
« Pourquoi, depuis des millénaires, les hommes ont-ils passé une telle part de leur temps à inventer des mythes ; c’est-à-dire, au fond, des histoires qui n’ont ni queue ni tête ? »
Claude Lévi-Strauss
Il y a juste cinquante ans,
le premier oeil en orbite autour du globe
récita dans la langue de Pouchkine et de Maïakovski
ces fameux vers d'un poète communiste grec
portant le nom d'Atlas :
" L'heure est venue pour une sphère
de parler à l'univers "
J'avais alors sept ans,
venant de quitter l'île natale de Cuba
pour la Belgique.
Je dirai dans ces pages quel trio fabuleux
formèrent mon père, ma mère et cet aède
rejouant avant ma naissance la relation mythique
du Héros, de la Belle et de la Bête...
A-t-il encore un sens, aujourd'hui, le chant de l'aède
frappé de stupeur par sa propre mort ?
Est-il absurde, son cri face au silence du canal :
" Comme Carthage et Troie, Moscou devait être détruite ! "
Vous réclamiez, je crois, qu’on vous dise une histoire.
Celle du dernier demi-siècle - juste mon âge, le 16 juin 2004 :
j’aime mieux pas voir ça.
Depuis sept ans je somnole et divague
dans une caverne des songes en surplomb de la ville.
J'écoute le silence d'un mort.
Sous mes paupières le noyé appelle au secours.
Traversée des frontières du visible est son message d'au-delà.
« Pourquoi as-tu tiré sur moi ? Je n'avais d'autre arme que ma voix... »
Il faut savoir comprendre cette langue.
Odyssée d'une aube est son poème posthume.
J'en suis le traducteur depuis sept ans.
Toujours aussi étrange que cette nuit-là.
Quand il fut le plus présent des absents,
les habitants de Bruxelles étant alors les plus absents des présents.
Chacun s'en souvient, de cette nuit qui dura tout le jour suivant.
Davantage que le prétendu cerveau du terrorisme international,
il méritait l'appellation d'Ennemy Killed In Action.
L'archange de la ville ayant craché ses flammes
par la gueule de ses sept têtes.
Suite à la perturbation des fuseaux horaires,
la planète entière fut vendue cette nuit là sur l'une de ses places financières,
puis rachetée par une autre , à nouveau mise aux enchères ailleurs
- tout cela, grâce à de l'argent qui n'existait pas -
pour finir sa course entre les mains de Jésus Evangelista.
Je suis l'un qui écrit, l'autre qui dort ou qui meurt - et qui songe.
Où et par qui seront jamais lues ces pages en l'honneur de Jésus Léviathan ?
Parfait sosie sans fausse barbe d'Oussama Ben Laden il préside aujourd'hui même, 1er mai 2011, une Dernière Cène dans la Situation Room de la Maison Blanche à Washington.
Parmi ses douze disciples figurent le président des Etats-Unis Barack Obama et la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton.
Je vois le Messie brandir un crâne en guise de calice et communier avec les dix autres apôtres du sit-show.
Il rompt ensuite le cadavre de l'Orient qu'il partage entre les douze tribus de l'empire d'Occident.
La Sainte Table suit alors sur écran, d'un oeil la damnation de Géronimo au Pakistan, de l'autre oeil la béatification de Jean-Paul II au Vatican,
l'une et l'autre opérations programmées par la tour Panoptic, rivale de la chaîne Fox News de Rupert Murdoch.
--- Confiteor Globo omnipotenti.
Peut-être suis-je fou.
Peut-être que je dors encore.
Peut-être celui qui meurt en rêvant
poursuit-il son rêve au-delà de la mort ?
Qui sait en quel monde se passait un voyage
où le personnage principal (un poète communiste grec)
avait pour nom d’énigme : celui qui parle avec l’autre monde...
Capitale d'Europe, au cœur de ton dédale une voix parle qui réclame écho.
Siège de l'Alliance atlantique et paradis fiscal, de tes murailles sacrées j'entends aussi monter une oraison lancée par vautours à
plumes de colombes et carnassiers en fourrures de moutons vers un diablezot en
armure d'archange crachant ses flammes depuis le totem de ton Hôtel de ville, ô cité très féale !
