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Accent Grave I

Quand Henri Guaino jouira d'un droit au chômage acquis grâce aux luttes syndicales, et qu'il n'occupera d'autre place que celle réservée à son nom sur les listings de Pôle Emploi, l'actuel conseiller du Prince ne manquera pas de loisirs pour corriger l'orthographe hasardeuse des mots que sa hâte courtisane estropia dans les quelques pensums dont il nous accabla.
Le dernier exercice en date relevait de la voltige : il s'agissait de faire paraître haut ce qui est bas.
Nul ne lui tiendra donc rigueur d'avoir - entre autres balourdises indignes de ce que fut autrefois le niveau de l'école secondaire, avant que l'idéologie libérale ne la sacrifiât - mis en place d'une conjonction de coordination le pronom relatif , sans apercevoir que l'accent grave ne se justifie nullement dans l'expression "le moment ou jamais", même et surtout si la phrase fautive entend donner des leçons relatives à la prise de risque.
Aux temps un peu désuets, patriotes et gaulliens dont, avec un humour de show médiatique, le coach du boss ne craint pas de se réclamer, pareille bourde eût-elle été concevable dans une missive officielle (il s'agissait, en l'occurrence, pour Henri Guaino, de discréditer la fronde collective des diplomates, en dénigrant comme "tract syndical" leur lettre ouverte), expédiée par le moins doué des aspirants stagiaires en diplomatie ?
Mais nous vivons des temps qui se caractérisent par un tel renversement de la pyramide sociale, où pour parler comme Dante le cul prend à ce point fonction de la tête, qu'il ne convient plus tant de se formaliser d'un lapsus calamae que de comprendre les bafouillements de pensée dont il témoigne. Si les Sarko boys furent champions en verbe qui fourche, n'est-ce pas l'effet secondaire d'une systématique inversion du réel dans la représentation publique ?
Ainsi, comme, tout au long de son article paru dans Le Monde ce week-end, Henri Guaino bande ses muscles mentaux pour créer l'illusion d'une élévation de la vision chez celui dont il voudrait être vu comme le mentor, soudain voit-on tout au contraire s'éclairer les raisons pour lesquelles ils eurent la scélératesse de flatter aussi bien ces derniers temps les ouvriers que les agriculteurs, les petits commerçants que les marins pêcheurs ; l'on discerne sans peine pourquoi furent attaquées professions médicales comme professorales, et (sans parler des artistes et journalistes non inféodés, ni des intellectuels et des écrivains) se trouvèrent agressées verbalement la magistrature non moins que la diplomatie.
C'est qu'à l'instar d'un Berlusconi, Sarkozy ne fonde son pouvoir que sur une démagogie niant tous les corps médiateurs, feignant une suprématie supposée le reflet des ressentiments accumulés dans la plus vile engeance populaire. Le calcul est simpliste : une classe patricienne exhibant les contours idéologiques de la plèbe croit se garantir ainsi la clientèle électorale d'une plèbe ayant adopté l'idéologie patricienne...
Ainsi procédèrent toutes les dictatures.
Comme le Duce avait son Gentile, Henri Guaino se hausse du col en usurpant la toge du philosophe platonicien garant de l'intérêt général contre la contingence des particularismes corporatistes, à l'heure même où principes et valeurs s'écrasent dans un marécage où pataugent prévarications et agiotages érigés en système d'Etat. Mais n'est pas Heidegger qui veut. Par une de ces ruses dont l'Histoire a le secret, brouillages et enfumages ont parfois vertu d'éclairage. Les graves accents de supériorité ne légitiment pas plus un accent grave abusif qu'ils ne discréditent un "tract syndical" ayant atteint son but : celui de faire s'évanouir les ultimes prestiges de ces manieurs du bouclier fiscal comme du glaive social, mercenaires au service exclusif de Kapitotal.

J.-L. L., dimanche 27 février

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