SPHÈRE CONVULSIVISTE
 
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 Honoré de Balzac

































































 Nazim Hikmet et Pablo Neruda
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La Sphère sphérise

« Ach’hadou ana la ilaha ill’Allah ! »
J’habite cette litanie cinq fois par jour depuis quatre mois : son cri, qui me traverse le corps, n’est jamais si vibrant qu’au terme du Ramadan. Karl Marx lui-même en fut impressionné, qui fit séjour au Maghreb. Les arabesques acoustiques autour du nom divin sont plus grandioses que celles s’adressant à l’œil au fronton des mosquées. Phares habités par des voix en voyage vers un autre monde, les minarets jettent leurs feux sur la nuit du sacrifice pour commémorer Abraham, l’ancêtre des peuples d’Allah. Ces deux syllabes m’évoquent la Sphère. Allah sive Sphaera correspondrait exactement au Deus sive natura de Spinoza

J’essaie de raconter quelque chose depuis plus de cent jours agenouillé sur un tapis de prière face à l’océan, dos tourné à tous les lieux saints, et c’est comme si je n’avais rien dit. Qui parle encore ici ? La surface liquide est hérissée de cadavres emportés par les fièvres d’une peste inconnue. Chaque vague porte un ventre gonflé qui scintille sur ce champ de bataille, dont l’Etat-major de l’Alliance atlantique interdit le moindre aperçu : pas d’accès aux plages. De quelle boue et de quel sang naissent les malignes pandémies ? Pas un message envoyé vers le Nord n’a reçu d’écho. Par contre, est arrivé du Sud un e-mail :

salue anatol.depuis quon cest vue a agadir. losque ty ma donner les 500 euro je suis parti aux casablanca. jai fait 2 jour laba et jai pris le taxis pour dakar arriver aux senegal jai pris une autre taxis pour la guinnee. je suis rentrer chez moi grace vous. je vous remercie beaucoup. arriver en guinee ma famille ma donner une femme ont cest mariee jai une fille zenab soumah. comme jai une famille maitenant je peut pas rester tranquille je me debruit. comme vous etes en route pour la guinnee je suis vraiment content de vous voir aves madame merci beaucoup.

Le monde ne pourrait-il être vivable ? Si c’était le cas, n’y aurait-il pas une ligne ferroviaire traversant l’Europe et l’Afrique de part en part, invitant à nomadiser dans les deux sens au gré de logiques migratoires encore à inventer ? Pourquoi cet Ali Badara se trouvait-il au Maroc, et l’ai-je rencontré comme un frère en errance différent des milliers de fourmis africaines hallucinées par le mirage européen ? Pourquoi lui avoir donné une somme supérieure à ma propre Valeur sur le marché, sinon parce qu’Ali m’est apparu comme un être doué de Parole ?...

BONSOIR MONSIEUR ANATOLE. SI VOUS ME DEMANDER DE PARLER MA SITUATION EN GUINNEE. JE VOULAIS GARDER ça JUSQUA LE JOUR QUE VOUS VIENDRAS EN GUINNE. MAIS JE VOIS ACTUELLEMENT AVEC LE VIRUS LA SITUATION DU VOYAGE EST TRES COMPLIQUEE. QUANT A MOI. JE SUIS LA AVEC MA FEMME ET MA FILLE. COMME JE TAVAIS DEJA PARLER DE çA AU MAROC LE JOUR ONT SE RENCONTRER A LA PLAGE DAGADIR. JE TAVAIS DIT QUE JE SUIS GUIDE TOURISTIQUE ET VENDEUR DES POISSONS A DOMICILE. JE ?E DEBROUILLE AVEC çA POUR SURVIVRE. SINON JE NE PAS GRAND CHOSE. JAI UN PETIT MAGASIN POUR POISSONS FRAIS. CEST DIFICILE ET JE VIE LABA AVEC MA FAMILLE MAIS JE TIEN UN PEU - UN PEU POUR VIVRE. LA VIE CEST PAS FACILE ICI EN GUINNEE COMME TOUT LES AUTRES PAYS. MOI ACTUELLEMENT JE SUIS MARIEE. JAI BEAUCOUP DE CHARGE A ACCOMPLIR CEST A ACAUSE DE SA JE VOULAIS QUE TU VIENT EN GUINNEE. POUR VOIR COMMENT JE GAGNE MA VIE. MA FEMME ELLE FAIT L°UNIVERCITER PRIVER DROIT 3 EME ANNEE. CEST MOI QUI PAYE SES ETUDE. MONSIEUR JE NE VOULAIS PAS TE DERANGER AVEC TOUT CE QUE TU AS FAIT POUR MOI AU MAROC POUR VENIR CHES MOI. ICI EN GUINNEE DANT MON BUSINESS DES POISSONS JE NE PAS UN FOND DE ROULEMENT CEST A DIRE JE SUIS EN CRISE DARGENT POUR ROULER BIEN MON BUSINESS. JE VEUX VOUS ENVOYER LES PHOTOS DE LA FAMILLE AVEC MON MAGASIN AUSSI. JE TE LAISSE BONNE JOURNER JE SALUT TA FEMME AUSSI.