Contre la menace des flèches incendiaires venues des horizons damnés par peste et famine, guerre et mort, ces élus en appellent au
feu tombé du ciel sur Carthage après Troie : prière dont ne cessent d'embrouiller le sens les logiciels de Dieu, d'Allah et de Jahvé.
--- De profundis clamavi ad te, Globe !
Jésus Evangelista ne daigna pas changer de prénom
- par l'une de ces coquetteries lui assurant les bonnes grâces du Vatican -
lorsqu'il reprit le patronyme ayant été celui de ses ancêtres jusqu'à l'Inquisition.
La première expédition de Christophe Colomb
ne fut-elle pas financée par le premier Evangelista ?
Crise occidentale-orientale en 2004,
crise de la Constitution européenne en 2005,
crise internationale en 2006,
crise des subprimes en 2007,
crise financière en 2008,
crise des marchés en 2009,
crise des dettes souveraines en 2010,
crise du monde arabe en 2011...
Puis cette opération militaire Aube de l'Odyssée,
pour que flottât l'étoile de Goliath sur Tripoli.
Ne manquait plus qu'une campagne médiatique de la tour Panoptic
et le feu nucléaire de l'Occident se déverserait sur l'Orient.
La nef d'un seul navigateur au monde
virevoltait au sommet de ces vagues depuis sept ans :
celle de Jésus Léviathan.
Grâce à lui,
la nouvelle autorité mondiale suprême
de droit public et divin
n’était plus l’Etat mais la banque.
Voyez-vous, chers amis grecs, leur disait-il,
il y a longtemps que vous avez oublié les principes moraux de vos philosophes.
Qui, en Europe, est plus écervelé que vous ?
Qui plus tête en l’air, moins conscient de l’avenir ?
Oui, vous êtes bien la Cigale de l’Europe !
Alors ne vous étonnez pas si la Fourmi vous rappelle
que Dieu – ou toute autre force – nous prête vie.
Prêter, c’est peut-être s’attirer l’ingratitude de ses débiteurs.
Dieu court le risque d’être maudit par les hommes.
De même, le banquier risque d'être nié
par ceux qui n'entendent rien devoir à personne
et encore moins rembourser.
Car emprunter conduit à assumer une dépendance.
C’est affronter le principe de réalité !
Depuis les douves cloacales sourd un lumineux cantique
vers le donjon de la tour Panoptic. Cette falaise de verre en surplomb de
Bruxelles évoque toujours Elseneur qui plonge dans la mer. Où est passé le
spectre ? Personne excepté moi ne s'en est souvenu, de ce chevalier rouge dont
le Graal se voulait taillé dans le crâne des rois. Les Hamlet en treillis
n'hésitent plus à tirer. Sein rouge de l'océan furieux. Nuit grosse depuis sept
ans d'une aurore nouvelle. Au large flanc de la baie s'ouvre une blessure,
celle d'où je suis né le 16 juin 1954 à Santiago de Cuba.
J'étais déjà la momie que je suis, je suis encore le fœtus
que j'étais - quarante jours en trop dans le ventre d'Aurore
Théokratidès - depuis le 26 juillet 1953. Toi dont je suis le fruit amer,
es-tu la génitrice de cette immense nuit ?
Sacrée sanglante histoire, qui remonte à la guerre de Troie !
--- A custodia matutina usque ad noctem : speret Israël in Globo.
Jésus Léviathan ne vient-il pas d'encore accroître la voilure
en s'emparant à l'amiable des cargaisons de son plus vieux complice,
l'armateur Aristos Théokratidès,
dont le lointain aïeul avait affrété,
voici 500 ans, les navires du Christophore ?
Depuis toujours il navigue sur une barque céleste,
soumettant à ses ordres le temps,
supprimant pour lui-même la mort.
" Désormais, il n'y a plus ni Juif ni Grec au sein de la
famille ",
résuma-t-il devant les caméras de ses propres chaînes,
place Tahrir, le 11 février dernier.
Ponts-levis dressés contre peuplades maures déferlant
depuis l'autre rive de la mer, canons des meurtrières dirigés vers les hordes
sarrasines à l'intérieur, notre citadelle est secouée de fièvres aussi
vieilles que les temps où nos glorieux ancêtres échouèrent à délivrer le
tombeau du Christ en Terre promise...
