SPHÈRE CONVULSIVISTE
 
Ampoule
pour élucider
le Globe
 
Ampoule 3
Ampoule précédente
Ampoule suivante

 Ajiaco 2018

Sphérisme


biographie
bibliographie
iconographie
contact
<< Retour
 
 
Sphère  >  Ampoule pour élucider le Globe  <    1   2  3  4  5  6  7  8  9  10  11  12

Ampoule pour élucider le Globe (III)

Il était trois petits enfants...

Nul, dans le monde occidental, n'ignore le funeste sort des marmots de la comptine ancestrale : celui de lardons mis au séchoir du boucher... L'écrivain belge d'origine congolaise In Koli Jean Bofane y a-t-il pensé quand il nous décrit, dans Congo Inc., le sort de trois enfants glanant aux champs « des arachides pour les ajouter aux feuilles de manioc », voués à être dévorés par la fatalité d'un carnage mondialisé ?...

Pareille légende populaire a son écho en Avignon, qui met en scène les prémices du drame des Atrides – aux origines d'une guerre de Troie n'en finissant pas plus que celle de Canaan, depuis plus de 3000 ans...

La malédiction des puissances invisibles sur Atrée, coupable d'avoir offert à son frère Thyeste le festin de ses trois enfants, conduira les fils du roi d'Argos Ménélas et Agamemnon vers leur destin de malheur...

L'ogresse aux appétits sans limite nommée civilisation, ne se targue jamais si bien d'une supériorité culturelle sur les barbaries justifiant ses mâchoires d'acier, qu'en avalant ses proies pour en extraire le suc au nom des plus hautes valeurs morales et humanitaires...

Cette anthropophagie de bonne compagnie n'a pas de meilleure table de banquet que celle de l'OTAN, quand toutes les sommités civilisées se disputent la part du prix à payer par leurs peuples respectifs, afin d'accroître la puissance technique des griffes et crocs nécessaires à la poursuite sans fin d'une dévoration sacrificielle...

Encore faut-il que le dragon se pare du masque de l'archange, et que le Moloch boive leur sang dans le crâne de ses victimes en y produisant une image inversée. C'est à quoi sert l'industrie du divertissement, qui subordonne le livre à la logique des séries télévisées, dans un suspense intégrant toujours plus les compétitions littéraires et sportives...

Le brouillage des focales pour l'embrouillage des esprits postule une déchéance du psychisme humain dans son aptitude à la vision globale, jadis apanage de l'écrivain. De sorte que les médias ne craignaient pas de promettre un destin triomphal et historique à la Belgique, non sans que les bavardages des principaux représentants de l'équipe nationale de littérature à propos de leurs homologues footballeurs n'eussent été recueillis par la gazette belge de référence avant leur match contre la France. Ainsi, la baronne Amélie répéta que l'on sollicitait partout son opinion transfrontalière ; le margoulin de commerce théâtral réitéra son écartèlement entre les deux pays ; tel acteur de cinéma wallon, qui égaya les soirées au château de la Sévigné, confirma la difficulté d'opter pour l'un ou l'autre adversaire. Et l'éminence littéraire s'étant fait une carrière comme expert en matière de belgo-francité, fut celui qui éleva le niveau du débat : « Les Français ont enfanté Racine, Marivaux, Molière et Vauban. Les Belges ont Breughel, Rubens, Magritte et Tintin »...

Pareille nomenclature prenait l'allure d'énoncé au micro d'une liste de joueurs. Mais aussi d'énumération des mauvais payeurs dans la gueule de Killer Donald quand, au siège de l'Alliance atlantique, il incarnait Agamemnon pour tancer les vassaux convives, coupables de ne point honorer les 2 (par son caprice devenus 4) % de PIB requis pour leurs pyrotechnies guerrières, s'il n'est plus d'autre feu sacré...

(Qui sont la Clytemnestre et l'Iphigénie de Killer Donald ?)

Cent ans après la Der des Ders, le même système cannibale planifie ses ripailles de cadavres sous d'autres oripeaux, toujours plus conviviaux. Quelle main à plume serait-elle encore assez peu complice pour s'y opposer, depuis que Ménélas a pris les traits de Baby Mac pour assurer caution intellectuelle aux mandibules et dards des armées impériales traquant le roi Priam sur tous les fronts du globe ?...

(Qui est l'Hélène de Baby Mac ? Son Pâris lui serait-il un jour Paris ?)

Que serait l'hégémonie militaire au service de la tyrannie financière, sans une parfaite coercition idéologique ? La décérébration des foules requiert une connivence des fétichismes du football et de la littérature. Survivrait-il un écrivain qu'il évoquerait le sort d'Hector et Andromaque, mais la menace est aussi insignifiante qu'un système de signes ayant imposé l'absence de sens. L'ensemble des représentations autorisées doit chuter à un niveau primaire, pour que le discours de la domination se résume à l'affirmation selon laquelle rien ne sert plus les intérêts des dominés que leur soumission sans condition...

De sorte que le Capo dei Capi, descendant du Capitole sur la capitale européenne, de pied en cape caparaçonné en Godfather de Kapitotal, ne doive plus affronter le moindre soupçon d'opposition mais que tous obéissent aux ordres donnés par les gangs de l'armement réclamant un pourcentage accru sur les budgets publics du vieux continent...

(N'est-il pas stupéfiant que la totalité des agents de la tour Panoptic ait omis dans ses commérages, papotages et radotages consacrés à sa descente sur Bruxelles, de commenter l'extraordinaire affirmation de Killer Donald : « Je suis un génie stable »?)

Dans une guerre mondiale de la valeur où chaque prédateur arrache autant de proies que lui permettent ses organes offensifs et carapaces défensives, c'est un appareil digestif qui s'exprime par ses apparences de têtes. Où sont passées les anciennes facultés critiques de l'opinion publique ? La régression psychique est telle que toutes les manœuvres politiques, aux ordres d'instances économiques, relèvent d'un éthos purement naturel et biologique, au prix de la destruction d'une éthique jadis ancrée dans la culture et ses infinies dimensions symboliques...

Il ne se propage donc plus qu'une seule idéologie. Que ce soit le poste de titulaire s'identifiant à un numéro sur une vareuse, la primauté dans les chiffres de vente en librairie ou la direction des trafics planétaires, il s'agit d'être leader sur un marché. Ce qu'ont enregistré jusqu'aux enfants des rues de Kinshasa, décrits par In Koli Jean Bofane...

Ceux dont les châteaux sont fondés dans les nuages ont toujours été du parti des chaumières contre les seigneurs de la guerre. Si l'on n'ose imaginer un monde suscitant plus de passions pour la Sphère ouverte par les vrais livres que pour un ballon rond, du moins n'est-il point trop extravagant d'envisager possible une société ne condamnant pas les idéaux des chevaleries errantes, aux origines de la littérature...

Naguère se poursuivait un Graal, de nos jours aux mains des sponsors. Baby Mac s'en empare ? L'aède sphérise de siècle en siècle. Son ombre lumineuse plane sur les sunlights, illusions de soleils projecteurs de ténèbres.

Dimanche 15 juillet 2018

précédente AMPOULE suivante
SPHÉRISME | RETOUR