Que de questions stupéfiantes et insolubles dans ces quelques lignes !
J’intitulerai donc son poème Poisson Insoluble en clin d’œil à André Breton, non sans lui promettre un prix littéraire : celui de la Sphère…

Je suis à 30° de latitude, et la région d’où Ali Badara m’envoie ses messages est à 10°. Si je fixe l’horizon lointain, je tombe sur Santiago de Cuba, à une latitude intermédiaire de 20°. N’est-ce pas la statue en bronze du Cimarron, au sommet de la plus vieille mine des Amériques dressée – tel un gigantesque Totem – par ton frère Alberto Lescay, qui t’a fait croiser le chemin d’Ali ? L’esprit de l’Ancêtre Cham aurait-il frappé le Cimarron à la pointe C (Cuba) d’un triangle ABC survolant l’Atlantide, afin d’organiser cette rencontre entre Ali et un Belge ?...

Toutes les réalités humaines, clame ce symbole de l’esclave révolté par-dessus les porte-avions surarmés de l’OTAN, se jouent sur sept niveaux, qui vont du biologique au cosmique. D’où vient-il qu’à son plus haut degré de développement technique, une civilisation soit mise en échec par un microbe décimant les têtes plus encore que les corps ? Cette question fuse du concert offert par les mâchoires des crânes au fond de l’océan, qui donne à celui-ci sa couleur sonore. N’est-ce pas toujours la même traite négrière, le même commerce triangulaire, sous une autre forme ? Afrique entière condamnée aux fers à fond de cale. Quelle est au juste la pandémie qui balaie le globe et couche à la fosse commune des myriades innumérables de victimes depuis la mort de l’Etoile rouge à cinq branches ? L’épidémique fièvre de la spéculation financière a tétanisé maints cerveaux, selon le point de vue des crânes. Tous les vents répercutent le nom du virus aux 3 syllabes maudites ; à ceci près que l’ordre des lettres, modifié, forme le tout autre vocable « Ô coran ! ». L’Eveillé doit y voir un signe, comme dit le Prophète.
Jamais un signifiant dépourvu de sens et inconnu de tous ne s’était, à la vitesse d’une épidémie, propagé sur toutes les lèvres de l’humanité comme le nom d’un signal universel. Mais jamais anagramme ne fut plus imprononçable : Ô coran ! Les lamentations du muezzin lancent à tous vents cette invocation pieuse : Ô coran ! Autant en emportent les hauts de hurlevent s’obstinant en ce chant : Ô coran ! Quiconque a-t-il fait le tour du mot Coran signifiant littéralement « lecture » – au sens où son premier mot (« Lis ! ») est une injonction aux mortels de lire le monde, c’est-à-dire d’en déchiffrer les sens caché ?...

