SPHÈRE CONVULSIVISTE
 
Message de Lénine à Poutine
Réponse de Poutine à Lénine
Méditation
de Lénine
sur la réponse
de Poutine
Méditation
de Lénine (suite)
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 Pouchkine





 Grand-Père de Pouchkine
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 1530 Medieval Astrologer

La mort ne met pas un terme au rôle que nous assigne le théâtre de la vie. Simple sortie de scène dans les coulisses, le temps d’endosser un autre costume. Celui-ci me sied. Même vidé de mes viscères, j’y sens toujours battre mon cœur, qui ne s’habitue guère aux trépidations contemporaines. L’air empeste l’essence et la fumée, comme si les entrailles de la ville pétaradaient. La circulation des artères et des veines est engorgée par des hordes motorisées. Jusqu’il y a trente ans, jamais on n’avait vu ce qui s’appelle un embouteillage à Moscou. Sur les larges avenues s’écoulaient des autobus, des trams, quelques rares voitures. Le rythme de la ville très peu marchande s’accordait à la marche des promeneurs. Aujourd’hui, la perspective portant mon nom ressemble à un boa boursouflé par une indigestion. L’Ours russe a été avalé par le marché capitaliste, que celui-ci ne peut digérer. J’ai ouvert les yeux comme un nouveau-né revenu de l’au-delà. Ce qui m’a fait retourner au berceau de nos peuples. Voyage vers les origines et fins dernières. Car je suis aussi millions de nouveau-nés n’ayant pas reçu le droit de vivre, en vertu des lois économiques du système où fut engloutie l’URSS. Les périples de l’autre côté du miroir sphérique m’ont souvent conduit vers la Lena, fleuve originel et tutélaire long comme cinq et large comme dix Seine, dont j’ai emprunté les deux syllabes pour m’offrir un pseudonyme qui ne déméritât pas du fleuve de l’Histoire. La Lena m’a baigné dans son lit tout un siècle couché à rêver et à méditer. C’est une immensité sans feux ni lieux qu’habitaient nos peuples destinés à préserver l’absoluité de la steppe et du ciel, des forêts et des lacs, des fleuves et du gel. Ce n’était bien sûr pas l’unique fleuve !

« Soudain, là où était la Volga, s’ouvrit la gueule d’une crevasse où s’engouffrèrent des colonnes de soldats, musique en tête, suivies des clergés en procession portant bannières et icônes, puis des millions de moujiks bâton à la main, besace sur le dos, ayant tous même visage ; la crevasse engloutissait aussi les nuages ainsi que la lune et les étoiles qui tombaient en tourbillons comme des cristaux de neige ». Tout est possible : c’est ce que m’apprend l’expérience du réveil après un siècle de sommeil où m’est revenue cette vision de Maxime Gorki. Tout est possible, y compris que rien de tout ceci n’existe, et que ma dépouille continue de dormir dans son mausolée selon les lois seules de la matière, sans que ne soit réelle aucune de mes visions spectrales, non plus que la réponse de Vladimir Poutine à un message que je ne lui ai jamais adressé. Pourtant, n’est-elle pas réelle, cette femme que je vois mendier en jouant du violon sous le mur du Kremlin ? N’est-il pas très probable qu’elle apprit la musique au temps de l’Union soviétique et que ses filles seront contraintes comme elle à la mendicité ? Si je lui lance « Dieu n’existe pas », ne se récriera-t-elle pas, outragée, comme chez Gorki : « Quelle autre espérance ? ». Ne se changera-t-elle pas en démon ailé s’envolant vers la Volga pour aller s’engloutir dans la crevasse rêvée par Maxime, tandis que sonneront les cloches à l’Eglise de la Résurrection ? L’histoire a forgé dans ma poitrine une cloche dont il n’est pas un être qui n’ait perçu les vibrations sonores au cours du dernier siècle. Même si mon cœur s’est arrêté de battre voici près de cent ans. Je vois se dessiner dans les nuages un énorme marteau qui servit pour créer cette cloche, marteau croisant une lune en faucille. Faucille et marteau me scrutent, sans que je puisse interpréter le sens de leur observation. La lune murmure quelque chose et la place Rouge entame une ronde autour de mon cercueil. Participe au manège le cortège des limousines emportant ministres, banquiers, magnats, généraux, stars du show-biz et maîtresses déshabillées par Dior à l’invitation d’Anna Karenine et de James Bond, pour inaugurer le casino d’Eugène Onéguine, dont le croupier serait le prince Mychkine. Le désespoir me tord les tripes. Je sens une morsure à l’estomac. Mes poumons crient l’appel à un air qui ne soit saturé de gaz toxiques. Reprenant conscience après un sommeil long d’un siècle, il me semblait avoir la gueule de bois. Ce n’était pas le cas. Si j’éprouvais les effets d’une méchante saoulerie, celle-ci était due plutôt aux prétendus remèdes administrés contre la maladie sénile du communisme. Comment n’être pas empoisonné par les tord-boyaux servis pour breuvages idéologiques depuis trois décennies, dont on m’impute la responsabilité ?

