L’Astrolabe
Chaque jour doit se mériter l’honneur d’être né, quand aucune logique n’explique le
miracle de se réveiller en vie chaque matin. N’est-ce pas le privilège de qui
mène une existence entière hors toute structure ? Cet exotisme
a des obligations qu’ignore le titulaire d’une place légitime sur le navire
social. Escalader les haubans jusqu’au mat de vigie, glisser dans les cales,
cambrioler quelque cabine de luxe, usurper sa couchette au milieu des cordages
ou dans les canots de sauvetage, grappiller au bar une ration d’alcool,
éprouver la destruction des passerelles entre soutes et pont des premières
classes avant de plonger vers une île à l’invitation des mouettes, afin d’y
recueillir le chant des sirènes, offre une juste idée de ce qui se trame sur le
paquebot de la société bourgeoise.
A
condition que l’Œil imaginal vous ait doté le regard d’un astrolabe.
Que
l’on arrime son ancre aux nuages ou que l’on patauge entre deux eaux parmi les
cadavres de naufragés n’ayant plus même un radeau pour espérer, vous garantit
la responsabilité d’une vision globale échappant à tous les instruments techniques
de l’équipage comme de sa capitainerie. Si nul ne doute plus du fait qu’une
pandémie de troubles mentaux d’un type nouveau s’est répandue sur la surface du
globe, avec des effets plus délétères que les pathologies répertoriées par les
experts, ceux-ci tardent à définir le mal. On n’en entend pas moins, de
décennie en décennie, l’amirauté d’une civilisation proclamer l’urgence d’une «
guerre du Bien contre le Mal ». Des populations sont mises
en quarantaine au prétexte d’un Livre où grouilleraient les germes du fléau,
mais un silence bavard persiste quant à la définition de ce dernier. Bien plus,
ne voit-on pas ces amirautés s’acoquiner avec les émirs (ce mot-là vient de
celui-ci) ayant pleine autorité sur les lieux saints où jadis a jailli le Livre
(donc le Mal) ? On peine d’autant plus à suivre le raisonnement des
amirautés, prêchant au nom du libéralisme, qu’elles ont de toutes pièces fabriqué
le pouvoir despotique de ces émirs. Or, chacun sait que l’épidémie mortifère
n’a propagé ses hécatombes qu’à la faveur d’une action concertée des émirs et
de l’amirauté. D’où, en saine raison, la question : d’où vient le fléau ?
Voici sur une affiche le portrait de deux truands notoires, chefs de gangs disposant
d’une capacité de nuisance planétaire presque sans égale. S’agit-il de
malfaiteurs dont la tête serait mise à prix ? Pas du tout, la photo
s’affiche à la une de tous les journaux et magazines, et proclame l’union
sacrée du plus puissant amiral et du plus célèbre émir du monde. La réclame dit
en arabe : « el äzem ioujmäna », ce qui requiert l’usage
de l’argot pour une équivalence de sens en français : « la gnaque
nous unit ». Quelque chose comme une irrésistible volonté de vaincre
l‘adversaire. On comprend que celui-ci, c’est le Mal. En anglais, la formule
dit : « Together we prevail ». Ensemble nous l’emportons.
Qui est ce « nous », s’il est évident qu’il englobe davantage
que les deux figures illustrant le cliché s’étalant sur les murs de
Riyad : celles du président Trump et du roi Salman ? Les passagers du
navire sont obligés de comprendre qu’ils font tous partie de ce « nous »,
puisque le roi d’Arabie saoudite est leur allié depuis plus de 70 ans. C’est
sur un bâtiment de guerre que le deal fut conclu. Mais la Péninsule
arabique n’a-t-elle pas armé et financé le fléau, de connivence avec
l’Amérique, donc avec le monde occidental ? Chut ! Les juteux contrats
d’armements sont en cours : 300 milliards ! Aussi le Conseil de
Coopération du Golfe, club des pétromonarques de la péninsule, où trône en
bonne place le complice du Qatar, en parfaite connivence avec Jérusalem, où le
président Trump est attendu demain, (lui qui reçut la veille à Washington le
sultan ottoman), est-il réuni pour examiner la principale question à l’ordre du
jour. Les services de sécurité de l’Axe du Bien ont détecté dans la logosphère
un virus menaçant le système nerveux du camp démocratique.
