Dorogoï Vladimir Vladimirovitch,
Je vous prie de bien vouloir accepter ce message qui rappelle ce que j’écrivais dans la Pravda, sous le titre
Pour le quatrième anniversaire de la révolution d’Octobre, il y a juste un siècle…
« Voici venir le quatrième anniversaire de la Révolution du 25 octobre (7 novembre).
Monarchie, castes, pays aux mains d’une race de seigneurs, illettrisme sous influence de la prêtraille, infériorité de
la femme, oppression des nationalités, misère matérielle et morale, arriération
généralisée, faible espérance de vie : telles étaient les survivances du
servage en Russie à la veille de 1917. Nous avons vidé l’ordure tsariste, n’avons
pas laissé pierre sur pierre du régime des castes et avons extirpé les racines du féodalisme.
La Russie ne connaît plus cette ignominie qu’était l’absence de droits pour la femme, survivance du Moyen-Âge replâtrée dans tous les pays du globe,
sans exception aucune, par la bourgeoisie cupide et la petite-bourgeoisie obtuse.
Que les cabots de la bourgeoisie nous accablent d’injures pour impairs
et erreurs que nous commettons ne nous atteint pas, puisque nous sommes les
premiers à les reconnaître. Comment ne pas en commettre, dans cette œuvre
pionnière de l’histoire mondiale qu’est la création d’un régime encore inconnu,
qui se donne pour mission l’affranchissement de l’humanité du joug du capital et des guerres impérialistes.
La politique internationale du capital financier prédomine aujourd’hui dans le monde entier : politique engendrant inéluctablement
de nouvelles guerres impérialistes et poussant à une accentuation du pillage,
du brigandage, de l’étranglement des petites nationalités faibles et arriérées par une poignée de puissances.
Cette question, depuis 1914, est devenue la pierre angulaire de la politique dans tous les pays du globe.
C’est une question de vie ou de mort pour des dizaines de millions d’êtres humains.
Lors de la prochaine guerre impérialiste, sera-t-il exterminé 20 millions d’hommes
(au lieu des 10 millions entre 1914 et 1918) ? Y aura-t-il 100 millions de
mutilés (au lieu de 50) ? Sur ce terrain, la Révolution d’Octobre a inauguré
une ère nouvelle dans l’histoire mondiale. Les valets de la bourgeoisie,
comme toute la petite-bourgeoisie pseudo-socialiste, se sont gaussés de notre mot d’ordre
« transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ».
Or, ce mot d’ordre s’est avéré l’unique vérité – désagréable, brutale, atroce, soit ! –
mais une vérité dans cette nuée de mensonges chauvins et pacifistes les plus raffinés. Ces mensonges s’effondrent.
Chaque jour démasque davantage une paix pire encore que celle de Brest-Litovsk, la paix de Versailles.
Devant les millions d’hommes qui réfléchissent aux causes de la guerre d’hier et à celle de demain, s’affirme cette vérité terrible :
impossible de s’arracher à la guerre et au monde impérialiste qui l’engendre
inévitablement – impossible de s’arracher à cet enfer autrement que par une révolution communiste. »
Dorogoï Vladimir Vladimirovitch,
Cet article est paru dans le No 234 de la Pravda
datée du 18 octobre 1921, l’année précédant la prise du pouvoir en Italie par Mussolini.
Se pourrait-il qu’il soit publié de nos jours où que ce soit dans le monde, ne serait-ce qu’à titre documentaire ?
Lit-on beaucoup d’éditoriaux plus actuels ?