J’y oppose le plus efficace des antidotes : une multiplication des points de vue contraires, un changement de perspectives : parallaxe du Kremlin. La bande en goguette a fait au passage un crochet par mon mausolée, pour voir où en était le macchabée. Pas de doute, 007 est bien leur chef de meute. Il a gagné la guerre des rôles du XXe siècle et mon message posthume, suivi d’une réponse de Poutine, mobilise depuis un an les experts en décryptage de tous les services de renseignements. J’ai joué l’innocent cadavre et ils ont poursuivi leur chemin. Non sans m’injecter dans les veines au passage un cocktail m’ayant tant défoncé que j’ai vu s’envoler cette pauvre joueuse de violon qui a poursuivi sa sérénade jusqu’à la crevasse de Gorki. Car mon trip se passe en musique. Les tambours battent, un accordéon pousse la romance, on fait pleurer les cordes des balalaïkas : toute la place Rouge danse la karaminskaïa. Mais le rythme est donné par un plantigrade symbolisant notre pays. Jamais l’Ours russe ne pourrait croire que ma dépouille momifiée tremble d’effroi, secouée d’une crise de larmes. Qu’est-ce qu’on lui en a fait croire ! Pendant 1000 ans, il a cru au tsar divin. Pendant 100 ans, il crut accomplir les promesses évangéliques. Pendant 10 ans, il crut à une baguette magique enduite d’un miel mêlé d’alcool frelaté. Depuis 20 ans, il croit toujours à un destin rédempteur. Eternelle folie de l’Ours russe !…

Lorsque mes pensées s’envolent vers certaines contrées interdites par les dogmes du matérialisme, je sais que mon crâne reluit comme s’il était enduit d’un baume sous lequel une oreille attentive entendrait courir une prière, adressée je ne sais à qui ou à quoi… peut-être à la Sphère ? Gorki dit aux humains que leur essence est d’accéder à une sphère inconnue. La majorité l’ignore ; une grande part fait mine de ne l’avoir pas entendu. Pour qui se prend-il ? réagissent les autres, à l’exception notable d’un pour cent – dubitatif. Ce qui est vrai partout sur le globe. Si j’avais pu me douter de la médiocrité des habitudes un siècle après notre Révolution d’Octobre, et que rouler dans des limousines ou porter des costumes de grandes marques y serait nécessaire pour impressionner les banquiers dont on espère obtenir un crédit destiné à exploiter la misère du peuple, peut-être serais-je resté à Zurich jouer aux échecs avec Tristan Tzara…

Lorsque mon corps en sommeil menace de s’engourdir et que je ressens le danger de me cadavériser, lorsque les vacarmes du globe m’empêchent d’écouter la musique des sphères et que les fumées toxiques sont sur le point de me brûler les yeux ; lorsque je ne veux plus jouer ce rôle, je quitte mes défroques et me glisse dans les coulisses vers un autre décor.

Je fais d’abord un détour par les toilettes publiques du Kremlin, pour me persuader que je dispose encore d’organes en état de fonctionner. Ceux qui me croisent font à peine attention à la ressemblance de ce vieux type avec celui dont beaucoup portèrent l’effigie au revers du veston, trop préoccupés par des soucis urgents comme l’obtention d’un morceau de carcasse de porc enroulée dans du papier journal, que débite un ivrogne à la sauvette en guettant les miliciens par-dessus la foule, ou le baratin de charlatans revendant sur le trottoir de vieux titres de propriété de l’Etat pour une bouteille de vodka. Le souvenir de mes entrailles alors se glace. Kto vinovat ? écrivait Herzen. Qui est coupable ? Et l’émotion me tord les boyaux dont je conserve souvenir fantôme. L’homme de la modernité ne sait ni ce dont il a besoin ni ce qu’il doit faire. Le marché est sa seule autorité. C’est lui qui dicte le devoir, la nécessité. Au nom de la liberté. De choix et de soumission. Nécessité transcendante, imposée par les enseignes des grandes marques en place de nos slogans qui vantaient l’édification du socialisme et l’amitié entre les peuples. Je ressens le besoin de monter sur une tribune de fortune pour haranguer la foule comme sur les images m’ayant sanctifié pendant trois quarts de siècle. Il y aurait tant à dire que je préfère suspendre mes projets de vagabondage.

Mieux vaut mort que Rouge : à ce slogan souscrivit l’oligarchie russe, dans l’illusion d’un capitalisme qui l’inviterait à la table du festin tout en renonçant au pillage de ses vivres. Dès la nuit du 7 décembre 1991, lors d’une réunion secrète au fond des bois, quand trois dirigeants investis par la CIA métayers des domaines de Russie, d’Ukraine et de Biélorussie, signent une phrase dont Gorbatchev sera avisé après George Bush (« L’URSS, comme sujet de droit international et réalité géopolitique, n’existe plus »), ces domaines passent aux mains d’Oncle Sam. La phrase fait état d’un sujet (de droit) et d’un objet (politique). Si les trois hommes furent soudoyés par un pouvoir étranger, quelle est la valeur juridique de cette forfaiture ? Si leurs fonctions officielles invalident l’appartenance à l’Union soviétique, en quoi cette entité historique peut-elle être annulée sans l’aval des peuples concernés ? Ce hiatus entre sujet et objet aurait pu mobiliser l’intelligentsia mondiale, au nom de l’importance objective de cette entité pour l’humanité. L’URSS anéantie, ses centres de pouvoir passés sous contrôle occidental et ses citoyens éduqués aux raffinements des hamburgers et des sodas sucrés, des séries télévisées américaines et des voitures teutonnes, de la mode italienne et des parfums français, rien n’y fera : la gueule de l’Ours russe conserve son couteau entre les dents.

