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Le Septième chant de la Sirène
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L’Eternel a fait tonner le feu du ciel pour châtier les fils d’Ismaël qui ne s’inclinaient pas devant le Dieu des Armées d’Israël. Ainsi parle BHL, qui se veut l’incarnation du prophète Ézéchiel, selon ce qu’entend et voit la sirène du fleuve depuis son observatoire près du littoral de Ghaza. Ne vous étonnez pas de son parcours. Si ce septième chant lui a fait traverser l’Atlantique depuis la bouche du Congo pour scruter Washington, rien ne l’empêche d’en remonter le cours pour gagner les Monts de la Lune où prend source le Nil. En un clin d’œil imaginal, elle joint Alexandrie puis se retrouve en face de la ville martyrisée par la soldatesque de Jérusalem. La voix d’un aède palestinien plus vivant que tous les mortels y retentit :

في حضرة الغياب

Fi hadrat al-ghiyâb. Présente absence. L’un des ultimes poèmes de Mahmoud Darwich, qui s’y décrit en poète troyen rescapé du massacre. Quarante mille tonnes de bombes en quarante jours et quarante mille tués ou blessés civils. Un seul État au monde a le droit de sévir au-dessus des lois et du droit : celui qui incarne la Loi par élection divine. Ce rideau de fumée théocratique est de bonne guerre pour l’objectif Nacht und Nebel. Deux millions d’animaux encagés sans eau nourriture électricité, sous la menace d’une hécatombe au phosphore – si ce n’est à l’arme atomique – parce que quelques-uns d’entre eux firent un carnage sur ordre de chefs en villégiature de luxe au Qatar. Et ce repaire mafieux mondial est salué comme terrain neutre idéal (Suisse moyen-orientale) pour une médiation impartiale. N’y a-t-on pas réglé la question des talibans en Afghanistan ? Mégatonnes de bestialité au nom de la divinité pesant leur équivalent de stupidité larguée dans le cerveau de l’humanité. La sirène du fleuve reste stupéfaite par l’absence de scrupules des propriétaires du globe, non tant pour leur férocité carnassière que pour le décervèlement d’homo sapiens.

Nul n’ignore dans les gouvernements et chancelleries, comme dans tous les cercles médiatiques du monde occidental, que les tumeurs financières et leurs explosions militaires tétanisant le globe depuis le coup du monde monétaire de Kissinger et Nixon en août 1971, ont pour foyers centraux Washington et Jérusalem. Cette réalité connue de tous fait l’objet d’une inversion dans sa représentation par la mise en scène d’une Commedia dell’arte qui maquille de prestiges artificiels étranglements économiques, coups de boutoir politiques, intoxications idéologiques. Et ça marche, du moins chez les dupes consentantes peuplant un monde riche où se vérifie la célèbre formule de Napoléon : « Parler paix, agir guerre ». On feint de croire les discours duplices d’Arlequin, comme on accorde confiance aux rodomontades matamoresques de Capitan, tout en adulant le crédule Pantalon, non sans indulgence pour cette pauvre Colombine dirigeant l’Europe avec cette maladresse ingénue exigée par les chefs de l’OTAN. De sorte que la pathologie psychique dont se convulse le monde libre et démocratique répond moins aux analyses de Freud voyant souffrir les civilisés de névrose généralisée, qu’à celles de Lacan diagnostiquant une psychose collective où les non dupes errent. De quelle duperie, de quel père, de quelle erre s’agit-il ? Au moins n’est-il pas douteux que Lacan s’autorisait à interpréter l’erre du navire – voire l’errance des êtres à la dérive – comme indubitables signes du réel. Il faudrait sans doute, pour élucider ces jeux de mots sibyllins, quelque œuvre littéraire dont l’erre se jouerait de toute amarre pour s’en aller rejoindre une parole des origines.