Puisse la Sphère éclairer l’humanité d’une lanterne miséricordieuse ! Faut-il rechercher cette sourate où la mer est dite médication suprême contre tous les maux, pour faire lever l’interdiction du gouvernement mondial d’accéder aux plages ? Agenouillé sur mon tapis de prière, voici l’heure venue de ne plus tracer mes litanies sur le sable du rivage mais de sortir les griffes pour graver des signes à même la montagne.
L’Atlas voit, dans l’Atlantique, miroiter les songes d’Atlantide. Une Apocalypse a lieu dans tous les sens du mot : révélation, dévoilement, décryptage et cataclysme. Encore les effets catastrophiques de celui-ci s’accroîtront-ils de l’aveuglement somnambulique à ne pas voir le dévoilement de ce qui était caché. De ce point de vue, le plus étrange virus affectant les mortels signe leur putréfaction bien avant la tombe. Quelle indicible domination nouvelle s’exerce-t-elle sur le troupeau, pour le mater sous un tel joug ? Le cataclysme économique, politique et culturel annoncé par une crise sanitaire sans précédent soulève mille questions étouffées depuis que la question sociale fut occultée par les questions sociétales : de quelle nature sont l’exploitation économique, la domination politique, l’aliénation idéologique dont la crise sanitaire est une manifestation ? Quel système criminel prédateur, déprédateur et générateur de chaos, dans les dimensions physiques autant que psychiques, est-il à l’origine d’une situation de barbarie planétarisée ? J’ai désappris toutes les langues jusqu’à ne plus pouvoir comprendre, dans aucun pays, ce qui s’y dit. Seul demeure le langage des eaux qui transmet, depuis au-delà l’horizon, la voix totémique du Cimarron. Quand celle-ci se tait, je déchiffre les signes de l’écume pour entendre sonner un glas sur l’immensité du cimetière océanique. Les ondes sont pleines de turbulences au-dessus de l’Atlantide, où parlent des crânes.
Je mentirais en affirmant pouvoir traduire tous leurs messages, comme il m’est impossible d’interpréter les vocalises et youyous des sirènes, mais je m’y exerce. Encore faudrait-il que les humains se débranchent de leurs prothèses pour entendre ces signes et en relayer le sens. Plus de la moitié des mortels – psalmodient les crânes – sousvivent dans les conditions d’Ali Badara. Cette réalité d’immense misère à un pôle, d’immense richesse à l’autre pôle, ne peut être représentée par la tour Panoptic. Aussi les milliards d’Ali Badara n’existent-ils pas pour que puissent exister les milliards de profits d’un vaccin dont Kapitotal infestera l’Afrique. Ali trimera donc en vain pour enrichir Bill, et sa Zinab subira le viol chimique sur ordre du gouvernement mondial. Au Nord, les troupeaux du capital variable surnuméraire en colère et ruant sous leur joug invisible, n’admettent pas d’être privés d’une part du butin. Le système de la Valeur a programmé leur dévalorisation, mais leur légitime rage est dirigée contre Ali, désigné coupable par les maîtres de la Parole. Comment les prolétaires européens pourraient-ils sortir de leur enclos, s’ils ne voient ni Kapitotal ni la tour Panoptic ?...

Encore faudrait-il qu’on les leur signale ! Mais un silence de mort – toujours selon les crânes de l’Atlantide – est exigé des intellectuels pour ne point troubler l’industrie du bavardage gardienne du troupeau. Celui-ci ne peut donc pas savoir que le cœur des plus antiques cités – forum, agora, marché – se définissait déjà selon deux axes : la Parole et la Valeur. C’est un enseignement de Gilgamesh, dans son Axiome de la Sphère. Au lieu de saisir cette occasion providentielle de mettre en lumière la contradiction fondamentale entre Parole et Valeur, on dirait que les mortels s’obstinent dans un confinement spirituel dont se rit le virus responsable de la séparation des corps comme des esprits. Quiconque a-t-il signalé que « pandemia » signifiait en grec ancien le peuple entier ; que « pandemios » désignait ce qui est commun à tous, donc public ? La Parole fut-elle jamais à ce point niée par la Valeur ? Ô coran ! surnaturelle anagramme annonciatrice d’une future pandémie planétaire, unissant les peuples dans une vision globale pandémique ! Il conviendrait donc de publier un manifeste : Eloge de la Pandémie. Mais qui le relaiera ? Accepte-t-on Ali, lauréat du prix de la Sphère ? Plus fort que toutes les colères du troupeau, l’Eternel tonne par la bouche d’un BHL quand il édicte le XIe Commandement de Moïse : « Tu mugiras contre le Veau d’Or mais jamais ne nommeras Kapitotal maître de la Valeur comme de toute Parole grâce à la tour Panoptic »
Chaque être éprouve donc le fait que son existence entière obéit à des impératifs économiques ; chaque être a l’intuition d’être pris dans ce que Joseph Schumpeter appelait élogieusement « l’ouragan perpétuel de destruction créatrice » (qu’il identifiait au capitalisme) ; et ces milliards d’affects ne se traduisent en aucun concept susceptible si peu que ce soit d’affecter le rire nietzschéen de BHL dans son jet privé…