Les années 90 en Russie s’associent à l’image d’une maison en flammes. Certains s’enfuyaient, d’autres périssaient dans l’incendie, plus rares étaient ceux qui tentaient d’éteindre le sinistre car, malgré l’immensité de nos fleuves et de nos lacs, où trouver l’eau salvatrice ? Toute la gauche internationale, y compris communiste, s’aligna sur la social-démocratie libérale pour tourner les talons. Ces estomacs qui s’étaient goinfrés grâce à la révolution soviétique désavouaient celle-ci : non, ils n’avaient aucun rapport avec nous ; non, nous ne correspondions pas à leur vision d’un socialisme idéal ! Mais la singularité de l’Ours russe depuis mille ans ne tient-elle pas à sa survie dans une maison en flammes ? Dès que l’URSS fut déclarée défunte par les légistes occidentaux, ceux-ci s’empressèrent d’interdire toute autopsie du corps, qui aurait entraîné la détection des intoxications sciemment inoculées par l’Occident lui-même, après quoi le cadavre fut désossé par ces experts et les vieux organes jetés au rebut. Je continue de croire que de tels organes étaient vitaux pour l’humanité !

Car le parti du Drapeau Rouge, au cours du XXe siècle, a principalement socialisé les secteurs stratégiques de la société, développé les services publics, donné des droits aux anciens serfs comme l’accès à l’éducation, aux soins médicaux, à la culture et au sport ; c’est lui qui est à l’initiative des congés payés et des droits à la retraite vus comme un salaire différé. Il a réduit le pouvoir des maîtres et ouvert la perspective d’un monde où tous pourraient jouir, par droit d’essence humaine, d’une existence à l’abri des fléaux apocalyptiques : famines et pestes, guerres et morts. Pour la première fois dans l’histoire, un tel horizon ne relevait plus de l’utopie. Tel fut le vrai bilan de la Révolution d’Octobre et de l’aventure soviétique. Telle est aussi la raison pour laquelle, même si les armées de Moscou ne sont pas susceptibles d’entraîner un enthousiasme universel en 2022 comme elles le firent en 1922, les sympathies de la plus grande part du genre humain lui sont acquises en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Mais, comme le disait Marx, les idées dominantes sont celles de la classe dominante, maîtresse d’instruments de propagande globaux. Si nous n’en sommes plus à un centenaire près, voici juste un siècle parut l’ouvrage majeur en la matière Public Opinion de l’idéologue américain Walter Lippmann. Sous l’expression manufacture of consent, s’y trouve exprimée la nécessité d’un contrôle de l’opinion publique pour garantir la soumission des foules aux inéluctables évolutions du capitalisme. Le même Lippmann serait l’organisateur, en 1938 à Paris, d’un colloque où pour la première fois serait acclamé publiquement le mot néolibéralisme.

Edward Bernays reprendrait l’expression dans son livre The Engineering of Consent, l’un des plus audacieux manifestes publiés par l’industrie des vessies vendues pour des lanternes afin de conditionner le bétail humain de son plein gré. De telles manœuvres ont eu raison de cette moderne Troie que fut l’URSS, où la fameuse ruse du cheval opéra sous forme du cheval-vapeur : l’automobile. Nulle ville au monde ne fut plus engorgée par cette abomination que Moscou, dès que les publicités commerciales y déployèrent des réclames géantes en faveur des marques occidentales. Il ne fait aucun doute que figure dans leurs plans la prise du Kremlin sur lequel flotteraient les bannières étoilées des United States et de l’Union européenne, d’où seraient organisés des circuits touristiques au bagne de Dostoïevski, les Sibériens y jouant en costumes folkloriques les rôles de leurs ancêtres, ainsi que les Sioux dans les réserves indiennes du Dakota.  Je siffle à nouveau vers l’Ouest  six notes entamant l’hymne maudit :  So-youz-nié-ré-chi-mi. Soient-elles donc insufflées dans Global Viewpoint !

Les humeurs de l’Atlantique sont imprévisibles. S’il peut sommeiller des jours et des nuits, telle une bête impassible dont rien sinon le vent n’a les moyens de perturber un corps prenant ses aises entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, certaines insolences humaines le font sortir de sa torpeur. Ce qu’observe un scribe au bord du rivage, où le requiert l’obligation de capter la voix de Lénine telle qu’elle parvient à Gibraltar par des canaux insolites, et d’assurer la bonne réception de ses messages par le royaume des Atlantes. Une tempête s’est levée qui propulse des vagues énormes vers l’hôtel Atlantic où s’agite un curieux manège. Des engins à moteur par centaines y produisent vacarme et fumée sur le gigantesque parking. « DESERT SPIRIT EXPERIENCE », « JOIN THE ADVENTURE » : les banderoles affichant ces slogans flanqués des logos de grandes marques automobiles sont emportées par de réjouissantes bourrasques. L’océan se déchaîne. Les tentes volent, sous lesquelles étaient abrités buggys, motos et camions prêts pour le départ d’un rallye qui devrait traverser le Sahara. Cette façon qu’ont les humains d’offenser leur propre intelligence irrite au plus haut point les éléments. De furieux coups de pattes sont lancés par les flots jusqu’au mur de l’hôtel où se calfeutrent les pilotes. Colère crépitant sur le Rocher des Djinns à la grande joie des Atlantes. Le scribe voit alors bondir dans les airs ce qui ressemble à une voile de parapente, affublée de la réclame publicitaire du principal sponsor de l’événement : « HUMANITY IS ONE TEAM COACHING BY GLOBAL VIEWPOINT »

