quichotte, comme celle de Thyl Ulenspiegel. Malheur à qui révèle
sang du sens et sens du sang !
*
Chacun sait de quels artifices, leurres, duperies, faux-semblants, doubles langages, mensonges
éhontés, sont faits les dédales du trompe-l’œil constituant cette gigantesque
illusion d’optique donnée pour décor au globe. Tel président prononce telle
phrase à laquelle réplique une autre de tel concurrent. La machine à
commentaires bruit. Chacun feint de croire à la véracité du système produisant
ces bavardages fictifs, car il n’y a pas d’issue au labyrinthe. Celle-ci fut
condamnée par la forclusion d’une hypothèse en sommeil : la possibilité,
pour l’espèce humaine, de vivre conformément à son essence esthétique, éthique, politique...
*
Mais ses prétentions sont pires encore. N'entend-il pas relier Homère et Césaire, Virgile et Dante,
Shakespeare et Cervantès, Goethe et Hölderlin, Pouchkine et Maïakovski, Musil
et Kafka, Joyce et Pessoa, Villon et Aragon, Charles De Coster et Patrick
Chamoiseau, dans lesquels s’illustrerait selon lui le génie d’une Europe régie
par des illettrés, tout en désignant Marx et Rimbaud comme le véritable axe
franco-allemand ? Car il suffirait d'allumer tous ces feux pour que
s'élucident les basses intrigues de notre époque ! Écoutons son verbiage.
Kapitotal est un rapport social. Il définit l’élection d’une race à la dignité
de sujet, dont les ordres sont dictés aux objets de la race damnée. Celle-ci
n’a d’autre devoir que de réduire ses coûts sur un marché concurrentiel où
domineront les robots, dans une compétition ne pouvant être acceptée qu’au prix
d’une hallucination garantie par les shows de la tour Panoptic. La révélation
de ce rapport fait l’objet d’un tabou qui supplante ceux du meurtre et de l’inceste.
Consanguins et criminels sont en effet les liens de complicité qui
assurent l’hégémonie de la race élue. Cette négation de l’humanité sera masquée
par un humanitarisme transformant le monde en pseudocosme. Une schizonoïa
généralisée permet de travestir l’enclosure en ouverture, une tyrannie
libertaire en émancipation révolutionnaire ; de farder en progrès d’inspiration divine
une régression vers la bestialité, en dépassement des anciens clivages l’abolition de tout devenir historique...
*
Je vois une pyramide au sommet de laquelle élus de la noblesse et
du clergé vouent leurs puissances conjointes à satisfaire les soifs d'une
divinité s'abreuvant, toute honte bue, de sens autant que de sang dans le crâne
de ses victimes. J'entends le rire de ce Moloch et je vois, dans les bas-fonds
de cette pyramide, une plèbe réduite en esclavage qui de naissance éprouve les
malédictions bibliques frappant Cham et Caïn, si ce n'est Ismaël...
J’invite les vivants à envisager qu’ils commettraient peut-être une erreur en ne prêtant pas
l’oreille à un crâne vieux de 300.000 ans récemment découvert dans l’Atlas.
Anatole Atlas, 14 juillet 2017
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