Amen
est le nom du virus. Un opuscule bafouant tous les codes admis par la
bienséance littéraire, où se trouvent mises en scène avec un étrange réalisme
les autorités précitées. D’inexplicables fuites à propos de l’enquête concernant
l’acte perpétré sur le tarmac de l’aéroport n’ont pas tardé à révéler des faits
troublants. C’est ainsi que la publication litigieuse
(Amen)
anticipait le scénario des premiers rendez-vous au sommet du président Trump. Une
hypothèse ne put alors manquer de surgir : que l’agenda de ce dernier fût dicté
par une puissance ennemie (la Russie), elle-même à l’origine de cet
Amen…
On vit divulguer partout les informations les moins autorisées à circuler.
Malgré
ses différends avec le FBI, le président fut convaincu d’être trop bien
renseigné sur les méthodes secrètes utilisées par des services ayant recours
aux scandales publics (on évoquait l’exemple des Femen, ou des Pussy
Riots), procédés naguère prônés par l’avant-garde situationniste. N’était-ce
pas du situationnisme appliqué que le transfert de l’Atlantique vers la
péninsule arabique, signifié par son intégration dans l’OTAN ? En voilà de
la construction de situation !, glosait une presse admirative, n’hésitant
pas à révéler que, sur l’une et l’autre rives de l’Atlantique, l’avait emporté
qui fut le plus situationniste. En 24 heures, le mot était à la mode. Obscur
noyau de l’idéologie contemporaine, il désignait une aptitude à la subversion
des formes du capitalisme, à la transgression des codes, à la rupture avec structures
et médiations traditionnelles (partis, syndicats, institutions) : cette surenchère
aventureuse dans les postulats de la modernité faisait triompher les impulsions
rebelles de la subjectivité affranchie. Le « ça » prévalait sur le
« surmoi », l’instinct sur la vieille morale. Tout ce qui était
organisé devait être désintégré, la dérégulation devenait seule règle. Si l’Axe
du Mal était à l’origine du virus frappant le monde occidental en sa province
moyen-orientale, celle-ci répliquait par une salve inaugurant en Arabie
saoudite les prochaines commémorations du cinquantenaire de Mai 68. On s’explosait,
on s’éclatait, ça déchirait : le djihadisme islamique lui-même n’appliquait-il
pas les leçons de l’avant-garde ? On fit venir Cohn-Bendit pour
accompagner Trump au Mur des Lamentations, sur lequel son graffiti « Jouir
sans entraves » ouvrit plus de perspectives pour la paix que tous les
discours inscrits au programme. Et le sommet de l’Alliance atlantique à
Bruxelles, puis le rendez-vous du G7 en Sicile, furent autant d’occasions de créer
des situations.
C’est
la vision de l’Œil imaginal dans son astrolabe, quand un torpillage du navire
social somme les naufragés de restituer jusqu’aux débris de leurs esquifs, afin
de renflouer les destroyers n’ayant d’autre objectif que de les protéger contre
des sinistres ayant pour seule cause l’Axe du Mal. Mais une vision peut-elle se
prétendre globale, si elle exclut la voyance d’un théorème ? Voici donc
celui du Fiston des Fistons de Tonton…
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Le fiston des fistons de Tonton
Tonton et ses fistons sont promis à un pitoyable destin dans l’inexorable mémoire de l’Histoire.
Un sort encore pire sera réservé au fiston des fistons de Tonton : foi de Shakespeare et de Karl Marx !
Il aura fallu plus d’un quart de siècle pour qu’accède au pouvoir suprême ce
ludion produit par le marché du désir, propre au capitalisme de la séduction, dont
j’avais brossé le portrait sous les traits de Jimmy Package dans Pleine lune sur l’existence du jeune bougre.
(cfr. Hector Bianciotti, Le Monde 28 septembre 1990.)
Il est vrai que j’aurais hésité à lui faire publier un livre intitulé Révolution.
Sans doute est-ce la raison pour laquelle mon roman demeure introuvable, tout autant
que les six chants de la sirène du fleuve Congo Mamiwata, qui lui assurait une digne suite africaine.
(cfr. Hector Bianciotti, Le Monde 16 décembre 1994.)
Des laïus comparables à ceux prononcés par le nouveau président de la République y
étaient tenus, lors de cérémonies plus emblématiques encore que celles offertes
par l’actualité, sur le toit de la tour Panoptic à Bruxelles. Il est non moins vrai
que, le temps ayant exercé son apostolat, l’avatar de ce personnage illustrant la
noblesse, l’héroïsme et la sainteté de notre temps se trouve non plus être un fiston, mais un fiston des fistons de Tonton.
