SPHÉRISME > critique littéraire d'Hector Bianciotti 2000

Critique littéraire d'Hector Bianciotti

Oracle de prudence pour rebelles

Dans ce deuxième volet de sa trilogie intitulée « Maïak », Jean-Louis Lippert fait le détour par l'art pour réaffirmer le pouvoir de l'imagination

Jean-Louis Lippert a beau être né à Stanleyville, en Belgique, et avoir babillé en swahili dans un Congo qui n'allait plus longtemps rester belge : il n'y vécut que jusqu'à l'âge de neuf ans – de sorte que si le souvenir, méticuleusement cultivé, de son enfance africaine est le moteur de son oeuvre, sa langue ne draine pas des nostalgies.

Comme les livres précédents, cette Confession (1) est irréductible à une histoire où « tout commence à Leningrad et se dirige vers Lima et tout voyage de Constantinople à Bruxelles » ; et d'autant plus irréductible que les histoires que Lippert entre-tisse au fil de plus de cinq cents pages sont racontées par une voix qui semble faire écho à des voix venues d'une autre époque, voire d'autres civilisations, d'autres dieux – et toutes comme rêvées par un auteur qui, même à la première lecture, nous donne l'illusion de l'avoir lu jadis, dans un livre ancien ; et qui réussit, par ce détour, à nous attacher à sa « forêt de variantes multiples », véritable somme de réflexions hétérogènes, et pourtant... Il dit qu'il n'est aucune écriture véritable qui n'ait eu vocation de sauver le monde ; que si l'homme parle, c'est pour dire le passé et le futur, car l'instant présent ne requiert aucune parole : que, sans rêves, le monde ne serait pas réel, et que, sans un brin de fiction, on ne pourrait pas croire qu'on existe ; qu'il faut beaucoup se dédoubler pour espérer, peut-être, un instant, coïncider avec soi-même ; que tout ce noir qui nous entoure est celui de notre âme et qu'elle est en nous la nuit qui nous environne...

Lippert arpente dans tous les sens la vie, de l'art à la politique, des mythologies aux crises de notre temps et, pour finir, il attribue la découverte des grandes vérités à l'imagination, fondement de la science et de la poésie. Il arrive que, dans ses livres, l'épopée se change en élégie et que les crépitements de l'histoire s'apaisent en musique : c'est que l'écriture s'est métamorphosée en une sorte d'oracle de prudence pour rebelles. Ce qu'il est.

Hector Bianciotti, 11 février 2000

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(1) CONFESSION d'un homme en trop. Éditions Luce Wilquin, Belgique 1999.

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