Delenda est Jerusalem ! Cette
sommation muette irradie le crâne du monde. Elle fait d’une promesse de
conflagration nucléaire en Orient la norme psychique dont croit pouvoir se
garantir le délire tenant lieu de sagesse en Occident, pour la raison que
toujours surpasse en folie l’image du diable en le miroir d’en face.
Pour la plus grande gloire de Jésus Léviathan, que réjouit
fort cette kermesse crucificatoire d'un pays, lui le véritable patron de la
Belgique. Affichant les meilleurs liens tant avec la Couronne qu'avec leaders
du Nord comme du Sud. Qu'ils soient de la Grande Loge ou de l'Opus Dei.
Sacrifié l'esprit de Thijl Ulenspiegel, comment s'étonner si le Flamand Lamme
Goedzak (priât-il en latin) seul y ramasse la mise ?
--- Pater noster, qui es in Globis.
Dès le lendemain du 11 février,
Barack Obama prononçait un discours sur le perron de la
Maison-Blanche,
dans lequel il saluait " un arc de l'Histoire orienté vers la
Justice ".
Hillary Clinton intègrerait aussitôt les technologies de la tour
Panoptic
au soft power de
l'Amérique.
Tant il est vrai que, de nos jours,
l'Histoire appartient à qui maîtrise les histoires
grâce à l'art du Story telling.
De sorte qu'en ce lendemain de victoire historique,
la société Noé (Nouvel Ordre Édénique),
qui avait été celle d'Aristos Théokratidès,
annonçait un bond de ses résultats.
Dans un marché mondial des cosmétiques
estimé à mille milliards,
le groupe augmentait son chiffre à cent milliards.
Jésus Léviathan pouvait afficher son ambition de séduire, dans les
dix ans,
un milliard de musulmans.
"Je fais le travail de Dieu", pouvait-il souffler à son
collègue Lloyd Blankfein de chez Goldmann Sachs, non sans faire mettre au
trou son autre ami Bernard Madoff, pour concurrence déloyale. Parce que son
empire inclut l'ensemble des moyens de manipulation de masse, la carrière de
Jésus Léviathan ne fut évoquée qu'au détour de l'apocalyptique Mélopée d'Anatole Atlas aède, athlète,
anachorète. Un globe affecté de tumeur cancéreuse à l'un de ses
pôles et de lèpre à l'autre pôle ne méritait-il pas que fût enluminée la figure
du propriétaire de la tour Panoptic, dont est révélé dans le roman Mamiwata par quels
stratagèmes il conçut, voici cinquante ans, l'assassinat de Patrice Lumumba ?
Prêts sur gage de sang aux maîtres de l'univers, esclavage
par la dette mondiale... Face au vitrail électronique je contemple son auréole
englobant la planète ainsi qu'un anneau de Saturne. Cronos, le père des dieux
et des titans. N'en finit pas d'avaler ses enfants dans une gueule béante où
s'anéantissent l'espace et le temps.
--- Sanctificétur Globum
tuum.
Dans un autre grimoire de mots,
j'ai ourdi la jeunesse de Jésus Evangelista sur le Nil en Alexandrie.
Puis, comment il bâtit son empire grâce à l'uranium du Congo belge.
Sans doute m'y aida le petit-fils de cet aède
mort,
portant même nom même prénom.
Disparu de la circulation depuis une éternité,
mon vieux pote a-t-il rejoint la constellation
des Pléiades ?
L'ombre de l'aède flotte sur le canal de Bruxelles.
Pourquoi ne s'étendrait-elle pas jusqu'aux Pléiades ?
Chacun sait encore que, le 16 juin 2004, brilla dans le
ciel une étoile diurne.
Chacun se souvient de la nuit qui se prolongea tout le
lendemain.
Lumière d'or sur l'océan du songe, un soleil étrange
illumina cette nuit blanche. Les documents secrets rendus publics par Wikileaks
ont révélé - magiquement, peut-on dire - quels accords entre propriétaires du
monde se sont noués cette nuit-là pour tondre à ras l'humain bétail grâce aux
combines du spéculat. Cent ans plus tard, à l'échelle du globe, les mêmes
puissances financières qui manigancèrent la Der des Ders nous feraient
voir enfin ce qu'est une vraie guerre mondiale !
--- Sanctus, Sanctus, Sanctus Dominus Globus Sabaoth.
