Ampoule pour élucider le Globe (IV)
Flash Ball Dance
« Je suis inventif, dit Price. Je suis créatif, jeune, sans scrupules,
motivé et performant. Autrement dit, je suis indispensable à la société. Je suis ce qu'on appelle un atout. »
Bret Easton Ellis, American Psycho
Si l'on n'oublie pas que le dernier mot de cette
citation se dit " trump " en anglais, dès
la première page d'un best-seller mondial publié en 1991 se trouvait brossé le
portrait d'un homme né cette année d'avant le déluge : Alexandre Benalla...
Avant même sa venue au monde, l'essentiel était
écrit sur le Disc Jockey responsable en Electronic Dance Music de l'Elysée, coupable d'avoir le 1er Mai dernier,
casqué telle une rock star, enfreint le protocole en invitant à une Flash Ball Dance improvisée, de manière jugée
disruptive, un couple de jeunes émeutiers sur la place de la Contrescarpe...
Si le nom d'escarpe désignait jadis un malfaiteur,
est-il étonnant que ce redresseur de torts, dont la carrière explosait sur les
scènes publiques depuis qu'un canular lui avait attribué le titre de lieutenant-colonel
de la gendarmerie, se soit substitué aux gardiens de la paix pour imposer l'ordre de la République ?...
Cet humour déjanté fut si peu goûté par une
grande part des médias, de la préfecture de police et de l'Assemblée nationale,
que l'on crut bon d'en faire un scandale d'Etat. Mais les divertissements
contemporains, rythmés par la musique techno, n'autorisent-ils pas le
déchaînement d'une violence outrepassant celle des CRS ? Contre la
délinquance dont faisaient preuve ces manifestants, n'est-il pas salutaire que
les citoyens se muent en garde prétorienne pour sauver du pillage les vitrines
des géants du faux luxe LVMH, Kering, Hermès – donc la croissance de leurs
profits à 50 % ? Et dans ce but, à l'échelle planétaire, la confusion
entre acteurs civils, policiers et militaires n'est-elle pas devenue la norme ?...
Un monde appartenant à des pieuvres n'ayant de comptes à rendre qu'aux
actionnaires exige, auprès de leurs fondés de pouvoir gérant les Etats, des
milices privées de barbouzes à oreillettes aussi efficaces par un look
d'appartenance à la race élue dans les vidéogames, que par une force de frappe
réelle contre toute résistance des damnés. Pour obtenir une servitude librement
consentie, la frontière est devenue poreuse entre showmen et policemen.
Ainsi les performances d'un DJ recueillant plusieurs millions de followers,
promises à être aussitôt scénarisées dans une série télévisée,
relèvent-elles de la construction de situation prônée par la dernière avant-garde artistique...
Plus encore que ses devanciers, Baby Mac n'assume-t-il pas
l'héritage du légendaire conseiller de Mitterrand Jacques Pilhan, dit le
sorcier de l'Elysée, qui affichait ouvertement son admiration pour La Société du Spectacle de Guy Debord ?
Ce qui s'est joué dans le pugilat idéologique à l'origine du capitalisme dionysiaque :
la subjectivité radicale propre au situationnisme, contre le structuralisme et sa négation du sujet...
« C'était l'élite, c'était la pègre »,
écrivait René Viénet des Katangais, ces mercenaires ayant
fait le coup de main en Mai 68, dans un ouvrage de référence magnifiant la
geste héroïque dont Baby Mac se veut l'héritier des deux côtés de la barricade.
En même temps " de gauche " et " de droite ",
comme à la fois de la racaille et de la flicaille...
L'image réversible du caïd et du rebelle fut
popularisée sous les traits de Belmondo dans le cinéma produit par Gérard
Lebovici. La nouvelle idéologie dominante s'incarne depuis trente ans dans le
personnage du flic voyou transgressant les mœurs bourgeoises conventionnelles.
Belmondo genuit Bernard Tapie, qui genuit Baby Mac et Alexandre Benalla :
ce qu'une introuvable œuvre littéraire aurait pu révéler...
Cette œuvre eût désigné Kapitotal et les clergés de la tour Panoptic...
Seul pareil éclairage éluciderait la scène,
autrement inimaginable, d'une investiture présidentielle dans la cour du
Louvre, sous une pyramide où la petite frappe analphabète issue des bas-fonds
guiderait Jupiter en sa montée de l'Olympe, au son d'un Hymne à la Joie dont les paroles de
Schiller clameraient « Ô Joie, belle étincelle divine, fille de l'Elysée »...
Seule cette vision globale eût délivré le sens
d'absurdes séquences au cours desquelles un émule de Rothschild, ayant fait son
magot grâce à Nestlé, somme les jeunes paumés de se rêver en milliardaires non
sans railler « ceux qui ne sont rien »,
tout en fustigeant le « pognon de dingues »
jeté dans les égouts de la sécurité sociale. Une telle œuvre eût fourni
l'exégèse d'une suppression de l'impôt sur la fortune et d'un combat sans
précédent contre les privilèges des ouvriers, paysans, employés, artisans,
infirmiers, enseignants, fonctionnaires et chômeurs : attentats
terroristes requérant une garde rapprochée des plus musclées...
Celle-ci ne devait donc pas être trop inquiétée
après la Flash Ball Dance du 1er Mai. Quoi de plus
légitime, dans la bouche du barbouze, que « le préfet j'l'emmerde »,
lors du retour des Bleus sur les Champs-Elysées ?...
Si Baby Mac s'est emparé du Graal des vieilles
chevaleries errantes pour la raison que fut anéanti leur héritage littéraire,
n'avait-il pas le droit de s'abreuver à la Coupe du Saint-Sang sur le perron de
l'Elysée ? Sa peau fut alors si translucide au regard de l'Œil imaginal,
qu'il eût vu circuler dans ses veines le sang qui s'écoulait du crâne de ses
victimes. Le déconcert de Baby Mac avec la République jusqu'ici ne s'apercevait
à presque rien, mais se pressentait en presque tout. Quelque chose, difficile à définir, fermentait...
La messe noire du chevalier blanc vient de le
faire déglutir : « Vous me faites rire ! N'avez-vous pas compris que je dirige une révolution ?
Les sbires dont je m'entoure ont le devoir de porter un couteau entre les dents ! »...
L'Œil imaginal voit deux gerbes d'hémoglobine
tricolore lui sortir en même temps par le globe oculaire gauche et par le globe oculaire droit.
Le 1er août 2018
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