SPHÉRISME > Avis > (suite de la suite de la suite)

 Avis (suite de la suite de la suite)

« Une atteinte intolérable au droit d’informer » titrait son éditorial non sans raison le directeur du « Monde » ce dernier dimanche (le jour même où était envoyée une suite à la suite initiale de notre Avis), pour fustiger le fait qu’aucune gazette ne fût autorisée à publier nos informations convulsives. Ne relevaient-elles pas de l’art du Sphérisme - cette disposition de l’esprit à la vision globale ? Sans doute, s’agit-il de l’activité la moins tolérée par les maîtres du Verbe, tenant en leur empire à tel point cette industrie que nulle part ne se pose plus la question : c’est quoi écrire ?  Nous avouons donc avoir enfreint les lois du bavardage médiatique en proposant une image qui ne réduisît pas en prose le poème du monde. Nous avouons tramer, contre l’idéologie du sens unique, une sémiologie de l’univers. Car pour nous le monde parle en poème, dont il revient à certains organes de traduire le sens.

Or le langage des hommes a été réquisitionné non plus pour interpréter le sens du poème du monde, mais pour garantir l’accumulation, par les esclaves de la cale, de substances matérielles dont jouit, sur le pont des premières, une catégorie préfigurée par le Bourgeois gentilhomme – qui ne peut tenir qu’en horreur Marx et Rimbaud tout comme Géricault.

De même que le nom seul du Maure signifie depuis trente ans Goulag, il est interdit de divulguer que l’errant du Harar portait au cou une plaque en or avec l’inscription Abdouhou – n’osons pas traduire. Pas plus nous n’oserions interroger à haute voix : pourquoi l’interprétation d’Aristote, à la lumière du Coran, par Avicenne après l’an mil, puis par Averroès un siècle plus tard (herméneutique transmise grâce à des traducteurs juifs) inocula-t-elle à l’Europe chrétienne un mal dont Rome l’avait jusque là davantage que de la peste immunisée : la pensée ?

Pourquoi Thomas d’Aquin dut-il recourir aux plus vulgaires trucages idéologiques pour éradiquer des leçons d’intellection toujours actuelles, comme s’y emploient nos fabricants d’opinions médiatiques ?

Et qu’adviendrait-il si l’on introduisait dans la réflexion publique de nos jours un concept averroésien médiatisant mondes sensible et intelligible tel que celui d’imaginal (Alam al Khayâl) ?

Pareille délinquance intellectuelle aurait pour conséquence d’obliger une civilisation à se souvenir du Fou d’Elsa, ce qui serait un comble… Aragon, dans le plus sublime poème créé par l’Occident ce dernier demi-siècle, ne fait-il pas dire à son Medjnoûn : « Décidément les rois n’ont guère d’intelligence » ?

La fonction royale étant par nature vouée à dévaluation, c’est chapeau d’empereur qu’aujourd’hui coiffe le moindre potentat de bureau (Louis XVIII) en sa cabine de luxe dont les dorures (du bureau) voudraient se donner les airs d’être prises aux Pommes d’Or des Pléiades (Hespérides se confondant à l’Elysée de l’Atlantique où les Grecs voyaient le séjour des morts), auquel cas ledit potentat gouvernerait sans le savoir – comme il ferait de la prose – au royaume des ombres une nef des fous sous le label de Napoléon V : qui sait ?

Dans la réalité cette nef des fous ferait eau de toute part ; dans l’image d’elle reproduite par ses cartographes officiels chargés de faire le point sur leurs portulans électroniques reliés aux satellites Panoptic, la nef suivrait toujours le plus sage des caps. Dans la réalité, l’équipage en situation d’humanité conditionnelle crierait son refus d’un enfer social imposé comme corollaire du paradis fiscal ; dans la représentation, les ordres du Capitaine correspondraient aux intérêts de l’équipage !

Quelle place pour un quelconque imaginal en ce schéma se satisfaisant d’un « Nous ne laisserons pas les voyous impunis » tonné par lOfficier chargé de réprimer mutineries de la cale et séditions des clans rivaux de galonnés rêvant d’une promotion au titre envié de Capitaine en Second ?  Ainsi Gendarme et Guignol occupent-ils de concert en permanence tous les esprits de l’équipage...

Telle est du moins l’allégorie qu’en personne – surgi de l’Atlantide sous la forme d’un albatros tournoyant au-dessus de ce navire mi-cargo mi-paquebot, nouveau Potemkine où la bouffe grouillant de vers n’est pas que matérielle – me souffle Aragon (lui qui, selon son rire, apprit plus du film d’Eisenstein que de tous les traités d’économie politique, et qui fit du peintre Géricault le héros de roman que l’on devrait savoir, d’avoir accompagné Louis le dix-huitième en sa randonnée dont subsisteraient quelques dorures au bureau de l’Elysée).

Ceci dit pour dorer un peu le blason de qui tient le gouvernail branlant d’une barque à la coque vérolée de rouille, où maintes brèches par quoi s’engouffrent les flots sont issues salvatrices aussi bien pour enferrés des bas-fonds que pour forçats des machines, alors que le Guignol’s Band et la Gentry du verbe et de l’image disputent en talk show sur le pont des premières la prochaine tournure des vents pour décréter babord ou tribord, sans un regard vers ce Nègre de la cale leur faisant signe depuis la Restauration de Louis XVIII, sur une reproduction du Radeau de La Méduse aux lambris dorés du Salon d’Honneur, sous l’oeil perçant d’un albatros.

Le roman Ajiaco, fruit de sept ans de travail, doit ses difficultés de publication – entre autres - à l’hypothèse imaginale d’un mythique Phénix unissant de ses ailes rouges la blanche colombe de Jérusalem et le noir hibou d’Athèna. Depuis les colonnes d’Hercule, Atlas voit filer un rayon de lumière allant de la Phénicie jusqu’aux Caraïbes…

Ce m’est donc parfait bonheur qu’à cet Avis et à ses multiples suites (auxquels mon ami Vincent Engel accorda l’abri de son blog), outre mon frère de toujours Noël Coret et l’ami de l’Atlas Amar Koddad – ainsi qu’Abdesselam Cheddadi, responsable du Magazine Littéraire du Maroc - SEULS* aient fait écho (confirmant ledit trait de lumière qui relie pour toujours Mahmoud Darwich à Aimé Césaire), l’écrivaine d’origine palestinienne Leyla Nabulsi et l’immense aède martiniquais Patrick Chamoiseau.)
* Allant de soi la complicité d’Yves Wellens, partenaire en la Division 2 belge de Littérature.

Jean-Louis Lippert le mercredi 27 octobre 2010 (Jour d’adoption par le Législatif, aux ordres de l’Exécutif, d’une Contre-Réforme portant sur les conditions nouvelles de la Traite)


Avis  |  suite  |  suite de la suite  |  suite de la suite de la suite
    SPHÉRISME  |  RETOUR