Mais, si l'issue des conflits ne se décidait plus
tant
par la victoire des armes que par celle d'un récit,
qu'en était-il encore du silence d'un aède mort
qui n'avait cessé de me parler depuis sept ans ;
lui qui, dans sa dimension parallèle à celle des vivants,
demeurait sur l'autre rive un résistant ?
Réversibles sont les notions de barbarie et
de civilisation depuis la Der des Ders, Hiroshima. Depuis qu’une inversion de
la prophétie biblique fut intégrée au disque dur de la tour Panoptic. Ce fut le
26 juillet 1953 à Baracoa, province cubaine de Guantánamo. Du fond de
la matrice méditerranéenne où avait été fécondé le Livre, celui-ci par Colomb
ne devait-il pas traverser les colonnes d’Hercule et franchir l’abîme
atlantique vers cette Caraïbe qui est peut-être la Judée des temps modernes ?
--- Lauda, Sion, Globem !
Jésus Léviathan se trouvait donc chez lui,
comme partout ailleurs dans le monde,
en Egypte, au milieu de la foule en délire,
ne quittant pas des yeux son jeune chef du marketing pour le
Proche-Orient,
devenu l'icône médiatique de la Panoptic.
Ayant galvanisé la jeunesse rebelle par ses pleurs en
direct
à l'occasion d'une interview sur Dream TV,
c'est lui qui créa la première insurrection populaire de
l'Histoire
organisée comme un clip publicitaire.
High Frequency Trading.
Passation d'ordres par ordinateur, jusqu'à deux millions par
minute. Omnipotence omnivoyance omniscience du prophète au masque glabre. De ses babines dégoulinent les
traces d'une ripaille séculaire. Peuples entiers saignés à vif ainsi que
volailles faisandées par la misère. Non sans que s'éternise au coin de ses
mâchoires le vomi froid de quelque génocide. Repérable aux boyaux sanguinolents
qui pendouillent de part et d'autre de ses lèvres goulues. Recrachant dans un
grand rire des milliards de crève-la-faim. Rouge langue pantelante lapant leur
sang dans le crâne de ses victimes, ce sont les révolutions en tout genre
qui lui donnent le teint fleuri.
Comme son obligé Kissinger, n'a-t-il pas obtenu le Nobel
de la Paix ?
Mais qu'est-ce que j'ose dire, sept ans après les faits !
--- Advéniat Globum tuum.
Alors que sur leurs smartphones Panoptic,
ivres de liberté les milliers de révolutionnaires
pouvaient voir et entendre en direct
les cris " Voleurs ! Voleurs ! Nous ne paierons
pas ! "
hurlés par d'autres manifestants,
face au Parlement du pays qui inventa la démocratie.
La Grèce n’était-elle pas violée par le Fonds monétaire international
ainsi qu’une esclave éthiopienne ?
Violemment pris à partie sur les banderoles,
Aristos Théokratidès,
l'ancien patron du Nouvel Ordre Édénique
s'était prudemment retiré sur l'île de Paros,
là-même où sa fille Aurore,
ma mère,
avait rencontré l'aède il y a cinquante ans.
Si l'on veut bien accepter la vision globale de l'aède.
Car c’est une explication du monde qu'offre
sa mélopée.
L’on y découvrira, par exemple, quel rôle transatlantique joue
depuis 1953 l’occulte Anatolian Atlantical Athletical
& Artistical Association - également mise en lumière grâce
à Wikileaks.
Il est vrai que ce fut démenti. Mythe est pays de nulle
part, crurent bon d'objecter les plus brillants des éditorialistes, afin de
couper court aux rumeurs internautiques établissant un rapport entre
l'élimination d'un poète communiste grec à Bruxelles et les divulgations
contenues dans son œuvre posthume, tenues pour affabulations...
Car lui et moi, nous avons revu cette nuit-là ma mère
Aurore - dite Eva de Cuba -, qu'aima l'aède Atlas à Paros puis aux
Caraïbes, avant qu'elle n'y rencontre mon père Abel de Loyola.
Oui, comme la tribu primitive s’harmonisait au cosmos par
l’invention du mythe – conçu lors d’une rencontre nocturne avec les esprits des
morts, pour prolonger l’univers jusqu’au lendemain – c’est une fable démesurée
que, dans le sommeil du village global, un mythographe a cru bon de produire
afin de faire advenir l'aurore au-delà de l'horizon.
--- Globus
verae lucis...