Le coucher du soleil sur la place Rouge m’évoque autant les banderoles de la Révolution d’Octobre que les torrents de feu se répandant dans le ciel évoqués par Gorki, quand il se souvient de sa petite enfance. Vision du monde fantastique, enchantée, féerique : tout ce qu’a perdu l’univers contemporain. Quel conte voulez-vous entendre, qui rende significative cette nuit de romance bercée par accordéons, tambours et balalaïkas ?... J’ai dit aux nuages qu’il était l’heure d’aller se coucher, qu’ils devaient se montrer sages. Et ils ont suivi mon conseil sans rechigner, comme des éléments naturels aussi bien élevés que le soleil, disparu de l’autre côté de la Moskova. Ce genre de relations (qu’entretenait Maïakovski quand il voyait les nuages en pantalons, non sans conjecturer que si les étoiles s’allument dans le ciel c’est parce qu’elles sont à quelqu’un utiles), je ne l’entretenais guère de mon vivant. Telle était l’insigne faiblesse de notre matérialisme dialectique, raillé par Maxime Gorki. Très tôt celui-ci parlait au fleuve, aux arbres et aux oiseaux, selon l’enseignement de sa grand-mère. Si nous avions intégré ces leçons dans la théorie du Dia-Mat, il n’y aurait pas eu de guerre entre Kiev et Moscou. Quand le petit Alexis Pechkov n’avait pas encore pris pour prénom celui de son père mort et pour nom de plume le mot signifiant « amer », il entrevoyait déjà des vérités qu’il n’est jamais trop tard pour méditer. « Plus tard, écrit-il, j’ai compris que les Russes, dont la vie est morne et misérable, trouvent dans leur chagrin une distraction. Dans la monotonie de la vie quotidienne, le malheur est une fête et l’incendie un divertissement ». Mais Gorki se garde bien d’ériger ce constat en vérité absolue pour la Vieille Russie. Tout se passe à ses yeux comme si le souvenir de celle-ci recelait un trésor perdu, remontant à l’époque lointaine d’avant le choc provoqué par l’invasion napoléonienne. Ainsi fait-il dire par exemple à son grand-père : « De notre temps, les vêtements étaient bien plus beaux et plus riches qu’aujourd’hui. On s’habillait mieux, mais on vivait plus simplement et la bonne entente régnait. Ces temps ne reviendront plus ». Nous n’avons pas assez lu Gorki pour comprendre l’utopie soviétique : une tentative désespérée de retrouver l’archaïque unité perdue. Celle-ci a pour lien une langue sacralisée. Laquelle, par la grâce des contes, permet de voir le monde comme une féerie magique. Ainsi de la légende d’une cité nommée Kiteje, devenue invisible sous la menace tatare sans cesser d’exister. Parfaite métaphore de la patrie des prolétaires engloutie ; mais aussi vision poétique et apocalyptique d’une société réconciliée toujours en devenir. Orphelin de père en bas âge, le petit Alexis s’invente des histoires dont il est le héros mythique : « Je le voyais cheminer tout seul, un bâton à la main, et un chien à longs poils le suivait ». Fidèle à son père, il sublimerait la figure légendaire du vagabond mystique et solitaire illustrée déjà par Dostoïevski dans Souvenirs de la maison des morts… Sa mère étant partie sur les chemins de l’aventure avec un officier enrôlé contre les Turcs suite aux soulèvements de Bosnie-Herzégovine, le futur Gorki reste avec ses grands-parents qui l’initient aux rites ancestraux. Sa grand-mère étale du foin la nuit dans le jardin où ils s’allongent côte à côte : « Regarde l’étoile qui est tombée ! C’est une âme pure prise de nostalgie, là-haut, en se souvenant de sa mère, la terre. Quelque part, un enfant vient de naître. » Ou bien : « Une étoile s’est levée, regarde comme elle a un grand œil ! Ô ciel, chasuble étincelante de Dieu »… Quand Gorki fait dire à sa grand-mère qu’« au printemps, la Très Sainte Mère de Dieu couvre les champs de fleurs », cette croyance ne diffère en rien de la vénération manifestée par les Indiens d’Amérique du Sud pour la Pachamama. D’autres fois, il est question de « Notre Mère la Volga ». Témoignage de son grand-père : « Un pauvre haleur entonnait une chanson qui lui venait du cœur et toute l’équipe la reprenait dans un grondement de tonnerre. Le frisson vous en passait sur la peau et la Volga semblait couler plus vite, on aurait dit qu’elle allait se cabrer comme un cheval et atteindre les nuages ». Lesquels ont suivi mon conseil d’être sages et d’aller se coucher de l’autre côté de la Moskova. Gorki ne se laisse pas enfermer dans la querelle d’ivrognes faite par le marxisme à l’idéalisme, au nom d’un matérialisme dont je témoigne ici de l’inaptitude à expliquer tout ce qui dépasse l’entendement rationnel. Que les dieux soient une invention des hommes, et la foi l’expression d’âmes simples face aux mystères de l’univers, cela va de soi ; ce qui ne peut empêcher la persistance de ces mystères, ni le besoin perpétuel de raviver les sorcelleries du monde surnaturel. Notre plus grande erreur fut de ne pas prendre en considération la richesse de ces traditions russes. Il nous aura manqué le sens dialectique de les relier à la modernité. Mais qui, de nos jours, ose-t-il encore y faire la moindre référence ? Il manque aux technocrates et idéologues de la Vieille Russie comme de la Novaïa Rus’ le génie de Gorki, qui sera toujours d’actualité dans un millénaire. Quelle importance, dira-t-on, ces racontars de va-nu-pieds ? Car tel était le petit Gorki, traité de gueux par les autres enfants qui l’humiliaient tel un gamin des rues. Mon but est de révéler ce qu’eut de spécifiquement russe l’éclosion de son génie quand, au gré de rencontres hasardeuses, il s’initia seul à la lecture et à l’écriture avant d’ironiquement baptiser « Mes universités » son apprentissage d’aède écoutant la voix du fleuve.

