La matière de l'absence la présence de l'esprit
NUL AUTRE SPECTROMÈTRE QUE MAMIWATA N'A MESURÉ LE TAUX DE
L'IRRADIATION PROVOQUÉE DANS LES CERVEAUX D'UN PAYS COLONISATEUR ET COLONISÉ STOP PAR DEAL SUR URANIUM DU CONGO QUE DEVAIT CONCLURE ASSASSINAT
DE PATRICE LUMUMBA STOP SUR ORDRE AMÉRIQUE VIA SPAAK ET DAVIGNON STOP THÈMES DU ROMAN DÉSINTÉGRÉ VOICI PLUS DE VINGT ANS STOP
EFFETS DE RADIOACTIVITÉ N'AYANT CESSÉ DE S'AGGRAVER STOP SANS QUE SIRÈNE DU FLEUVE RÉDUITE AU SILENCE NE PRODUISE PLUS SON SIGNAL DE DÉTRESSE
STOP A L'HEURE D'UNE INDISPENSABLE INSURRECTION MENTALE PAR ÉLÉMENTAIRE SURSAUT DE CONSCIENCE STOP VU QUE NI LES
INSTANCES OFFICIELLES NI LA VALETAILLE MÉDIATIQUE AUX GAGES STOP N'A LES MOYENS DE FAIRE ÉCHO DERNIER LIVRE PATRICK CHAMOISEAU STOP JE RENDS PUBLIC CE S.O.S.
Une mélopée spectrale et oraculaire
Toute vision de
l’Œil imaginal est archipélagique. Un appel à l’archipel, dans l’espace
et dans le temps. Naissent au regard des îlots de conscience reliés par un
immémorial mana, comme d’intermittentes percées d’au-delà. Prendre ces
archipels pour objectifs d’une quête orientant l’œuvre d’un Guerrier de
l’Imaginaire, exige une expérience aux limites extrêmes de la perception, de la
conception, de la divination chamaniques.
Sur un chemin
poétique ouvert par Edouard Glissant, lui-même héritier d’Aimé Césaire, le
dernier opus de Patrick Chamoiseau créolise comme nul autre avant lui notations
sensorielles d’une sidérante acuité concrète (répondant au vœu de
Lautréamont : « La poésie doit avoir pour but la vérité
pratique »), et développements conceptuels de la plus exigeante
abstraction théorique : Digenèse – Trace – Relation – Tout-monde.
Ces îles
extralucides qui émergent dans « le tourbillon des perceptions
confuses », sous l’« inaccessible qui pèse sur l’ordinaire du
quotidien », dans une lumière qui « dissipe et révèle »,
Chamoiseau nous en offre une grandiose « trans-apparition ».
(« La trans-apparition monte de toutes choses, traverse toutes choses,
relie toutes choses entre elles. »)
On ne refuse pas
mieux toute assignation à résidence. Assimiler l’auteur à la seule Martinique
relèverait de l’illusion d’optique : sa vision n’est-elle pas, tout
autant, de Belgique, si les pathologies actuelles s’auscultent aux discours de
nos médicastres mondialisés : guérisseurs politiciens, marchands d’élixirs
culturels, rebouteux des ondes et gazettes ?
(Ainsi le
ministre belge des Affaires étrangères vient-il de préconiser une obligation,
pour tout jeune de dix-huit ans, de faire serment d’allégeance aux
« valeurs européennes », sous peine de mise au lieu du ban – ce que
signifie banlieue. Mais en quels termes au juste est rédigé le contrat social
supposé relier les membres d’une communauté civique, dont les plus hauts
dirigeants s’inféodent aux « valeurs » de Goldman Sachs ?)
Dans une Europe
ayant perdu souvenir de la trace de son propre génie (celui de l’aède qui,
d’Homère à Césaire, adopta toujours le point de vue des vaincus), quelle voix
peut-elle mieux ranimer la mémoire perdue que celle s’élevant depuis le lieu de
cette gigantesque mise au ban que fut la traite négrière, dans une langue
supplantant le jargon des vainqueurs ?
Survivre à
l’annihilation de leur humanité fit des esclaves nègres les champions d’un
« revivre avec l’abîme », démontre Patrick Chamoiseau.
Le conteur créole
se tenait au bord de cet abîme. Paradoxalement libéré des chaînes
communautaires, il invente une Genèse nouvelle qui lui fait retrouver les
conditions d’émergence de la Parole, aussi bien qu’anticiper celle du créateur
contemporain. Grâce à l’axe de symétrie que fut la cale-matrice des traversées
sans retour, l’auteur nous plonge en la caverne originelle. Jamais ne fut si
bien éclairé l’ultime enjeu de Sapiens, qu’il nomme « la conjuration de
l’impensable ». Dont il nous gratifie d’un sublime éclat par ce texte
en surplomb de toute littérature d’aujourd’hui, jusqu’à « faire de
l’impensable une présence chantante ».
Si l’ultime enjeu
de l’hominidé se confond à celui de l’écriture, par une réponse à la question
« Qu’est-ce qui se passe ? », dans les dimensions de l’espace
et du temps, du visible et de l’invisible, de l’ici-bas et de l’au-delà, cette
Matière de l’absence délivre une Parole miraculeuse.