Toute culture n'est-elle pas spectrale ?
N'est-ce pas la voix des morts qui fonde une civilisation ?
Sept ans plus tard c'est à moi, Juan-Luis de Loyola, esthetical
& ethical expert de la Panoptic en même temps qu'agent spécial en story
telling management au service de Jésus Léviathan, qu'il revient de donner
vie à cette affaire spectraculaire.
--- ... Ora pro Globis !
Toute réalité de la vie
n'est-elle pas le rêve d'une âme errante
qu'il s'agit d'interpréter ?
D'où vient que son poème innumérable,
où l'on voit l'aède bondir de siècle en siècle
- contemporain de Colomb comme de la guerre de Troie -
(mais aussi le regard posé sur lui par ma mère,
un certain jour du printemps 1953,
sur une plage de Paros)
déploient les ailes de sa mémoire
dans un envol d'éternité.
Car
dormir ou mourir, c’est des choses que font les gens comme vous et moi ; pas les créatures
mythiques. (Oui, Louis, aide-moi, c’est ta voix que j’entends dans le chant de
cet oiseau de nuit qui me fait signe par le vasistas en cette aube d'hiver où
je suis en nage – vingt-cinq ans après l’ouverture du cycle romanesque – aux côtés
de Michèle. Je pose la main sur sa chevelure d’or. Elle est toujours Pléione,
la mère des Pléiades, femme d’un titan de la mythologie du nom d’Atlas, pour
l’heure inondant de sueur notre commun suaire…)
Sais-je encore si je rêve ou si je suis le songe d'un
oiseau de l'aube ?
Celui-ci me dit que tous les spectres n'en font qu'un, qui
nous apparaîtra tout à l’heure. Et qu'il ne faut pas craindre de poursuivre le
cauchemar de Loyola, seul abri de l'aède mythique.
Atlas veille donc, pont vertical entre ciel et terre comme
entre Levant et Couchant, Occident et Orient. Sur le seuil du rêve et du réel,
de la nuit et du jour, de la mort et de la vie, ce titan nous interprète en
mille pages la symphonie du nouveau monde, non sans détailler par quel pacte ce
monde voici un demi-siècle tomba sous la coupe de Lady Macbeth et de Méphisto.
Son errance immobile nous montre par quel renversement pyramidal c’est le
dragon qui mate l’archange aux cimes où s’élaborent les stratégies de la peste
et de la famine, de la guerre et de la mort.
Ce pourquoi l’on verra dans ces pages le Cimarrón –
symbole de l’esclave révolté dans la Caraïbe espagnole – prendre place au
sommet de l’hôtel de Ville de Bruxelles. Son œil nucléaire nous dira comment
cinq siècles après Colomb, là même où celui-ci débarqua lors de son premier
voyage, fut entreprise par la firme Panoptic une colonisation systématique du
dernier territoire à conquérir sur cette planète : le cerveau global -
proie du haut mal !
--- Te Globum laudamus !
La vie dite réelle
(ce nouvel axe de misère unissant la Grèce et l’Irlande,
par quoi sont Homère et Joyce accourus pour mener l’enquête
sur l’assassinat de l’aède)
a depuis lors à tel point rejoint les sortilèges de cette nuit,
que j’ai résolu de m’en faire le scribe.
Populations convulsées à l'horizontale. Plus un mouvement
mental dans le sabbat de chaque instant. Excision du bulbe imaginal par la
machine à fantasmes. Doses massives d'euphorisants anesthésiants, grâce aux
liturgies du son et lumière global. Eclipse des lueurs astrales, projecteurs
braqués vers la poussière néantale.
Face à quoi se dresse toujours le fantôme d'un Quichotte
sans armure, sous les apparences d'Atlas. À ses yeux le poème du monde est
métaphorique. Il n'imagine pas un livre qui ne soit miroir sphérique :
l'affaire est ronde comme la Terre !
Paladin errant de siècle en siècle pour délivrer toujours
du même dragon la même belle prisonnière née de son imagination, qu’advient-il
de l’aède si la belle s’est éprise de son dragon ?
--- Magnificat anima mea Globum.
Certains rêves ne sont-ils pas les archives
d’une réalité plus vraie que celle déposée dans la mémoire ?