Il expérimenta ce qu’il y avait de plus sauvage dans une réalité russe que le monde occidental ne peut imaginer. Depuis ce mausolée, je voudrais éclairer la différence radicale apportée par son œuvre dans la conscience européenne, avec celle d’un aventurier d’outre-Atlantique dont immense fut l’influence : Hemingway. La comparaison de ces deux parcours me paraît indispensable pour comprendre ce qui se joue souterrainement dans la guerre en Ukraine. Oui, le XXe siècle fut un match entre deux visions du monde. Gorki fut le véritable concepteur de Global Viewpoint.

On ne croira pas davantage à cette méditation d’un revenant qu’on ne croit au fantôme du vieil Hamlet. Et c’est pourtant ce spectre qui inspira à Marx son Manifeste communiste. Hemingway fut l’un des concepteurs de l’existentialisme, idéologie niant toute essence et toute rédemption de l’âme (donc toute spectralité), nécessaire à la bourgeoisie du XXe siècle. Cette vision du monde explosa sur les murs de Paris dans le slogan Jouir sans entraves, mot d’ordre du consumérisme hédoniste qui s’affiche en lettres géantes au long de l’hôtel Atlantic. Sur fond d’images édéniques sont alignées les inscriptions publicitaires : « CHAQUE RENCONTRE EST UNE BELLE HISTOIRE », « CHAQUE MOMENT EST UNE FOLLE AVENTURE », « CHAQUE REPAS EST CELEBRATION », « CHAQUE GESTE EST CREATION DE SITUATION ». Dans le marché néocapitaliste, les activités qui exhibent avec le plus d’ostentation les apparences de la félicité s’ignorent des ombres ayant perdu leur corps. Karl Marx le disait explicitement, le Christ en forme de parabole, Socrate par sa fable de la caverne. Ces visions globales cristallisent des vérités qui traversent les siècles ; elles détiennent une puissance de feu dont s’irradie la véritable vie. Quand fut tuée l’essence de la Parole au profit de la Valeur, l’existence ne fit plus illusion que par une surenchère dans les signes extérieurs : enveloppe vide, coquille creuse, écorce privée de sève, armure sans corps, contenant dépourvu de contenu. C’est pourquoi le Conseil des Sages a résolu d’injecter une pensée vive dans la structure financière servant à blanchir de l’argent sale, baptisée Global Viewpoint.

Après la mort se découvrent bien des choses qu’on ne voyait pas de son vivant. C’est ainsi qu’un siècle entier j’ai veillé les yeux clos, méditant avec la sagesse d’un mort – d’un Maure, sobriquet de Marx – la folie des vivants. Et les morts ont l’humour de me faire parler au pays des Maures. Ceux qui s’élancèrent vers l’Europe menés par un chef prénommé Tarik, lequel donna son nom au jebel ibérique – d’où dériva celui de Gibraltar.

Oserait-on dire morte la civilisation d’Al Andalous ? Epopée glorieuse, elle offrit au vieux continent portant nom d’une princesse phénicienne le trésor des lumières antiques, pendant mille ans sous l’éteignoir de Rome. C’est grâce au génie maure que vinrent à l’Europe la mathématique et la littérature et la philosophie, sciences de la physique et de l’astronomie ; sans oublier les arts de la musique et de l’architecture, maints ingrédients de la cuisine et nombre de techniques artisanales ayant permis son essor, une fois qu’elle s’élança sur la voie des conquêtes coloniales. Car il fallut piller les autres terres au prix de massacres génocidaires, et du commerce trilatéral dû aux traites négrières, pour que se constituent les réserves de métaux précieux indispensables à l’accumulation primitive du capital. Toutes réalités justifiées par l’humanisme à vocation universelle. Toutes réalités matrices des valeurs assurant la supériorité morale du monde occidental. Au premier rang desquelles ce fétiche qui légitime son droit au leadership mondial : l’argent. C’est lui qui justifie le suprématisme de Wall Street sur quoi se fonde la stratégie du Pentagone, étayée par les imageries de Hollywood, sous surveillance de la Silicon Valley. Donc la mission sacrée de l’OTAN contre l’Ours russe. Car le premier impératif démocratique n’est-il pas celui de la croissance à deux chiffres pour les marchés financiers ? Le prix des matières premières s’envole-t-il sur les places boursières ? Les populations locales croupissent dans la misère. Telle est la loi du sacrifice expiatoire. Celle de César. Elle a pour boucs émissaires en Occident les Maures. Un homme d’Etat s’y opposa : Moro. Transgresser les mœurs traditionnelles au nom de pulsions libertaires qui dynamisent le marché du désir ludique et libidinal, dans un simulacre de révolution festive permanente, est le meilleur stratagème pour perpétuer l’empire de César. Celui dont le rêve est de saigner l’Ours russe afin de mettre à l’encan sa peau. Que ces maquignons croient avoir déjà vendue.

