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Qu’est-ce qu’un pouvoir légitime, si les critères de légitimité sont définis par les agents de ce pouvoir ? Quelles modalités logiques autorisent-elles à le décréter légitime ici, illégitime chez l’ennemi désigné ?

Supposons, par exemple, qu’un sursaut de conscience universelle fasse émerger demain comme normes supérieures de toute action politique les critères absolus de la prophétie biblique, de la réflexion philosophique et de l’intuition poétique : Justice et Vérité. Le rapport social capitaliste, en son aboutissement qu’est la dictature techno-financière, ne serait-il pas condamné par toutes les instances intellectuelles et spirituelles, de même que serait invalidé comme une grossière mascarade le cirque électoral prétendument démocratique en honneur dans le monde occidental ?...

Ce ne sont pas des instances arbitrales neutres et impartiales qui édictent aujourd’hui les normes prétendant s’imposer à l’échelle mondiale – tout en permettant de les transgresser au gré de puissants intérêts particuliers – mais des agences d’influence usant de leur force de frappe médiatique pour à la fois séduire et assommer, hystériser et anesthésier les opinions publiques. Les armes de la publicité commerciale sont ainsi mises au service de la propagande politique pour énoncer, dans un même discours, que tout ce qui émane du pouvoir en Russie relève du complot, quand tout ce qui met en question le pouvoir occidental relève du complotisme. Tel est le schéma logique proposé au cerveau de l’homo sapiens. Peut-il encore faire preuve d’une indépendance d’esprit minimale, telle que celle exigée pour voir un film de James Bond ? Il est à craindre que non…

Que des services de l’ombre (dont la réputation n’est plus à faire), auxquels est imputée la tentative d’empoisonnement d’un Navalny, s’ils en avaient eu l’intention auraient raté leur coup, d’une manière aussi peu professionnelle que cet échec propulse la soi-disant victime au rang de héros planétaire, champion de la résistance et déjà vainqueur moral d’un match préfabriqué l’opposant au Kremlin : jamais scénario aussi ridicule n’aurait été accepté par les producteurs de James Bond. Car il mine un nécessaire élément logique : la dangerosité de ces services de l’ombre. Mais ce scénario insensé est cautionné par la quasi-totalité du personnel médiatico-politique occidental, justifiant le bien-fondé d’une agressivité travestie en légitime défense contre les noirs desseins de la Russie, selon les vœux du complexe militaro-industriel maître du Pentagone…

Comme si quiconque, de Moscou à Vladivostok, avait le moindre intérêt à une guerre avec l’OTAN ! La stupidité d’une telle imagerie ne désole pas seulement James Bond. Elle insulte l’intelligence humaine et inquiète les psychiatres soucieux de la santé mentale des populations occidentales. Si celles-ci furent toujours les dupes de leurs dirigeants lors des précédentes crises du capitalisme sans autre issue que la guerre, auraient-elles aujourd’hui le droit d’accéder à plus de lucidité ?...

Poser la question c’est y répondre. Nous assistons donc à une démentielle surenchère de propagande pour convaincre ces populations précarisées, paupérisées, commotionnées, terrifiées par les perspectives d’avenir sans autre alternative qu’une cybernétisation toujours accélérée, que la plus grave menace pour leur existence est Vladimir Poutine !

 Vladimir Poutine

Univoque est le discours public européen relatif à la Russie, fondé sur un syllogisme implicite hors de discussion, dont la prémisse incontestable identifie l’Europe à une démocratie sociale inspirée par des « valeurs » d’autant moins précisées qu’elles s’auréolent d’une aura transcendantale. S’agit-il des principes moraux de l’humanisme formulés par Erasme et la philosophie des Lumières ? Mais ceux-ci ne sont-ils pas contredits par l’emprise de la raison technique ? Et où en sont encore les promesses universelles de la modernité quand chacun voit une course vers l’abîme ? Le deuxième terme du raisonnement postule que la Russie ne correspond pas à cette belle idéalité. Contingentes sont les raisons fournies par l’actualité : des situations complexes, méritant analyses approfondies si l’on avait pour but une conciliation, sont systématiquement simplifiées pour être réduites à un cliché caricatural : ce sous-produit de l’Union soviétique est incapable de se conformer au modèle illustré par l’Europe. Il en résulte que ce cap éclairé de l’humanité dispose de toute légitimité pour sanctionner économiquement, contraindre politiquement, discréditer culturellement la Russie. Ce qui présente les apparences d’un syllogisme rigoureux ne peut s’imposer à l’opinion publique douée de saine raison qu’à une condition : que les prémisses aient parfaite validité. Mais si quelque réflexion critique interrogeait la nature démocratique de l’Europe ? Si quelque effort anthropologique révélait dans la civilisation russe une autre modalité d’être-au-monde, constitutive de richesse pour l’humanité ? Si quelque recherche historique suspendait la condamnation prononcée en bloc à propos de l’Ukraine, du Donbass, de la Crimée, du Caucase, de la Syrie, de la Libye, de l’affaire Navalny ? Tout jugement ne suppose-t-il pas un examen des circonstances du crime ? Et dans un tribunal démocratique, s’il s’avère que l’inculpé fut conduit à commettre ses actes par la pression de circonstances telles qu’il ne pouvait opérer d’une autre manière sans périr, la responsabilité de ses fautes ne sera-t-elle pas relativisée ? La mise à genoux d’un être, couteau sur la gorge, pour détruire son identité (comme ce fut le cas de la Russie d’Eltsine, dépecée par l’oligarchie financière occidentale) ne vaut-elle pas quelques circonstances atténuantes aux coups qu’il donne pour sauver sa peau ? À la Russie de Poutine ne sont accordées que circonstances aggravantes, confirmant une culpabilité ontologique, y compris lorsqu’elle est la seule puissance internationale infligeant défaite militaire à l’État islamique et à ses nébuleuses terroristes. Relève-t-on les liens entre ceux-ci et les mêmes oligarchies financières occidentales ? Le Kremlin sera d’autant plus sanctionné, qu’il a puni les oligarques russes complices de cette finance internationale. Ce qui permet d’observer que, dans cet étrange procès, l’instance arbitrale n’est autre que l’une des parties en jeu…