La sirène participe d’une catégorie de l’être qui, par sa nature amphibie comme par l’appartenance aux royaumes de la culture que lui assure son aptitude au chant, ne peut être soupçonnée d’univocité. D’où la défiance compréhensible, en Occident, du milieu culturel à son égard. C’est donc assez naturellement qu’une œuvre littéraire faisant d’elle figure de proue et personnage essentiel, heurte les a priori de la gent cultivée européenne. A plus forte raison si, ignorée par celle-ci, elle est un symbole mythique dans toute l’Afrique où mers, fleuves et lacs sont l’habitat de Mamiwata. Sous ce titre parut donc un roman voici bientôt trente ans, reliant le canal de Bruxelles au fleuve Congo par le double trajet d’un cinéaste méconnu parti rejoindre sa grand-mère maternelle d’origine portugaise, chanteuse de fado demeurée à la courbe du fleuve ; et d’un prix Nobel de littérature latino-américain, reconverti en conducteur de tramways bruxellois, dont les périples imaginaires font au tram 44 quitter son terminus de Tervuren dans la forêt de Soignes pour aller baguenauder dans la brousse africaine.

Si l’on ajoute que le centre névralgique de cette faribole est la tour Panoptic en surplomb du canal bruxellois, propriété d’un magnat que White Star – (le cinéaste belge dont la présence est requise au bord du fleuve de son enfance coloniale par les funérailles de sa grand-mère, dans une pirogue en contrebas de la vieille cathédrale où il fit sa première communion, le roman se déroulant au cours d’une Semaine sainte riche en remémorations du passé mêlées aux transes d’une messe pascale rythmée par les danses) – retrouve à l’état de revenant dans un baobab en compagnie de son boy Charlemagne et du spectre de Fernando Pessoa, lesquels ont la mémoire assez vive pour décrire le plan Manhattan grâce auquel fut livré aux USA l’uranium de Lotokila ayant permis Hiroshima et la supériorité nucléaire de l’Occident durant la Guerre froide, non sans que soient relatées toutes les circonstances de l’assassinat de Patrice Lumumba (auquel est dédié le roman), l’on comprend qu’en terre belgicaine Mamiwata ne puisse exister. Si la sirène du fleuve (aujourd’hui célébrée par un film nigérian) sort donc de la clandestinité, c’est sans espoir que la tour Panoptic permette à sa voix de se faire entendre autour du canal de Bruxelles. Son septième chant ne parviendra qu’aux êtres ouverts à la perspective de culturiser la nature et de naturiser la culture, double mouvement dialectique n’en faisant qu’un. Qui mieux que cette créature hybride appartenant aux trois registres de l’animalité, de l’humanité et de la divinité, peut-il poser un diagnostic sur le nihilisme gouvernant ce globe, niant toute finalité de l’histoire au-delà d’une valorisation sans fin de la valeur, mécanisme carnivore entraînant les dévalorisations guerrières à tuer la tendance utopique de l’humanité ?

Telles sont les réflexions d’une sirène du fleuve devant Guernighaza. La capacité de résistance au non-être est le fondement de toute ontologie. Traiter un adversaire comme s’il devait accepter son anéantissement, tout en le traitant d’animal, n’est pas seulement le réduire à une catégorie vue comme inférieure de l’être, mais le nier comme être vivant, l’exclure de toute ontologie. Cette stratégie de Vernichtung, par un abattage rituel des Palestiniens dans les territoires colonisés, ne se contente pas d’animaliser mais va jusqu’à végétaliser l’ennemi. Dans le jargon de Tsahal, on parle de « tondre la pelouse » à propos d’opérations de nettoyage traitant le Non-Juif comme de la mauvaise herbe. Celle-ci n’a d’autre refuge que le cimetière des camps, transformés en jardins plantés de menthe odorante. Comment la sirène du fleuve ne s’enivrerait-elle pas de leurs parfums ? Mais les exhalaisons d’un bain de sang rompent cette ivresse bucolique.