Au vu de la situation catastrophique (pire que celle des moujiks sous le tsarisme) subie par la majorité des populations du globe,
alors que le PIB mondial (en milliards de $ 2000) est passé de 175 au début du XIXe
siècle à 1.000 au début du XXe, pour atteindre 50.000 au début du XXIe et
avoisiner aujourd’hui les 100.000 (soit un doublement global de la richesse en
20 ans), sans que ces chiffres bénéficient jamais de la moindre publicité, j’affirme
que les conditions offertes par le socialisme au temps de l’Union soviétique (malgré
les handicaps causés par une démentielle course aux armements, qui est le
moteur de l’économie capitaliste), par la priorité absolue accordée à
l’éducation, à la santé et à l’élévation du niveau culturel, furent ce que
l’humanité connut de meilleur au cours de son histoire. Elémentaire vérité
constituant le principal tabou qui ait jamais obéré sa mémoire. Seule une
puissance de propagande sans précédent, assurée par l’industrie médiatique
mondiale aux ordres des multinationales, entretient ce scandaleux tabou grâce à
une stratégie d’abrutissement mise en œuvre par les modernes moyens de
manipulation des masses, dont la moindre n’est pas la colonisation des cerveaux
par l’imagerie d’un paradis fantasmatique assurant l’enfer à la majorité des
humains. Car l’habileté des possédants économiques est de faire en sorte que
les contradictions antagoniques soient escamotées dans l’espace public par un
consensus des dirigeants politiques, au moyen d’une surenchère de fausses
polémiques idéologiques. Ainsi, partout des considérations sociétales ont-elles
remplacé les revendications sociales. Un système de représentations falsifiées
se substitue à la réalité, dans un réseau de pièges électroniques tissant la
toile d’un véritable pseudocosme. Tout enfant naissant aujourd’hui voit son
psychisme promis à une existence larvaire tapissée d’écrans, qui lui feront
miroiter l’illusion de parcourir des espaces infinis. Plus bas que poussière,
il croira s’enivrer d’éther, ignorant son écrasement dans les plus sordides
bas-fonds de l’histoire. Sourd, aveugle, muet – promis à l’analphabétisme –
il braillera dans un labyrinthe qui lui cachera les miradors en surplomb de ce camp de la mort.
Car c’est d’une domination du travail mort (en quoi, pour Marx, consistait le capital) sur le travail vivant qu’il s’agit.
C’est-à-dire, d’une soumission de toute valeur d’usage à la valeur d’échange.
Le projet communiste est celui d’un renversement de ces rapports.
Dorogoï Vladimir Vladimirovitch,
Je n’imaginais pas qu’en la ville qui porta mon nom, la nouvelle garde impériale russe honorerait un jour de sabres tirés du musée
le pastiche d’un mariage tsariste en la cathédrale Saint Isaac, entre une bourgeoise italienne et le dernier déchet des Romanov.
Mais il est vrai que les mafias russes mises au pouvoir par la finance mondiale voici trente ans, copies
dégénérées de leurs modèles occidentales, ont à ce point ridiculisé l’image du pays de Pouchkine, que celle-ci ne souffre guère d’un déshonneur de plus.
Quand le régime des Soviets imposait le respect de ses peuples à l’humanité entière, la pourriture de ce qui lui a succédé fait de ces peuples une risée du monde,
comme en témoigne la guerre imbécile qui vient d’opposer les oligarques d’Azerbaïdjian à ceux d’Arménie par drones israéliens interposés.
Burlesque est donc la mise en scène par l’Occident de l’un de ces mafieux comme champion de l’opposition démocratique en Russie, en la personne de Navalny.
Ceux qui le financent ne manquent pas plus d’humour que de moyens matériels, pour lui avoir fait décerner le prix Sakharov en Europe.
Dorogoï Vladimir Vladimirovitch,
Pour que ne soit mise en question sa domination,
Kapitotal (pardonnez ce néologisme) entretient un système de relations internationales
de type féodal, où chaque Etat dispose d’une seigneurie (mono ou polycéphale,
aux têtes interchangeables) fondant le pouvoir de son glaive sur celui d’un
bouclier supposé protéger ses sujets contre des menaces extérieures et
intérieures, dans une surenchère militaire et policière ne pouvant déboucher
que sur un cataclysme planétaire dont Hiroshima et Nagasaki furent les zakouskis.
Ces champignons furent des toasts lancés par l’Amérique à la santé
de l’Union soviétique. (Mais où seraient encore les héroïques défenseurs de
Stalingrad ?) Car j’ai le regret de constater que les actuels maîtres du
Kremlin, s’ils disposent habilement leurs pions sur l’échiquier géostratégique,
ne peuvent qu’obéir à cette logique mondiale en étant eux-mêmes les jouets de
Kapitotal. Or, vos acquis du temps de l’Union soviétique vous font disposer d’un
précieux bagage. Et la pandémie sanitaire mondiale, éclairant le caractère
essentiellement vulnérable de l’espèce humaine, a révélé comme sa négation la
soumission sans limites à des normes de rentabilité, de productivité, de compétitivité.