C'est ainsi qu'à l'heure où l'esprit qui voyage en songe
est presque divin dans ses visions,
je fus sur un rivage où ma mère en robe rouge,
installée dans les branches d'un figuier tropical,
y tenait de l'oiseau non moins que du serpent.
Puis cette fée-sorcière m'emporta dans les airs
tout en haut d'un building,
où nous brûlâmes ensemble
ainsi que les ailes d'un Phénix,
dont s'embrasèrent Athènes et Jérusalem.
Cet incendie rêvé fut si fort
que je me suis réveillé glacé par l'épouvante
au sommet de la tour Panoptic.
Pour ma mère Eva, vingt ans durant les armées de Ménélas
et d'Agamemnon détruisirent Babylone. Son Pâris à elle fut un trouvère grec. Sa
Troie, le bloc de l'Est - de Moscou à Cuba. Raison pourquoi fut abattu le Mur
et pénétra le Grand Cheval marchand jusqu'aux entrailles du Kremlin.
Fuit Ilium ! Le sac
de la soviétique Troie...
Pape slave béatifié par un chevalier teutonique pour avoir
hissé jusqu'aux cieux les murs de Wall
Street et de Jérusalem, quand l'aède proposait à sa belle de poser
un Parthénon entre Mur des Lamentations et mosquée al-Aqsa...
L’on a donc toute chance d’entendre ici contée la plus
étrange histoire d’amour jamais imaginée depuis La Divina Commedia. De cette idylle s’éclaire la face
obscure d’une époque épileptique à force de guerre des signes et de
manipulations mentales pour le contrôle des esprits.
--- Veni, Sancte Globus !
Ainsi de la nuit blanche
dont je ne me suis pour ainsi dire jamais réveillé,
celle du centenaire d’une autre Odyssée.
Sur le mur de ma caverne,
deux photographies grandeur nature :
celles de mon père et de ma mère.
Je les détaillerai dans le cours de cette romance
où se pose une seule question :
que s'est-il passé ?
Je n'en vois pas d'autre qui vaille...
Désâmé, désenchanté, désacralisé : tel devait être un
monde où ne s'entendît plus que la rengaine des idoles en leur vitrine
planétaire. Industrie de la divinité. L'au-delà dans chaque marchandise.
Communion des saintes icônes en leur surnaturelle parousie médiatique. Ainsi
l'image d'Eva pour la réclame du dernier parfum Noé - Nouvel Ordre Edénique.
J'écarte les cuisses et j'entrouvre mes lèvres chargées d'un rouge où coule
votre sang dont mes grands yeux verts boivent les palpitations pendant que mes
mains alourdies de bracelets barbares soulèvent le calice vers ma bouche dans
un halo d'or : SATAN.
--- Sanctus satanus Globus !
Ô rêves qui nous emportez en plein jour
dans les contrées de la nuit,
qui donc vous meut d'un monde à l'autre
pour qu'elle ait pu reprendre vie ?
Les yeux ailleurs, comme s'ils suivaient une chanson
que j'aurais eu mission de lui écrire
dans ce grimoire
par-delà les espaces et les temps.
C'est bien de diablezotterie qu'il s'agit, messe noire en
continu sur les autels de la Grande Surface dans les effluves d'un encens
prouvant que vous êtes en odeur de diablezot. Ceci quand une brise embaumée de
jasmin fait s'écrouler les palais du Moloch à Carthage. L'empire de Jésus
Evangelista tremble-t-il ? Permettez-lui de s'esclaffer. Derrière l'iconostase,
un masque hilare converse avec l'Eternel parmi les éclairs d'une guerre
civile ouvrant de nouveaux marchés, portant à bout de bras les dernières Tables
de la Loi sous forme d'un écran tactile assurant toutes les fonctions de
prothèses mentales.
--- Domine, exaudi Globem meam.
Vitesse de la lumière !
C'est en millièmes de secondes que sont exécutés
les ordres opérés sur les marchés
par notre Shadow Banking System,
quand le silence de l'aède parle en millénaires.
Ainsi l'aède fait-il à son miroir sphérique flamboyer l'âme obscure du monde.
N’a-t-il pas marché toute sa vie vers un horizon d’où l’on
aperçoit l’autre côté des choses ? Pour lui l’arc d’Ulysse et la lyre d’Orphée
sont un seul instrument. Viser la note juste, c’est faire vibrer l’exacte
sonorité de la flèche au cœur du simulacre social. Il est une giclée de lave
qui ne détruit pas mais bâtit une ville de mots dans le ciel pour éclairer le
sens des terrestres mirages. Cette Jérusalem céleste, on y accède par n'importe
quel soupirail ou vitrail.