Mais l’Atlantide reçoit à flots ses lumières du passé comme du futur. Sait-on combien de fantômes croisent au large des Hespérides, en de millénaires vaisseaux sans équipage ayant à leur bord les spectres de toutes les guerres ? Ne sont-ils pas bien placés pour voir que, dans un basculement prodigieux, c’est toute la réalité qui se retrouve comme un continent englouti, quand n’émergent plus à la surface du visible que les artifices d’un pseudocosme se faisant passer pour la réalité ? Toute mise en question d’un tel cataclysme est bannie du discours public autorisé. Quand l’Etat n’est plus qu’un appendice des instances financières, les firmes du complexe militaro-industriel siphonnent les fonds publics pour entretenir la terreur, gérant des budgets supérieurs à ce qui est alloué pour des finalités publiques telles que l’école et la santé. La guerre commerciale usera de l’annulation des avoirs chinois dans la dette américaine, et le troupeau occidental opinera s’il en va de la défense de ses emplois. Partout des milliards d’humains se frayent à l’aveugle un chemin sur l’abîme, privés de toute vision globale. Dans une dévastation sans précédent, cette gigantesque tumeur cancéreuse qu’est la tête se nourrit d’un sang puisé dans l’organisme en gangrène, tétanisé par cinq décennies de crise et secoué de spasmes convulsifs. Qu’importe puisque le système financier, sous assistance respiratoire des Banques centrales, se voit injecter des liquidités dans les rouages par milliers de milliards. Pour les spectres de l’Atlantide, n’est-ce pas le moment de rappeler ce qui faisait le lien social, ce qui était commun à tous, hypothèse d’organicité d’une société : la notion de pandemia ? Quelle ironie qu’une pandémie signe l’annulation de cette promesse contenue dans un antique mot grec, dont fut anéanti le sens premier ! Ce n’est pas une mort cérébrale, puisque au contraire le cerveau global jamais ne fut autant sollicité, mais cette furieuse agitation ne produit plus ni pensée ni véritable création, l’esprit se trouvant terrassé par une fatale agonie de toute inspiration. Quel retour à la normale, s’il s’agit de retrouver le cycle infernal producteur et consommateur des immondices ordinaires génératrices de futures pathologies aggravées ?
Kapitotal est cette phase du capitalisme où le rapport social se révèle incompatible avec les besoins vitaux de l’espèce humaine – lesquels postulent une salubrité minimale de la biosphère et de la psychosphère qui ne peuvent être empoisonnées au-delà d’un certain seuil, lequel est sans cesse reculé par les démentes mystagogies de la tour Panoptic. L’humanité croupit dans les caves de son propre château. Chez elle recluse en exil par qui, par quoi ? Dans un recoin de ces oubliettes aux murs tapissés d’écrans, sur lesquels s’animent toutes formes d’images et de fonds sonores, une voix murmure : Où est passé notre héritage ?
De temps à autre un message diffusé par haut-parleur traverse la porte et rappelle à tous la raison de cette séquestration : Payez votre dette ! La porte est ouverte, mais cet ordre empêche quiconque de la franchir. D’autres voix se font pourtant entendre : N’êtes-vous pas complices de votre servitude en accordant croyance et crédit à cette folle créance ? Les voix que nul ne veut entendre sont celles des crânes ancestraux. Des langes aux linceuls, vies humaines non nées. Partout les traces d’une mise à mort. Quelque chose d’essentiel n’a plus droit d’être au monde. Ce dont Pasolini fit le titre d’un livre : Il Sogno d’una Cosa – reprenant l’expression de Karl Marx dans une lettre à Ruge de 1843. L’épouvante glacée d’un monde réfrigéré mais n’assurant pas un frigo pour les poissons d’Ali Badara, cet effroi devant l’évidence du mort saisissant le vif : telle est la révélation provoquée par un « virus aérien pseudo-grippal » selon les crânes au fond de vos oubliettes, comme dans les abysses de l’Atlantide. Une somme triple du PIB mondial – tout le travail mort de l’humanité – se trouve aux mains des robots du shadow banking, et ceux-ci continueraient de diriger le travail vivant ? Si jamais guerre n’eut férocité plus dévoreuse des corps et des esprits, c’est grâce à cette croyance en la dette insufflée par la tour Panoptic Ad Majorem Kapitotalis Gloriam ! Au paroxysme de cette bataille où la Parole est séquestrée par la Valeur, celle-ci s’empare de toutes les paroles et fait croire à un combat au nom de l’honneur des valeurs !...