L’occasion vous est ainsi offerte, par-delà tous les bavardages
publicitaires tirant prétexte de la question climatique, d’être le porte-parole
de l’humanité pour affirmer l’urgence, non d’une repeinte en vert de sa façade,
mais d’un dépassement du capitalisme. Il n’est pas permis de penser les
modalités d’un tel bond historique, non plus que de mettre en œuvre son accomplissement politique ?
C’est à Moscou que se tiendraient les assises d’une Ve Internationale, unissant les acteurs de ce Quint-Monde que sont
intellectuels, écrivains et artistes. Je verrais très bien le romancier Piotr Alechkovski,
auteur du génial Krepost (La Citadelle) présider ces débats en compagnie d’auteurs et créateurs de tous les continents, sous les
auspices de l’Institut du Tout-Monde fondé par le poète et philosophe martiniquais Edouard Glissant.
Dorogoï Vladimir Vladimirovitch,
La chenille de l’Histoire poursuit depuis toujours un rêve de papillon.
Chaque époque, anticipant ce rêve par ses grandes visions poétiques et philosophiques,
transforme sans le savoir les moyens du mille-pattes – aujourd’hui supersonique – en fonction d’une telle fin mystérieuse.
Mais voici que les experts en moyens techniques ont décrété la fin
de la fin. Plus d’autre fin que les moyens. Telle était déjà l’analyse élaborée
par Marx, qui définissait le capitalisme comme une inversion par laquelle,
au cycle marchandise-argent-marchandise (M-A-M) du marché traditionnel (où prévalait la valeur d’usage),
succède un cycle argent-marchandise-argent (A-M-A) faisant triompher la valeur d’échange.
Le capital s’y dresse face à la force de travail humaine en puissance dévoratrice, l’argent devenu l’alpha et l’omega, fin dernière de l’Histoire.
Gamins psychopathes et agents techniques de la Silicon Valley, sur quoi s’oriente Wall Street, ont désormais pris le
contrôle de la chenille, prétendant accomplir l’envol du papillon selon les fantasmes de Hollywood.
Plus d’autres rêves licites que ceux d’un vidéo-game animé par des algorithmes robotiques usurpant la notion d’au-delà
contenue dans la racine meta, pour imposer la monstruosité d’un metaverse.
Mais l’au-delà du labyrinthe capitaliste a déjà été nommé par Marx, dans son plus que jamais pertinent Manifeste.
Et si notre Parti, dans son sens historique, a fait preuve de savoir-vivre en sachant mourir
(contrairement aux institutions momifiées de la démocratie bourgeoise), le communisme a tout l’avenir devant lui !
Dorogoï Vladimir Vladimirovitch,
Ayant étudié le marxisme dans la ville qui porta mon nom, vous savez que cinq ans avant la publication de ce Manifeste
à Bruxelles (où le canal d’une ville sans fleuve lui donna l’image des « eaux glacées du calcul égoïste »),
en 1843 donc, Marx transmit un message biblique à son ami Ruge, où résonne à jamais cette phrase :
« On verra alors que, depuis longtemps, le monde possède le rêve d’une chose
dont il lui suffirait de prendre conscience pour la posséder réellement »…
C’est ici qu’il me faut faire un aveu relatif à la doctrine de ce satané matérialisme,
dogme d’une église nouvelle dont je fus l’un des plus néfastes pontifes.
J’exprime ce remords en écoutant l’un de mes frères dans l’au-delà, le saxophoniste John Coltrane,
enchanter la Sphère par son génial A Love Supreme, qu’il avait dédié « Au Très-Haut ».
Ce fut une funeste absurdité que de prêcher la négation d’une dimension transcendante, consubstantielle à l’espèce humaine.
Car la foi est l’une de ses modalités psychiques, avec la raison et l’imagination.
Ce rêve d’une chose évoqué par Marx (titre d’un roman de Pasolini) relève de la révélation prophétique,
autant que d’une intuition poétique : celle du futur papillon deviné dans la chenille de l’humanité.
Ce qui n’est pas contradictoire avec la réflexion philosophique du Capital.
Dont aucun économiste bourgeois n’a d’ailleurs osé réfuter la scientificité.
Dorogoï Vladimir Vladimirovitch,
Un énorme temple idéel, érigé sur les colonnes jumelles de justice et de vérité, s’élevait de la terre au ciel depuis des
siècles pour légitimer une pyramide fondée sur mensonges et injustices.
Ce temple s’est écroulé dans les débris du mur de Berlin.