Je ne doute guère plus du fait que mes petites-filles patienteront au moins durant
un autre bon quart de siècle avant que ces ouvrages puissent avoir droit de cité,
vers l’an 2045. (Le centenaire d’Hiroshima sera peut-être la plus propice
occasion d’une révolution congolaise de la Fraternité, qui ne manquera pas de
rappeler au monde l’origine de l’uranium ayant décidé de l’issue de la Guerre
froide. L’écart de temps avec la révolution russe de l’Egalité correspondra au
délai – 128 ans – séparant Octobre 1917 de Juillet 1789, quand surprit noblesse et clergé la révolution française de la Liberté.)
Quant au cycle de l’aède homérique – un poète communiste grec – ayant prolongé cette
aventure au long cours, les petites-filles de mes petites-filles découvriront au
mieux la Confession d’un homme en trop un siècle plus tard.
(cfr. Hector Bianciotti, Le Monde 11 février 2000.)
Nul n’a la patience des spectres pour franchir les âges, et c’est de spectralité
qu’il s’agit dans l’itinéraire d’Emmanuel Macron comme dans mes romans. Ceux-ci
postulent une relation profonde entre notre époque et l’histoire narrée par
Shakespeare dans Hamlet. L’ombre du roi mort hante les temps
modernes avec une insistance n’ayant d’égale que les vains efforts mis à
l’occulter. Le paroxysme de cette occultation coïncide avec une caricature du
canevas de la pièce évoquant l’assassinat du monarque par trahison de son
frère. Claudius usurpe le trône et met dans sa couche la reine Gertrude, comme
François Mitterrand tue le général de Gaulle pour s’emparer de la République, en
copiant si bien le scénario qu’il sera baptisé Tonton. Son jeu d’acteur est
décisif. Empruntant moins aux procédés du théâtre qu’à ceux du cinéma, il doit
la longévité de son règne, et le succès persistant de son imposture, à l’exceptionnelle
habileté mise dans l’art baroque de l’illusion. La Société du Spectacle
de Guy Debord lui tint lieu de bréviaire, mouture actualisée du Prince
de Machiavel. Ainsi Mai 68 et Mai 81 dessinèrent-ils ce que j’ai nommé une
« structure contre-révolutionnaire de la social-démocratie libertaire ».
L’oncle, à la différence du père, ne paraît pas incarner une forme de pouvoir
autoritaire : ses innombrables dupes ne s’en sont pas encore aperçu. Ce
que la « droite » classique n’eût imaginé pour tromper le peuple afin
de le mater, duplicités et faux-semblants de la « gauche » mitterrandienne
l’osèrent avec une absence de scrupules fidèle au modèle de tonton Claudius. Ainsi
se déploya la génération des fistons de Tonton. Révolution, Commune et
Résistance ayant laissé des traces dans les esprits d’un tel pays, quelle ruse
plus efficace que ce triple drapeau pour opérer une contre-révolution
versaillaise au service de l’Occupant yankee ? François Mitterrand ferait
usage du leurre socialiste comme d’une muleta pour abuser l’électorat populaire
en lui fichant dans l’échine une succession de banderilles – dont il ne s’est
jamais relevé. Les gouvernements Mauroy, Bérégovoy, Fabius et Jospin mirent
plus de zèle que les partis représentant officiellement la bourgeoisie, pour
faire tituber puis mordre la poussière à l’animal prolétarien. Première loi
favorisant la spéculation financière, c’est eux. Déréglementation généralisée, baisse
des salaires comme de la fiscalité sur le capital, privatisations : les
fistons de Tonton furent à la manœuvre. En attendant l’estocade, que laisse
deviner une lame dissimulée sous la cape et qui frappera bientôt par
ordonnances. Car Macron, digne héritier des aînés, doit encore faire ses
preuves comme fiston des fistons de Tonton.
La fière devise républicaine est certes plus que jamais brodée sur le drapeau
tricolore, dans les replis duquel est soustraite aux regards l’épée fatale. Mais
nul n’ignore le sens nouveau qu’ont pris ces mots dans la langue du
pouvoir : Productivité, Rentabilité, Compétitivité.