L’Atlante fixe des yeux l’horizon que les lumières du couchant colorent de sang. Dans son dos trépide le bétail de l’hôtel Atlantic. C’étaient des bovins qu’Héraclès avait mission d’aller chercher sur une île au-delà de l’Occident pour le dixième de ses travaux, suite à quoi reçurent son nom les colonnes d’Atlas. Qui captera le vrai testament de Lénine ? Sa voix se fait entendre avec le grésillement caractéristique des enregistrements d’il y a cent ans. Manque, en fond sonore, une romance de Lydia Ruslanova. Ce dont le scribe ne s’était pas privé pour accompagner son film Hymne pour une ville sans fleuve, tourné voici quarante ans lors d’un périple qui passait par Leningrad, le lac Ladoga, Riga, Yalta, Tachkent et Boukhara.

Ce film appartient aux archives de Global Viewpoint. L’idée du piratage revient au Conseil des Sages d’Atlantide. Ils se sont procuré facilement la liste entière des transactions financières passées depuis trois décennies à partir des pays de l’ancienne URSS. L’argent transitant par offshores et blind trusts, relevant de multiples juridictions à travers le globe, n’a rien d’opaque pour le Rocher des Djinns. Il suffit d’ouvrir un œil. Deux yeux rendent possible une parfaite visualisation du circuit monétaire mondial. Un million de milliards, avec les produits dérivés. Dont un dix millième correspond à la rémunération annuelle d’une moitié de l’humanité. Une vie de travail, productrice de richesses incommensurables, fait bénéficier le scribe d’une pension de retraite s’élevant à 10 euros mensuels. Quel est donc le secret de sa survie ? Question que n’ont pas résolue les Five Eyes, ainsi que l’on nomme les services de renseignements des cinq pays anglo-saxons : United States, England, Canada, Australia, New Zeland. Car les mille yeux panoptiques du Cyclope, avec tous leurs gadgets satellitaires, ignorent le troisième œil, seul capable de Global Viewpoint.

Autour des bulbes d’or tournoient dans le ciel rouge des choucas noirs. Jamais je ne me lasse d’un tel spectacle depuis près de cent ans que mon corps fut offert aux soins des embaumeurs et que mon âme revisite les contrées mentales où nous avons mené tant de combats. Je dois avouer mes erreurs dans le parti pris réducteur qui me fit enjoindre à Gorki de renier Dostoïevski. N’étaient-ce pas les Evangiles que la police découvrit dans sa besace de vagabond, lorsqu’il avait à peine plus de vingt ans ? A Capri, où je lui rendis visite en 1906, m’irritait cet aveuglement. Rentré en Russie quelques années plus tard, il s’attira encore mes foudres quand je lui reprochai de défendre l’idée de Dieu. Dans l’orage révolutionnaire de 1917, il publie des Pensées inopportunes où je suis accusé de plonger la Russie dans une barbarie qu’il fustigeait depuis toujours. Son journal sera bientôt interdit par mes soins. Même si dix ans plus tard, après ma mort, il reconnaîtra que « le peuple russe, malgré la guerre que lui font les gouvernements d’Europe, a franchi le seuil de la renaissance ». Mais c’était en 1928, peu avant la prise de pouvoir par Staline, contre qui je n’ai cessé de mettre en garde le Parti jusqu’à mon dernier souffle. Il faut prendre au sérieux le regard de Gorki, dont les rayons traversent la réalité russe pour éclairer certaines vérités peu avouables. Ainsi, tel personnage provincial laissant entendre : « Nous sommes comme qui dirait enterrés avant d’être morts ». Toute la littérature du XIXe siècle fait ce constat, d’où résulte ce trait de notre caractère : un intense désir de résurrection.