Ne devrait-il donc pas s’ensuivre un écroulement de toute la construction prétendument syllogistique – et de ses conclusions ? Parmi celles-ci, la plus préjudiciable aux intérêts de l’Europe n’est-elle pas l’annulation du projet de gazoduc pour obéir aux intérêts américains ? Tout au contraire, le raisonnement vicieux fera l’objet de surenchères verbales pour être démultiplié par toutes les instances « démocratiques », le Parlement européen allant jusqu’à reprocher à l’émissaire Josep Borrell de n’avoir pas été assez ferme à Moscou, face à Sergueï Lavrov, dans la défense d’une pseudologie servant d’argumentaire pour incriminer toujours plus la Russie, nécessaire coupable avec la Chine de tous les maux du monde. Si l’on poussait à l’extrême un raisonnement qui ne mépriserait pas les règles élémentaires de la logique, il faudrait envisager que l’Occident mène une guerre comparable à un accomplissement de ce que tentèrent Napoléon puis Hitler, mais sous d’autres formes, avec un grand luxe de précautions dans la mise en scène et les travestissements d’une pièce de théâtre. Cette hypothèse, digne de l’esprit des Lumières, je la soumets à l’ensemble des dispositifs idéologiques du continent sur lequel je vis, sachant qu’aucune place ne peut lui être réservée dans l’espace public libre et démocratique. Où est à jamais forclos le nom de Stalingrad.

 Stalingrad 1942

Impossible de produire un diagnostic sur le caractère pathologique de la situation mondiale, sans employer les mots adéquats pour désigner le mal : KAPITOTAL (ensemble des structures du crime organisé de nature mafieuse intégrant finances, drogues, armes, prostitution, medias) ; TOUR PANOPTIC (tour de contrôle des systèmes de représentations fonctionnant par illusion d’optique autorisant à grossir démesurément tel phénomène insignifiant comme l’existence d’un escroc de droit commun psychopathe et agent des services de l’ombre, propulsé en pleine lumière sous l’apparence d’un chevalier du combat pour la juste cause, héros de la résistance au mal et opposant mondial à la dictature sur le modèle de James Bond) ; PSEUDOCOSME (falsification systémique des réalités, plongeant les populations planétaires dans un Fake World sur le modèle des vidéogames) ; SCHIZONOÏA (psychopathologie consubstantielle aux trois notions précédentes, pouvant être considérée comme une forme aiguë de fausse conscience, par quoi un projet totalitaire d’exploitation économique, de domination politique et d’aliénation idéologique requiert pour son accomplissement une perversion des facultés mentales le faisant accepter comme projet d’émancipation démocratique dont bénéficierait le plus grand nombre…

Il arrive rarement qu’un individu s’oppose frontalement, structurellement et stratégiquement à l’ensemble du système organisant le pouvoir dans sa communauté d’origine. Opposition pouvant être politique (pouvoir temporel) ou culturelle (pouvoir spirituel). Les raisons de cette rareté sont évidentes : hors structures sociales, un individu meurt. Mais il peut être le ferment d’une contestation organisée mettant en difficulté les forces dominantes. C’est pourquoi le pouvoir le plus sophistiqué se caractérise par la récupération et la gestion de son opposition, jusqu’à prendre une forme structurellement bicéphale (gauche/droite) apte à assurer sa perpétuation par un jeu de bascule autour de son centre de gravité qui ne peut être mis en question. Sortir de ce schéma, pour une opposition, l’introduit au royaume du mythe. Ce fut le cas du général de Gaulle en 1940 sur le plan politique. Ce fut le cas de Charlie Chaplin (déchu de la nationalité américaine pour cause de génie) suite à son film Le Dictateur sur le plan culturel. En tant qu’écrivain belge revendiquant l’héritage de Charles De Coster (1825-1877), mort à 52 ans pour avoir fait de son immortel chef d’œuvre Thyl Ulenspiegel une arme de combat contre la tyrannie de son époque, il m’est impossible de ne pas signaler les similitudes entre le Second Empire et l’Europe contemporaine…

Sans espoir d’avoir plus d’écho dans mon pays que Charles De Coster en son temps, je m’en remets à la Russie pour publier* ce texte.

Anatole Atlas, Février 2021.

* Le texte disponible en russe : Stalingrad, Occident et Russie (traduction Karine Gevorgyan)

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