Car « there is no alternative », comme on le sait depuis
Margaret Thatcher. En pure logique enseignée par Aristote, cette élimination
radicale d’un possible autre définit la nécessité. C’est-à-dire :
ce qui ne peut pas ne pas être, ce qui ne peut être différent, ce dont le
contraire n’est pas possible. Ou encore : ce qui ne peut connaître de
contradiction. Nous y sommes. Et l’on voit quotidiennement des bataillons d’idéologues
asséner aux troupeaux de citoyens, toujours en s’inspirant (mais sans jamais le
dire) de la théorie d’Aristote, que les lois de l’économie ne peuvent être
transgressées, qu’elles sont donc toujours vraies indépendamment de
l’expérience. En corollaire (si l’on accepte de suivre le raisonnement du Stagirite,
selon qui la réalité est constituée de rapports), le rapport social unissant/opposant
capital et force de travail concède à celle-ci la valeur exclusive d’une contingence.
A savoir : ce qui peut être et ne pas être. Autrement dit, la question
posée par Hamlet quatre siècles avant l’apparition publique d’Emmanuel Macron.
Que nous dit ce dernier ? Le résumé des chapitres précédents (ceux écrits par
Tonton puis par ses fistons) mais en plus clair, donc en plus embrouillé. S’adressant
à cette contingence qu’est la force de travail au nom de cette nécessité qu’est
le capital, guidé par son maître, le fiston de Tonton Jacques Attali, son discours
nous dit en substance : « Vous qui ne disposez pas du patrimoine
ou des très hauts diplômes requis pour appartenir à la race élue, vous êtes ce
qu’on nomme en économie du capital variable, qui se traite comme toutes les
autres marchandises en fonction des exigences du capital ». Autrement
dit : rigueur et vertu budgétaires accompagneront licence et gabegies
financières ; austérité publique, vices privés ; rigidité monétaire,
flexibilité des prolétaires. Pour être encore plus clair : la force de
travail, ce capital variable, sera flexible à mesure que sera rigide ce travail
mort qu’est le capital. J’écris ceci bien sûr en souriant car il s’agit, vous
l’avez tous compris, de la substance et non de l’apparence de son discours. Il
fallait donc, pour engendrer l’actuelle unanime euphorie, sans équivalent
depuis Tonton lui-même, surpasser en illusionnisme les fistons de Tonton...
(Pour dissiper tout malentendu, la « rigidité » monétaire, comme celle du
capital évoquées plus haut, ne doit pas s’entendre au pied de la lettre, même
s’il faut hélas le faire pour la « flexibilité » de la force de
travail. Il va de soi que le capital est nomade et tout ce qu’il y a de plus
volatil dans ses tours et détours, mais doté au plan symbolique d’une rigidité
cadavérique.) Cette parenthèse nous ramène à la mort, principe dont usa comme
pas deux ce vieux renard de Tonton, qui ne savait sans doute pas lui-même à
quel point il obéissait aux schémas de Shakespeare. La mort ? Eh
oui ! Pas seulement celle du vieil Hamlet, mais aussi celle promise par l’usurier
Shylock dans le Marchand de Venise – là, le fiston de Tonton Jacques
Attali dut redoubler de prudence pour ne pas risquer de mettre le feu aux
poudres de Rothschild, passage qu’il croyait obligé pour parfaire l’initiation
de son propre fiston. Car c’est comme rapporteur de la Commission Attali, en
2008, que le bébé Macron fut jeté dans le bain. Ce qui permit au fiston du
fiston d’apprendre comment le capitalisme sacrifie les bébés pour écouler les eaux
usées d’un bain passablement contaminé. Cette aimable Commission, sous Sarkozy,
édicta 316 oukases imposant une dérégulation de l’économie dans le sens exigé
par Kapitotal. Il était ordonné que ces diktats aient vigueur « pendant
plusieurs mandats, quelles que soient les majorités ». De telles
injonctions confirmaient l’abolition de la démocratie entamée par le coup
monétaire de Nixon en 1971, puis formulée par Thatcher en 1979. Ces dates
marquent l’apparition de la pathologie schizonoïaque, affectant toute
gouvernance occidentale puis mondiale depuis la destruction programmée de
l’Union soviétique. Cette affection psychique universelle caractérise l’actuelle
situation, qui combine toutes les catégories politiques énumérées par le divin
Platon dans sa République : aristocratique, timocratique, oligarchique, démocratique et tyrannique…
Si l’un des plus vieux fistons de Tonton, commissaire européen aux affaires
économiques et financières, peut aujourd’hui même, au nom du drapeau de la
Commune, appeler le parti socialiste à soutenir la politique versaillaise qu’au
gouvernail de la France mènera son fiston Macron, ce bond du délire
schizonoïaque n’aurait pu se concevoir sans une surenchère dans l’art du double
langage et de la duplicité que lui enseigna Tonton. L’on doit donc, « à
gauche » comme « à droite », continuer de feindre une
opposition, tout en apportant son soutien tacite au gouvernement. Pareille
occultation des contradictions réelles est digne du Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte.