L’équarrissage programmé d’un peuple dans l’abattoir de Ghaza peut-il complaire à la divinité du judaïsme dont l’adoration du Veau d’Or attisait les colères ? Tout se passe comme si le sionisme inversait les rôles entre Moïse et son frère Aaron. La sirène du fleuve est bien placée pour avoir vu toutes les exactions guerrières, depuis cinq millénaires, entre l’Egypte et la Mésopotamie. Comme être de culture et de nature, autant que par des facultés surnaturelles partagées avec les déesses Ishtar et Isis – dont elle affirme qu’elles sont à la portée d’une espèce humaine désaliénée –, Mamiwata nourrit une vive empathie pour ce petit peuple nomade ayant eu la singularité de n’être pas enraciné par nature sur les rives d’un fleuve et d’avoir fait preuve de génie pour s’inventer une culture messianique. Si l’humanité doit à ce peuple idéalisme des prophètes, matérialisme des savants et philosophes, intuitions poétiques d’artistes et intellectuels sans attaches avec le pouvoir établi, n’est-ce pas en négation de cet héritage – animés par un vil antisémitisme – qu’opérèrent les agents du sionisme ? Un Moloch exterminateur dévore Canaan, lui interdisant de résister à ce carnage, lequel n’aurait d’autre coupable que Canaan, sommée d’expirer.

Comment la sirène du fleuve ne serait-elle pas sensible au sort, qui est le sien, d’êtres niés dans leur droit d’exister ? Comment ne verrait-elle pas la duplicité de ceux qui ont fait, de ce que le professeur israélien Norman Finkelstein nomme l’Industrie de l’Holocauste, un fonds de commerce ? Le génie juif a produit les plus hautes fulminations éthiques, en priorité dirigées contre l’hypocrisie criminelle de ses propres dirigeants, non sans élargir la portée critique de leurs illuminations prophétiques, réflexions philosophiques, intuitions poétiques, à un degré sans égal d’universalité. Les marchands du temple ayant fait du judaïsme leur boutique mondiale n’ont de haine plus avérée qu’à l’encontre d’un Einstein qui, dès 1938, avait prophétisé l’impasse du sionisme : « Je préfère un accord avec les Arabes sur base d’une coexistence pacifique à la création d’un Etat juif. Ma connaissance de la nature du judaïsme résiste à l’idée d’un Etat doté de frontières, d’une armée et d’un pouvoir temporel, si modeste soit-il. Je crains la perversion du judaïsme par le nationalisme ». Que pèse la voix d’Einstein dans une conciergerie médiatique dont la cime est BHL ? Qui pose encore la question du Summum Bonum (souverain bien) vu par Spinoza comme quête ultime du genre humain, ce pourquoi ne fut jamais abrogée son excommunication par les autorités lévitiques ? Où peuvent résonner les analyses du fétichisme élaborées par Marx et Freud ? Quel écho pour les élans critiques de Georg Lukacs, Rosa Luxemburg, Ernst Bloch, Theodor Adorno, Walter Benjamin, Josef Gabel, Karl Polanyi… ?

Quant aux judaïsmes des Rosenzweig, Martin Buber, Gershom Scholem, Levinas, ne sont-ils pas offensés par ceux des Rockefeller et Rothschild ? Quelle tartufferie généralisée, rendue possible par le fait qu’un escadron de nababs dispose de l’espace public français, taxe-t-elle d’antisémitisme l’appellation « loi Rothschild » pour désigner celle de 1973 soumettant aux banques privées le trésor public, début de l’étranglement par la dette et de la gouvernance du monde par une bulle ne reposant plus sur aucune réalité ? Bulle créancière grâce à laquelle se concrétise le projet formulé en 1999 par David Rockefeller : « Quelque chose va remplacer l’Etat et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour ce faire ». C’est donc sans surprise que la sirène du fleuve a vu s’organiser à Ghaza l’opération philanthropique du Rockefeller Center de New York. D’abord, ce furent les deux énormes statues d’Atlas et de Prométhée, déplacées par convoi spécial à travers mer et océan depuis la Fifth avenue, pour être placées au cœur des gravats. Là où s’était dressé l’hôpital Al-Shifa ne subsistait plus qu’un fantôme, paré d’une bannière où figurait le nouveau tétragramme divin LVMH. Quelle relation entre symbole français du luxe, effigies des titans grecs et judaïsme contemporain ? La sirène du fleuve était témoin de la mutation du capitalisme postmoderne. Un syncrétisme s’y donnait cours entre toutes les formes artistiques et idéologiques du passé, dans un cultural melting pot d’images et de bruitages constituant les ingrédients liturgiques du nouveau culte marchand globalisé. Ce qui relativisait tous les discours confessionnels, d’autant plus fanatiquement intégristes qu’ils faisaient office de diversion. Sionisme, salafisme, évangélisme chrétien, néo-paganisme se combinaient à la doxa laïque dans une marmite servant de breuvage opaque aux foules analphabétisées. Le Qatar était un modèle de ce syncrétisme : premier pays postmoderne créé en 1972, il combinait l’esclavagisme rétrograde au futurisme technologique d’une race Alpha soumettant à ses shows footballistiques les troupeaux de la race Bêta par l’entremise de la chaîne télévisée BeIN Sports. Chaque jour les masses arabes, du Maghreb au Machreq, subissaient l’intoxication de dizaines de matches des championnats européens, dans une stratégie d’abrutissement dont les Palestiniens ne pouvaient être indemnes. Et c’était ce Qatar, où paradaient les leaders du Hamas (prétendues cibles des bombes larguées sur Ghaza), qui était présenté comme le négociateur de l’opération Porte du Ciel ! Sans être une linguiste chevronnée, la sirène du fleuve savait depuis le déluge qu’en arabe comme en hébreu porte du ciel se dit Babel. C’est donc avec le même cynisme ayant fait octroyer aux monarchies du Golfe l’organisation des Coupes du monde, que se joue le sort de Ghaza.