Du verbiage mystificateur ne reste qu’une défroque vide. Les gouvernements bourgeois,
dont la gestion porte atteinte à la sécurité des citoyens paupérisés et précarisés,
n’ont d’autre expédient que d’attiser une violence illégitime, par des moyens de
leur fabrication. Des terreurs sont provoquées, qui entretiennent les psychoses
contre lesquelles nul autre salut que la protection de l’Etat.
Prêtrailles et flicailles médiatiques perpétuent le vieux préjugé secret des classes dominantes selon
lequel il n’est pas de remède à la misère endémique des bas-fonds.
L’idéologie postmoderne attaque aussi bien le message chrétien que l’humanisme constitutif
de la modernité, qui furent les deux sources de la Révolution d’Octobre.
Toute hypothèse d’une dialectique animant le processus historique est bannie, comme toute espérance en une vie meilleure pour la race damnée.
Nietzsche et Heidegger – partout célébrés – sont les références absolues justifiant la scission
ontologique de l’espèce humaine entre maîtres et esclaves.
Ici prend d’autant plus d’importance la Question juive analysée par Marx, que depuis Spinoza
les champions du combat contre l’idéologie de la domination contenue dans le
judaïsme furent des penseurs juifs. Ainsi je ne crois pas que des pages plus
lumineuses m’aient jamais été consacrées que celles écrites par le philosophe
Ernst Bloch dans son monumental Principe Espérance. Aucune œuvre théorique
au XXe siècle ne pourfend avec une si profonde lucidité le nihilisme servant d’ultime
artifice à une pensée moribonde. Car aucune éthique ne peut survivre sur le
postulat d’une existence vouée au néant. Georg Lukacs, dans son Ontologie de
l’être social (quelles que soient ses divergences avec Bloch) accomplit l’actualisation
philosophique la plus aboutie de cette pensée dialectique : raison de l’impitoyable censure qu’il subit.
Dorogoï Vladimir Vladimirovitch,
J’ai bien peur d’avoir abusé de votre temps,
qui n’est pas dans l’au-delà une denrée faisant l’objet des mêmes calculs qu’en votre ici-bas.
Ce séjour dans un autre monde m’a permis de voir combien la chenille gagnerait à unir les messages de ses prophètes, philosophes
et poètes, pour déployer ses ailes de papillon. Pourquoi ne pas relier dia-logos
de Socrate, Logos évangélique et dialectique de Marx ?
Car c’est d’une maladie de la Parole (une logalgie) que souffre le mille-pattes.
Je définis le capitalisme comme cette inversion par laquelle, pour la première
fois dans le rapport entre ces deux déterminants essentiels de l’humanité que
sont la Parole et la Valeur, celle-ci supplante celle-là. Dès l’aube des âges,
selon une tradition qui remonte au chamanisme, l’humanité papillonnait vers les esprits des morts,
qui lui insufflaient l’inspiration nécessaire pour surmonter ses épreuves matérielles.
Dans la Haute-Egypte, le dieu de l’écriture est celui de la parole créatrice et le scribe Thot est considéré comme frère d’Osiris.
Un combat se joue contre Pharaon, qui doit s’incliner devant le farmakon
ou remède-poison.
Le premier philosophe connu, Ptah-Hotep, impose au sommet de la pyramide
« les paroles de ceux qui ont jadis écouté les conseils des ancêtres qui obéissent aux dieux ».
J’imagine la stupéfaction du Kremlin devant ces développements inattendus du Diamat.
Mais, dans La République de Platon, Socrate fait d’une « vision synoptique » l’attribut du dialecticien.
Regard global que prétend anéantir l’ubiquité satellitaire à vocation panoptique du
complexe médiatique occidental, puissamment concentrée telle une tour Panoptic (pardon pour cet autre néologisme).
Du haut de ce mirador à mille yeux, les gangs du crime organisé dictent à l’humanité ce qu’elle doit croire, penser et rêver.
Dorogoï Vladimir Vladimirovitch,
Le dépassement du capitalisme signifierait donc un renversement de cette inversion – soit une révolution – par quoi
la Parole à nouveau supplanterait la Valeur. J’appelle communisme l’extension possible de
l’être aux autres êtres et à la totalité de l’étant, dans l’espace et dans le temps.
Le communisme prend source aux rêves originels ; il est un livre et un Eden,
où les machines travaillent au service des humains qui écrivent ce livre et cultivent ce jardin…
Rendez-vous le 25 octobre (7 novembre) 2121.
Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine
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