L’examen qu’appelle un tel stratagème requiert l’éclairage de Shakespeare non moins que
celui de Marx. J’ai signalé l’année 1971. C’est précisément celle ayant vu le
serial killer décoré par Vichy Mitterrand (qui, ministre de la Justice, envoya
sous la guillotine une cinquantaine de militants du FLN en Algérie), vouant une
haine mortelle au général de Gaulle, fonder le parti socialiste au Congrès
d’Epinay, pour bientôt s’emparer de « la gauche ». Cette manœuvre fut
rendue possible par les effluves contestataires de Mai 68 (match non officiel
entre Debord et de Gaulle), et leur conséquence que fut la mort du général
Hamlet. Alors, seulement, Nixon put commettre son coup du monde bousculant le
système issu des accords de Bretton-Woods, et Tonton se poser en champion des
opprimés. Très vite serait votée la loi Rothschild (1973), plaçant les finances
de l’Etat sous la coupe de l’usurier Shylock. La dette publique – alors nulle –
prenait un envol aux perspectives stratosphériques. C’est ce cycle politique,
ouvert en 1971, que clôt Macron pour en ouvrir un autre. Il fallait donc à
l’impétrant faire ses gammes dans la banque Rothschild (en négociant pour
Nestlé l’achat d’un concurrent sur le marché du lait en poudre, grave cause de
mortalité des bébés en Afrique). Un tel parfum de mort flotte sur les élections
présidentielles au pays de la Révolution, de la Commune et de la Résistance, qu’aucun
artifice ne devait y être épargné pour maquiller ces miasmes en odeur de vie et
de renouveau. C’est à pareille ruse – d’une manière, certes, moins raffinée –
qu’avait déjà recouru Tonton, quand il eut l’habileté de lancer le produit
Bernard Tapie. Sans doute est-il depuis longtemps périmé. Mais qui pouvait
alors déjouer l’illusion d’un gadget allant jusqu’à truffer son manifeste
intitulé Gagner, de citations empruntées à La Société du
Spectacle de Guy Debord ? Et qui sait que le plumitif ayant servi
de nègre pour cette opération – un certain Bercoff – serait aussi l’auteur sous
pseudonyme d’un faux pamphlet dans la veine situationniste, commandé par
Tonton, dont assumerait la paternité médiatique l’un des plus valeureux fistons
de Tonton : François Hollande ? Le marécage des manipulations et
mystifications de masse n’a pas de fond, dont les moyens coïncident avec le
but : égarer le fleuve de l’Histoire. Ainsi la fusée traçante
entrepreneuriale « ni gauche ni droite » Bernard Tapie, préfigurait-elle
au gouvernement de Tonton l’actuel macronisme, invention des fistons de Tonton vouée à promouvoir l’oxymore d’un Tapie honnête...