L’histoire offre de ces bizarreries dont la recherche des causes ferait la joie des mortels, s’ils n’étaient hallucinés par mille trompe-l’œil. Le monde regorge de richesses et la misère est générale. Des carrousels d’images dansent dans vos têtes, y mobilisant les facultés cérébrales. Ce tissu de contradictions qu’est le capitalisme était jadis éclairé par des intellectuels, qui se sont confondus à ses rouages. Seuls ont encore un entendement les crânes, qui sont entendus comme un bruit de fond. Comment le sens de leurs messages ne vous échapperait-il pas, quand ils parlent pourtant le plus clair langage se pouvant entendre : celui qui révèle ouverte la trappe séparant l’humanité de son propre château. Cette crise planétaire est un révélateur d’Axiome de la Sphère, mais à l’envers. Gilgamesh offre un film se déroulant sur cinq millénaires, et du même scénario ce fléau sanitaire présente un résumé du négatif. Celui-ci ne trouve plus que dans les crânes des voix pour l’interpréter. Selon ces réceptacles du dernier feu sacré, les mortels imitent l’océan dans sa manière d’effacer les traces d’un désastre par la marée de leurs intérêts dévorants. Combien flux et reflux du marché préparent-ils de nouvelles pestes noires dans les corps et les têtes ? Car les crânes sont sensibles à l’atmosphère des idées. Celles ayant droit de cité : quelle ténébreuse affaire ! Le roman de Balzac portant ce titre est fort discuté par tous les crânes, au fond du cul de basse-fosse où gisent les vivants. L’on y trouve un synopsis du monde actuel, sous forme du cas le plus flagrant jamais exposé dans la littérature où justice et vérité, du côté des victimes d’une machination les condamnant à mort, s’affrontent à la perversité de l’Empire décrit comme parfaite inversion de la réalité. Dans une guerre féroce entre seigneurs et bourgeois pour la propriété, Bonaparte impose une fusion des partis dont les mensonges opposés se complètent comme ceux de la social-démocratie libérale, tandis que les contradictions sociales ont pour exutoire l’aventure militaire. Et les protestataires aiment voir le pouvoir ainsi qu’une Bastille à prendre. Mais s’emparer d’une prison a-t-il un sens, quand les assaillants sont eux-mêmes détenus dans la geôle où ils se complaisent ? Les crânes voient une organicité primitive dans cette société féodale axée sur la Parole, volant en éclats sous la loi de la Valeur. Quelle autre question, dès lors, que celle de l’organisation des deux axes de la Parole et de la Valeur ? Le crâne de Lacan s’en souvient : c’était il y a près de 50 ans. Toute la ténébreuse affaire tourne d’ailleurs autour d’un ministre et sénateur nommé Malin, prototype du personnel d’Etat contemporain, qui entre Fouché et Talleyrand (le crime au bras du vice) complote pour un pouvoir de droit malin se substituant à l’ancien de droit divin. Nous y sommes toujours, sans que nulle part ne soit posée la question d’un pouvoir de droit humain – constatent les crânes au fond de leurs oubliettes – et sans que les prisonniers humains daignent s’en aviser. Qui lit Balzac ? Ce moment de bascule historique, soumettant Parole à Valeur dans une perversion de justice et vérité : quelle importance ?
« Nous sommes le jouet d’une puissance inconnue et machiavélique », s’écrie l’avocat du procès : propos qui seraient aujourd’hui taxés de complotisme et condamnés par les tribunaux de la tour Panoptic – des plus impitoyables pour couvrir les ténébreuses affaires de Kapitotal. D’hier ou de nos jours, l’Empire n’est-il pas un règne de l’Ombre au nom des Lumières, où les crimes du Trône se parent d’ailes angéliques et les héros sont chassés ou écrasés comme des insectes propagateurs d’épidémies démoniaques ? Le personnage incarné par Michu, dévoué serviteur à l’âme noble finissant sous la hache du bourreau, n’est pas entré dans la légende romanesque à l’instar d’un Rastignac ; non plus que la figure de ce Malin, tribun du Peuple devenu comte et pair de France en ayant servi douze gouvernements de 1789 à Louis XVIII et Charles X, qui ne craignait pas d’annoncer un pouvoir oligarchique et dont la doctrine tenait en peu de mots : “ Bonaparte vainqueur nous l’adorons, vaincu nous l’enterrons ”. Balzac désigne en conclusion comme organisateur du complot Fouché, chef de la police impériale et modèle de tous les ministres de l’Intérieur de toutes les Républiques.
Aussi n’est-il pas dans les mœurs littéraires d’évoquer cette affaire. Encore moins lira-t-on Axiome de la Sphère, et les XVI invitations de Gilgamesh décrivant certain enfer paradisiaque où d’autres crânes, dans la fumée des narghilés, parmi les sirènes égayant le Diwan des Ancêtres, font même constat sans plus attirer l’attention des mortels. Décrire l’Atlantide ne peut se faire que depuis le sommet de l’Atlas et le fond de l’Atlantique : cimes et abîmes se confondent en la Sphère. Peut-être ce vocable aimé par Pascal est-il une autre façon de nommer l’Être suprême de la Révolution française, ou la dialectique de totalité conçue par Hegel et revue par Marx puis Lukacs. Peut-être est-il aussi le 100e nom – jamais encore dévoilé – d’Allah ?...