Ce dernier mot (vaskressenie) ne désigne-t-il pas chez nous le dimanche, ailleurs appelé jour du soleil ? Permettez d’y être sensible à un homme qui, mort, ne fut jamais enterré, jouissant d’une résurrection permanente. Et telle fut bien l’utopie soviétique : chaque jour dimanche. Là gisait le secret de l’indolence qui imprégnait l’existence collective sous le signe de l’Etoile rouge. Où l’on touchait son salaire sans produire de grands efforts, aucun patron n’exerçant un droit de propriété. Particularité raillée par l’idéologie bourgeoise, qui fustigeait dans la faible productivité due à cette insouciance « l’échec économique d’un système ». S’il fallait faire la queue pour un saucisson que tous pouvaient acheter, l’Ours russe voit-il comme un progrès vingt marques qu’il n’a pas les moyens de payer ? Seule vision du monde convenable : celle de la middle class occidentale. Entre les paradis artificiels de l’Ouest et la géhenne du Tiers-monde, nous fûmes un purgatoire. Celui-ci aboli, le monde entier retrouve le schéma biblique d’une scission ontologique – sans la médiation propre au christianisme – entre Eden et Enfer. Ce qui détermine les pays slaves d’Europe orientale à pencher vers l’Ouest, c’est la masse de plus-value accumulée par les métropoles coloniales grâce au pillage multiséculaire. Sous la férule d’Oncle Sam, cet empire entend conserver l’hégémonie planétaire. Nos résistances à ce projet sont les vraies raisons de la guerre. Mais dix années de bombardement du Donbass n’ont pas eu lieu ; les accords de Minsk, ayant servi de leurres pour préparer l’armée de Kiev à un conflit militaire planifié de longue date par l’OTAN, n’ont pas existé. Voici plus d’un siècle, j’ai décrit la guerre mondiale comme le résultat d’un partage du monde entre grandes puissances impérialistes ; celles-ci poursuivent le même objectif par une stratégie d’encerclement militaire visant à terrasser l’Ours russe. Aux ordres d’Oncle Sam, l’Europe en est venue à sacrifier ses intérêts pour satisfaire les appétits de son maître. Et la middle class occidentale, croyant toujours être une convive du festin, se trouve assez abrutie pour ne pas voir qu’elle figure au menu comme l’un de ses plats les plus riches en graisse. Tout, plutôt que des relations mutuellement avantageuses entre les différents pays de l’Eurasie. Tout plutôt que la coexistence pacifique d’Ostende à Vladivostok.



« On voyait les chevaux d’la mer qui fonçaient la tête la première Et qui fracassaient leurs crinières devant le casino désert ». Peut-être l’Atlante rêve-t-il cette histoire devant le Rocher des Djinns au Maghreb et n’a-t-il jamais quitté le littoral belge, où ses plongeons hivernaux lui font chanter sur la plage à tue-tête Comme à Ostende, vieille rengaine de Léo Ferré ?

Mais cette méditation de Lénine, et l’introduction d’une Parole en place de la Valeur, dans d’opaques circuits financiers provenant de l’ancienne URSS et transitant par Gibraltar – comment aurait-il pu les inventer ? Car la pensée de Vladimir Ilitch Oulianov n’en finit pas de pénétrer, ainsi qu’en un sinueux tube digestif, les systèmes informatiques de la finance mondiale et leurs appendices médiatiques. Et d’ailleurs, ce n’est pas sur la digue d’Ostende que l’on verrait ces colonnes de migrants africains circulant à l’affût des touristes pour tenter de leur fourguer quelque bibelot, comme devant cet hôtel Atlantic lorgné par un océan aux aguets sous la brise du soir, lequel se prépare à l’engloutir quand l’occasion s’en présentera. N’est-ce pas son repas pour plusieurs jours que le scribe vient de payer 20 dirhams à une Mama sénégalaise ? N’emportera-t-il pas la barquette épicée pour la mettre au frigo dans son gourbi sans autre préoccupation de cuisine, afin de témoigner par écrit d’expériences maghrébines que nul ne jugera légitimes en Belgique ? N’est-ce pas pour cette raison qu’il s’est exilé de sa patrie de passeport, lui qui comme son grand-père l’aède n’eut jamais d’autre vraie citoyenneté que soviétique ? Et ne conserve-t-il pas le plus cuisant des souvenirs de son dernier passage à Bruxelles ? Une angoisse confinant à la torture s’était emparée du scribe illégitime ayant envoyé tous azimuts une Lettre à l’Être, puis mobilisé ses antennes pour capter d’éventuels messages en retour. Lesquels s’assimilèrent au néant. Toute réalité supérieure s’enveloppe de scandale dans l’arène du cirque mondain. Le prince Mychkine, héros dostoïevskien, brise-t-il un vase de grande valeur lors d’une soirée dans la haute société ? L’effroi général est raconté (« Le fracas, les cris, les précieux débris éparpillés sur le tapis ») ; mais surtout : « ce ne fut ni la honte, ni le scandale qui le frappèrent le plus, ce fut l’accomplissement de la prophétie ». Quand le prince Mychkine débarque en Russie, sa fortune s’élève à un baluchon provoquant les sarcasmes. Plaisanteries auxquelles il s’associe. Décrivant sa vie, le prince ne peut narrer ce que fut sa jeunesse, tant les fréquents accès de sa maladie « l’avaient rendu complètement idiot ». Lors de sa rencontre avec Nastassia Barachkova, celle-ci le traite d’« ahuri ». Sa fiancée Aglaé exprime son dépit : « Vous êtes lamentable… Est-il possible de vivre à ce point hors du monde ? » Précisément, il semble que le prince vive à un niveau qui n’est pas celui du monde. Cet univers invisible permet d’échapper au temps, ouvrant sur un ailleurs hors de l’espace conventionnel. Ce qui fera dire à Nastassia : « Voici le premier être humain que j’ai rencontré ». Comme s’il était doté d’un paratonnerre foudroyant l’ordinaire des conventions sociales. Telle fut bien l’expérience du scribe illégitime en Belgique. Bris de vases divers, effrois (fracas, débris éparpillés, hontes, scandales) mais surtout : l’accomplissement de la prophétie. Celle, ici posthume, de V.I. Lénine.