Mais l’entretien des fables religieuses est indispensable pour perpétuer le rideau mystificateur dissimulant l’enjeu réel du national-judaïsme auquel s’opposent toutes les tendances juives progressistes : le maintien d’Israël comme citadelle militaire de l’empire occidental à la frontière du monde oriental. Comme la persécution des Juifs servit de prétexte au sionisme, le salafisme a pour alibi la Palestine. Les sectes évangéliques émargent aux mêmes râteliers, fidèles soutiens d’Israël. Au gré des circonstances, une communauté tribale exige le sacrifice de la tribu rivale pour obéir à son système divin. Les Cananéens sont boucs émissaires du peuple élu, de même que celui-ci fut offert en holocauste aux divinités germaniques. A la veille de Noël, un plan astucieux avait été mis au point à Doha entre les représentants des trois religions du Livre. Le chef de la CIA William Burns et David Barnea, son homologue du Mossad, n’ont pas eu de mal à en convaincre le chef du Hamas Ismaël Haniyeh. Babel, Porte du Ciel ! Babel, déluge, arche, division de l’humanité en races issues des trois fils de Noé. Les élus (Sem) et les maudits (Cham) furent médiatisés par l’ancêtre des peuples européens Japhet. La sirène du fleuve a beaucoup rêvé sur l’étrange parenté de ce dernier nom avec celui de Japet, le père des titans Atlas et Prométhée, dont les statues viennent d’être déplacées de New York vers les ruines de l’hôpital Al-Shifa de Ghaza. Tout autour du cratère creusé par les bombes (on prétendait débusquer dans les sous-sols des chefs du Hamas installés à Doha), ces décombres sont illuminés par des projecteurs braqués sur le célèbre sapin de Noël géant qui décore chaque année le Rockefeller Center de la Cinquième avenue. Garni de ses boules multicolores et décorations scintillantes, couronné par une énorme étoile, trônait ce symbole d’un monde réconcilié pour la nativité. Le sigle géant LVMH rappelait que le patron de cette marque chrétienne, propriétaire de Tiffany, participait à l’œcuménique opération pensée par l’artiste Jeff Koons et présentée comme une performance artistique. On avait rétabli l’électricité pour que puissent clignoter les guirlandes et faire briller de mille feux des kilomètres de cheveux d’ange. Au pied du titan végétal s’entassaient des camions entiers de cadeaux joyeusement emballés et enrubannés. Sous égide américano-européenne, l’Egypte et Israël avaient uni leurs efforts pour laisser passer l’exceptionnel convoi de la paix. Mais un détail chagrinait les commentateurs médiatiques : au lieu de la traditionnelle étoile d’or en haut du gigantesque sapin de Noël, une insolite étoile rouge à cinq branches lançait des rayons soviétiques.

Anatole Atlas, 30 novembre 2023.

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