Pareilles hypothèses n’épuisent pas le mystère qui réside en la Sphère.
J’attends le métro de minuit pour Santiago de Cuba : ne le croyez-vous pas ? La station Cimarron au bout de cette ligne, d’où part une correspondance pour le golfe de Guinée, paraît pourtant plus crédible que vos trois vertus théologales : Foi dans la Créance, Espérance en la Croissance et Charité des Bienfaisances. L’ingéniosité des Atlantes leur permet de recycler l’abondant mazout infectant l’océan pour alimenter toute cette machinerie sous-marine. Avez-vous entendu que le Vietnam socialiste et l’État du Kerala, au sud-ouest de l’Inde, où les communistes sont au pouvoir, ont étouffé l’épidémie dans l’œuf ?...

Hô-Chi-Minh arrive entre Lénine et Fidel Castro devant l’étal d’Ali Badara. Vous ne croyez toujours pas que les crânes qui n’ont d’yeux d’oreilles ni de bouche, voient parlent et entendent mieux que vous ? La secrète relation des vivants et des morts est message de la Sphère. Nul, en Europe, ne voit Ali Badara, ni ne l’entend ni ne lui parle, car c’est à son inexistence qu’elle doit son confort. Qu’Ali chemine vers le Nord parmi des millions d’Ali : l’Europe arme contre ces spectres ses canons ; qu’il retourne au Sud faire commerce de poissons ne lui vaudrait-il pas rédemption ? Tel est le sens du Prix de la Sphère. Car l’outre-capitalisme ne sera pas une économie planifiée mais sphérifiée. L’un des gardes d’honneur de son catafalque, rappelle Lénine à Fidel et à Hô, tout en remettant le Prix de la Sphère à l’auteur de Poisson Insoluble, était un jeune poète anatolien faisant ses études à Moscou, qui deviendrait le légendaire Nazim Hikmet. Pourquoi Vladimir Ilitch Oulianov parle-t-il ici de cet aède universel qui prétendait n’écrire que pour les paysans illettrés d’Anatolie ? N’est-ce pas vers l’Anatolie, au pied du mont Ararat, que se dirige le voyage d’Axiome de la Sphère ?