Le client de passage qui entrerait dans la boutique de l’Elysée nouvellement
ravalée de la façade, n’y verrait que du feu. Un feu de tous les dieux du
panthéon judéo-chrétien. De la belle ouvrage ! Voici la môme Badinter à
son échoppe, patronne milliardaire de l’agence Publicis et théoricienne de l’islamophobie,
qui vitupère les porteuses de voiles en gérant par contrat l’image publique de
l’Arabie saoudite. Ne lui demandez pas les raisons d’une contradiction si
ouvertement schizonoïaque : elle vous répondra qu’elle préfère se retirer
à la campagne pour méditer la philosophie des Lumières. Cela tombe bien :
son voisin Le Drian tient l’étal du milliardaire Dassault. L’un et l’autre ont
en partage tous les petits secrets du terrorisme international. Quoi de plus
utile pour écouler à la douzaine des cargaisons de Rafale ? Aussi celui
qui fut ministre de la Guerre dans le gouvernement précédent, vient-il d’être
nommé ministre des Affaires étrangères. De part et d’autre de cet étal œuvrant
en première ligne pour l’Axe du Bien – ne pas les mettre ensemble, ces deux-ci
– fanfaronnent en faisant l’article pour leurs produits de grand luxe les
milliardaires Arnault et Pinault. Tiens, qui passe en coup de vent ? Le
milliardaire Drahi, première fortune d’Israël. Endetté à hauteur de 50
milliards, il dispose de la confiance des banques pour s’offrir bientôt le
marché des télécommunications grecques. Voici ses amis les milliardaires
Lagardère et Bolloré, qui travaillent dans le même rayon. Le conseiller
d’Arnault pour arrangements fiscaux du mécénat rôde à proximité. Faites
construire un musée d’un milliard à l’enseigne de votre marque, c’est l’Etat
qui paie ! On a toujours besoin d’un Védrine pour ce genre de combine. Il
connaît tout le monde : grand sage au-dessus de la mêlée, ce fut un
efficace adjoint de Tonton pour les affaires africaines. Vous ne vous rappelez
pas le Rwanda ? Son collègue de Grossouvre y a bien laissé quelques
plumes, eh oui, mais Védrine est toujours d’attaque. C’est lui qui a planché sur
le chapitre international du Révolution de Macron. Si l’on parle
des livres, BHL, Minc et Attali sont nécessairement dans le coin. Mais non, on
les signale à l’entrepôt, rédigeant les factures des stocks. L’ensemble de ce dream
team – tenez-vous bien – possède rien moins que l’opinion de la France. Tous
les journaux, magazines, radios et chaînes de télé leur appartiennent. Ni
gauche ni droite, c’est leur bébé. L’idée du millénaire n’était-elle pas digne
de ce soviet des milliardaires ? La boutique de l’Elysée, c’est donc chez
eux. Même si l’on voit très peu les deux véritables propriétaires des lieux depuis Napoléon, David et Edmond.
Vous savez que ce dernier a lancé le fiston des fistons de Tonton, grâce au lait en
poudre Nestlé déversé sur l’Afrique en avalant son concurrent Pfizer. Combien
de millions de bébés jetés par accoutumance à la chimie, quand ils ne sont plus
nourris au sein maternel ? Cette question n’intéresse pas l’opinion. Quand
on pense comment fut jeté en pâture d’une certaine presse le patronyme des deux
frères ! N’a-t-on pas même laissé filtrer que la dette publique, c’était
eux ? Mais oui, la loi votée sous Pompidou. Les croyances vont avec les
créances. Rappelez-vous le Programme commun de la gauche en 1981. Fut-il
question d’abroger la loi Rothschild ? Fortiche, le Tonton ! Quelques
strapontins ministériels ont suffi pour amadouer les cocos. Quand leurs quatre
agents de Moscou paradaient pour les caméras sur le perron de l’Elysée, pénétrait
par une porte dérobée le conseiller de Reagan George Bush, venu s’assurer que
tout était OK. Voulez-vous dire que l’on nage en plein Balzac, en plein Zola,
le Second empire et tout ça ? Bien pire que ça ! Rappelez-vous Warren
Buffett : « La lutte des classes existe, nous l’avons gagnée ».
Un cycle est donc achevé. Tonton puis ses fistons ont fait du bon boulot. La
question qui se pose au fiston des fistons est tout autre. Puisque la formule
de Thatcher s’impose désormais, comment changer ce fatum en l’apparence de son
contraire ? Il faut vendre la nécessité comme un absolu du possible !
L’héritier de Claudius devra s’exclamer : « Je suis
Hamlet ! » Le fantôme du roi mort, qui hante la société
moderne, à lui de l’assumer. Tous les attributs de la transcendance disparue,
ce sera le fiston. Jusqu’à faire sienne la phrase de Marx : « Les
philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit de le transformer ».
C’est à cela qu’a servi le soviet de la dream team, lors de ses
conciliabules à l’Elysée durant le quinquennat du dernier fiston de Tonton. Shakespeare
et Karl Marx au service du CAC 40 ! La social-démocratie libérale, devenue
libéralisme social-démocrate, opère une « révolution » à l’intérieur
des rapports existants, qui les renforce au lieu de les renverser. De même, un
« dépassement » des clivages existants prétend renforcer le pôle
dominant jusqu’à l’écrasement de l’adversaire. L’Histoire est lisible par sa narration,
dans une multiplicité d’histoires. Il y eut celles de Tonton, puis de ses
fistons. Vous entendez aujourd’hui celle du fiston des fistons de Tonton. Mais le Spectre a-t-il dit son dernier mot ?
Anatole Atlas, 25 mai 2017
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