Est-ce un hasard
si se distille une telle quintessence à l’heure où tombe en poussière la
substance de toutes les escroqueries du verbe tenant lieu de discours
officiels ? Ce livre a un impact, forme un éjectat, creuse un cratère
(titres des 3 parties, tirés de l’astrophysique) presque surnaturels, tant il
est une illustration du principe de la Relation venue de l’autre rive, celle
qui n’eut jamais droit de cité. La Relation se veut, par définition, critique
de la monologique du pouvoir : elle relève d’une dialogique.
Ce roman – car
je le lis comme tel – est construit sur un dialogue entre le narrateur et
sa sœur, dite la Baronne. Il fait résonner en outre un dialogue entre le Je et
le Nous, par la médiation (on pourrait dire créolisation) de la Grappe – ce
lien entre l’individu et le collectif qui est une invention poétique, éthique,
et peut-être demain politique. Entre le singulier et l’universel, entre ce qui
est et ce qui n’est pas, entre la parole autorisée de la puissance coloniale et
l’indicible du dominé déshumanisé, se fait ici la théorie du processus créatif
en même temps que sa géniale mise en pratique. Entre luminosité et opacité,
entre main et pensée, le narrateur met en nouvelle relation l’Afrique et
l’Europe, via son Amérique. Ici s’entend « le cri inaugural »,
dans des sonorités destinées à la postérité... « Comme un retour aux
origines d’avant les origines », le voyage de ce livre nous propulse
vers l’hypothèse d’un avenir viable, au long d’une veillée funèbre – celle
de la Mère – évoquée dans un cimetière par l’auteur et sa sœur aînée.
Leurs interrogations vertigineuses opèrent alors « une transmutation de
l’absence ». Défilent sous nos yeux mille images du négrillon qu’il
fut, dans une explosion de portraits frappant d’inanité toute la galerie des
personnages de la littérature française contemporaine.
Car, autour de la
défunte, est convoqué le Tout-monde. Non pas tout le monde, mais le tout d’un
monde ayant produit la Parole, et l’innumérable cortège d’inventions graphiques
et verbales condensées dans la figure de Man Ninotte. C’est le plus fulgurant
des portraits qu’on ait vu tracer par un artiste. Jamais la littérature (et la
peinture) n’ont donné l’occasion de VOIR une figure aussi puissamment re-présentée.
Le mystère d’une telle puissance réside en la concentration de sa présence
constituée d’absence. La gifle au goût bourgeois pour les simulacres de
liberté que constitue ce livre, est dans la peinture d’une femme rayonnant de
liberté souveraine, en la soumission même aux nécessités quotidiennes d’élever
une famille pauvre, quand on descend d’esclaves nègres aux Caraïbes. Cet humble
et inventif héroïsme d’une mère n’est pourtant pas l’occasion pour l’auteur de
s’épancher aux larmes sur Man Ninotte, tant l’émotion jaillit plutôt de
l’ironique distanciation maintenue par le narrateur. Lequel n’hésite pas à
conclure, auprès de sa sœur, avoir par trop « radoté »,
s’excusant de son « verbiage ». Dans l’évocation de la famille
réunie autour du cercueil, le conteur créole d’antan ne s’est-il pas invité,
dont Patrick Chamoiseau fait une créolisation des premiers fabulateurs en la
caverne des origines, et de lui-même en l’espèce de grotte où avait lieu la
veillée funèbre ? Bien sûr, il n’est pas seul. Il y a la Grappe :
celle des frères et sœurs. Mais aussi celle qu’il forme avec Césaire et
Glissant. Nous y captons les pulsations d’un jazz où ont leur part les improvisations
d’Abdelkebir Khatibi – qui se revendiquait aussi de la Digenèse –,
Abdelwahab Meddeb, Mahmoud Darwich, James Joyce, Borges, Faulkner, Alejo Carpentier,
Saint-John Perse, Garcia Marquez, Hector Bianciotti, sans oublier Victor Segalen…
Que Chamoiseau soit le plus important écrivain français vivant :
c’est un bonheur de le clamer, comme le fut celui de croiser son
chemin sur trois continents, depuis que le téléphone d’Hector établit en l’an
2002 notre premier contact. Pénible souvenir que le projet de faire venir
Patrick en Belgique ! Un ancien compagnon de tablée à l’Université de
Bruxelles venait d’être nommé féticheur de la Culture, de la même tribu
libérale que celui des Affaires étrangères plus haut évoqué : un an
d’efforts vains. De Biblique des derniers gestes (autre veillée funèbre)
à ce dialogue dans un cimetière, s’élargit la vision d’une sépulture abritant
la Trace d’un « pays insoupçonné » sous les fastes
visibles : réalité que la mélopée de l’aède a mission de ressusciter, dans
ses dimensions géographique autant qu’historique. « Les ruines comme
spectres d’une splendeur ancienne » ont, pour l’Œil imaginal, valeur
oraculaire. Ici se lit une anthropogonie…
Jean-Louis Lippert, septembre 2016
Mercredi 1 février 19H Maison de la poésie à Paris, avec l'Institut du Tout-monde, Patrick Chamoiseau prononcera en compagnie d'Isabelle Fruleux une
GRANDE DÉCLARATION SUR LES MIGRANTS.
Une soirée "Itinerrance" proposée par l'Institut du Tout-Monde, avec la participation du Collectif PEROU et du
Collectif pour une Politique de la Relation (Bruno Guichard)
Bienvenue à tous.
Réservez - Place limitées.
Impasse Molière - 157 rue Saint Martin - 75003
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