 Nazim Hikmet

Expliquez-moi par quelle magie l’un de ces crânes a la voix de Nazim Hikmet quand il chante au Diwan des Ancêtres son poème épique sur la seconde guerre mondiale : « Et maintenant, vers la fin de 1941, Au fond de l’Atlantique… ». Est-ce moins crédible que vos croyances en la Dette ? s’esclaffe le trio révolutionnaire sur ce coin de trottoir de Conakry, dans le golfe de Guinée, face au même océan. Quelle dette ? Selon les experts, elle augmenterait de 20 % pour passer à 300.000 milliards $ : les poissons de toutes les mers permettront-ils jamais à tous les Ali Badara de la rembourser ? La Fondation Rockefeller vient de préconiser, sous les auspices de Yale et de Harvard, un système social militarisé dirigé par un Soviet suprême (Lénine, Fidel et Hô s’étranglent de rire) composé de “ leaders du monde des affaires, du gouvernement et du monde universitaire ” qui disposeraient des pleins pouvoirs de contrôle des populations grâce à la collaboration d’Apple, Google et Facebook. Les trois compères (Mao ne devrait pas tarder à les rejoindre) tremblent sous les nuages palpitants d’éclairs lancés par le Cimarron depuis l’autre rive. Kapitotal entraîne l’humanité dans une danse macabre accompagnée par les flûtes enchantées de la tour Panoptic. Si le capitalisme a changé les lois de l’espace et du temps, la future pandemia réunira tous les peuples dans la cinquième dimension du rêve et de la mémoire. Celle-ci suspend les perceptions ordinaires de l’espace et du temps. L’humanité restera-t-elle confinée dans les cachots d’une forteresse expiatoire, immunisée contre les virus d’idées semant des fièvres morbides ? La trappe est ouverte : qui s’aventure à la franchir ? J’en appelle à un véritable ambassadeur d’Anatolie pour confirmer la véracité de mes dires : l’écrivain belge Kenan Görgün. Les songes de l’Atlantide rythmés par les vagues de l’Atlantique au pied de l’Atlas requièrent un témoin fiable. Cet autre Atlante anatolien voudra-t-il être le symbolique médiateur – comme est depuis toujours médiatrice l’Anatolie – entre la Belgique et Ali Badara ?

 Kenan Görgün

BONJOUR ANATOLE. COMME JE VOUS DIT QUE JE SUIS A CONAKRY POUR LE MOMENT. JAI BESOIN UNE FOND DE ROULEMENT POUR TRAVAILLER. JE DOIS PAYER LES FRAIS DE SCOLARITER DE MA FEMME. AVEC LE VIRUS JAI PERDU BEAUCOUP DE CHOSE. LES ACTIVITER ONT COMMENCER ICI ET JE DOIT TRAVAILLER POUR NOURRIR MA FAMILLE. JE VOUS REMERCIE LE BIEN QUE VOUS AVEZ POUR MOI AUX MAROC. BIEN DE CHOSE A MADAME JE VOUS REMERCIE BONNE JOURNER.

Dis-moi, Kenan, si l’immense poème symphonique de Nazim Hikmet prophétise que la Sphère sphérise. Et si la plus universelle Parole du XXe siècle – contenant en son chant tous les sangs – parle encore aux vivants. Dis-moi si Nazim voit, pense et préfigure – en vertu de cette Sphère – que le sort de la Fondation Rockefeller est moins enviable à long terme que celui d’Ali Bandara. Dis-moi si peut encore parvenir aux mortels cette rumeur émanant du crâne de Nazim Hikmet :

Comme c’est drôle
Je vous croyais morts
Vous êtes venus par la fenêtre dans ma cellule
Entrez donc, mes amis, asseyez-vous
Soyez les bienvenus, vous m’apportez la joie


Pourquoi doit-elle venir d’Anatolie cette essentielle voix d’Atlantide, qui dit combien les yeux grands ouverts des crânes englobent tous les mortels d’un regard dont ils auront à déchiffrer le sens, pour que l’humanité se libère des geôles de son propre château ?

Anatole Atlas, 5 juin 2020

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