Puisse Vladimir Poutine accueillir comme un frère le prince Mychkine ! Puisse-t-il accepter de bonne grâce le bris symbolique de vases précieux dans ses palais dispendieux ! Puisse le génie russe n’être pas dupe de lui-même ! Puisse Pouchkine laisser entendre son poème Aux calomniateurs de la Russie, dirigé contre l’ogre impérial de cette époque : Napoléon Ier.
Pouchkine y soutenait que la rage occidentale provoquée par l’entrée des armées du tsar dans Varsovie, devait moins à l’amour de la Pologne qu’à une vieille russophobie. Ne traitait-il pas, en 1831, l’empereur français (« Parce que nous avons fait rouler dans l’abîme / L’idole qu’adoraient vos lâches potentats, / Parce que nous avons affranchi vos Etats, / Vaincu la tyrannie et châtié le crime / Parce que notre sang, Europe, a racheté / Ta paix et ton honneur avec ta liberté… ») dans des termes pouvant s’appliquer à Hitler ou aux dirigeants de l’Alliance atlantique ? D’étranges idées se glissent en mon crâne, me suggérant qu’entre l’aède Pouchkine et le tsar Nicolas Ier se joua le combat millénaire entre César et Césaire. Quelqu’un d’autre parle-t-il en moi ? J’avoue ne pas connaître ce dernier nom, qu’un inspirateur inconnu vient de me faire prononcer. Ah ! si quelque illumination m’avait dissuadé d’écrire Matérialisme et empiriocriticisme, et plutôt orienté vers la tradition spirituelle africaine ! Car l’arrière-grand-père maternel de Pouchkine était un esclave abyssin que le tsar Pierre avait reçu en cadeau au début du XVIIIe siècle, puis envoyé poursuivre des études en France avant de revenir en Russie pour y acquérir à jamais la célébrité sous le nom de Nègre de Pierre le Grand. J’ai donc dépassé le siècle et demi d’existence physique et spectrale. A cet âge, l’exigence de vérité se fait pressante. Né en 1870, l’année d’une première guerre capitaliste à prétexte patriotique entre les deux nations héritières de Charlemagne, dont les ambitions impériales ne cesseraient jamais d’ensanglanter l’Europe, je porte un regard que l’on peut appeler nécrospectif sur les événements survenus depuis lors. Et d’abord sur la Commune de Paris, conséquence de ces impérialismes à la fois rivaux et complices, matée par les bourgeoisies française et allemande conjointes. Cette histoire fut-elle bien réelle ? J’ai navigué cent ans si loin des rives de l’éveil qu’il me semble flotter entre deux mondes, comme si je n’avais pas été arraché au sommeil de la mort et que je voguais sur une longueur d’onde nécessaire pour comprendre le somnambulisme contemporain.

Dans quel état d’hypnose les esclaves, de siècle en siècle, doivent-ils être plongés pour croire aux fables de leurs maîtres ? Si Versailles triomphe après la Commune, c’est à Versailles qu’en 1918 est imposé un diktat au IIe Reich, qui accouche donc du IIIe. Puis d’Hiroshima, premier acte de la Guerre des Etoiles. Et c’est encore un traité de Versailles qu’impose à la Russie l’extension de l’OTAN. Seule une hallucination collective peut occulter l’engrenage mécanique d’où résulte la soumission à Oncle Sam. Inverse de l’hypnose est l’état d’onirisme, qui permet de voir l’Europe constituée de trois grandes entités : Gallia, Germania, Slavia, entourées de satellites : Scandinavia, Britannia, Iberia, Italia, Graecia. Dès lors que les Etats-Unis d’Amérique sont vus comme extérieurs à ces entités, rien n’empêche celles-ci de créer les modalités de liens d’où naîtraient enfin les Etats-Unis d’Eurasie. Où l’OTAN n’aurait plus raison d’exister.

Une autre Alliance atlantique a pour épicentre les colonnes d’Hercule. Non loin de Gibraltar, où la voix de Lénine continue d’infiltrer le circuit financier planétaire via l’antenne cosmique du Rocher des Djinns. Si tout ceci n’avait lieu dans la réalité mais était de sa pure invention, la place du scribe illégitime serait à coup sûr dans un asile pour fous criminels…
Ce que n’est pas loin d’estimer la corporation des gendelettres faisant commerce de la Parole au service de la Valeur. Quel civilisé jouissant de son bon sens accorderait-il crédit à des divagations aussi complaisantes à l’égard de la pire barbarie, qui relèvent de la compétence des tribunaux ? Les caméras de surveillance de l’hôtel Atlantic en attesteront. Sur leurs écrans se verront les plongeons de l’Atlante vers des gouffres inconnus. Lui seul pourra plaider que la nage en apnée fait retour à des ères où la bête aquatique s’accordait à la Sphère. Plus profonds les abîmes explorés – plus élevées les cimes. Au lieu d’un monde aplati aux deux dimensions de la Grande Surface. Encore celle-ci vacille-t-elle. Quand il émerge, ne voit-il pas l’hôtel s’enfoncer dans le sol ? Des termites semblent ronger les fondations d’un monde qui s’effondre sous son propre poids. Même si ses chefs n’en continuent pas moins de prétendre coloniser le cosmos. Déjà s’ouvre la gueule des abysses pour avaler ce qui accumula plus que son dû. L’Atlantide a le temps. Son Conseil des Sages enregistre la voix de Lénine, telle que la répercutent les haut-parleurs de Global Viewpoint.

à suivre...

Méditation captée le 1er mai 2023. (mise en ligne le 9 mai)

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