Ce livre, on y pénètre et on en sort à n'importe quelle
page...
--- Resurrectus est, Globus !
Mais Panoptic ne cesse d'améliorer les performances du short
selling.
Bientôt nos automates fonctionneront en nanosecondes.
Alors il gagnera peut-être l'éternité...
Mille ans ne lui furent-ils pas espace de temps plus court
qu'un battement de cils
quand le regard de ma mère
put en lui s'amplifier
aux dimensions d'un millénaire ?
Par-delà ma mère Eva de Cuba, l’aède grec s’adresse à une
autre créature mythique.
Ce voleur de feu fait la paire avec une divinité des eaux.
Son chant répond à celui de la sirène du fleuve Congo. Car la mélopée du porte-globe
exigeait que son axe vertical – frontière entre l’Est et l’Ouest – copule avec
un axe horizontal épousant l’équateur.
Passer de son vivant le pont vers l'autre
rive : c’est ce que font aussi bien Mamiwata que Maïak, pour
assurer sphéricité à la mappemonde romanesque. Si la sirène africaine dérive de
la déesse Isis ayant eu pour attribut le globe, son époux Osiris, fils du Ciel
et de la Terre, est le premier héros de la mythologie qui soit mort et
ressuscité. Tel un noyé dont le regard traverse l’abîme au fond des eaux
primordiales, Atlas après les coups de feu s'enfuture au royaume des
Ombres, non sans union posthume avec la mère des étoiles...
--- Leopoldo II, regi Globarum
L’histoire humaine depuis que je suis né ?
Ce serait trop peu dire...
Une histoire qui remonte à la guerre de Troie !
C'est l'inscription qu'on lit au bas de la statue équestre
de Léopold II, place du Trône à Bruxelles. Là que le spectre nègre a surgi ce
dimanche, annoncé par un oiseau de l'aube. Au jour du cinquantième anniversaire
de son assassinat fomenté par Jésus Evangelista, Patrice Lumumba sacrait la
publication de cet AJIACO, tant l'ombre de certains morts excède les
dimensions d'une ville.
Ainsi le miroir sphérique n’a-t-il ni commencement ni
terme. Un million de livres sont dans ces mille pages incommensurables, écrites
moins par leur auteur que par le Cimarrón, symbole des esclaves en révolte.
AJIACO, c’est le nom du pot-pourri qui bout dans la marmite chez les Indiens caraïbes avant
l’arrivée de Colomb. Comme on sait, dans la marmite est un grand secret !
C’est toi, Louis, qui as soulevé le couvercle en postface de ton
Monde Réel achevé par Les Communistes en 1951, l’année de ma véritable naissance :
« Peut-être
sommes-nous arrivés à l’heure où le roman doit sauter le fleuve infernal et
pénétrer dans le domaine de l’inimaginable… Peut-être que c’est lui qui va
sonner devant l’avenir les trompettes qui font s’écrouler les murs, les
limites, et que, par lui, nous allons pénétrer dans l’homme, cet imprenable
Jéricho, plus loin que l’homme n'ira jamais dans les astres. »
Un cycle est-il jamais clos ?
Où suis-je et quand ?
Pomme croquée : sigle de mon Apple, filiale de Panoptic.
Que seraient Bill Gates et Steve Jobs sans Jésus Léviathan...
L’algorithme du moteur de recherche ne permet-il pas d’accéder
à tous les savoirs de l’humanité
sauf au poème de l’aède ?
N'est réel que le visible, ce qui ne se voit n'existe pas.
Rien n'échappe à l'œil absolu de la tour Panoptic.
Je pose ma tasse de café au rhum et m'adresse encore à l'esprit du mort.
Bourdonnement d'une mouche au fond de la tasse.
Même BUZZ qu'il y a sept ans.
Je replonge en cette nuit blanche,
au cours de laquelle me tint compagnie la seule présence d'une mouche,
en ce donjon qui surplombe la capitale d'Euroland.
Depuis l'autre côté du miroir se répand une voix,
qui parle en présence de tous les absents du monde.
Innumérable est son peuple invisible,
accouru du lointain de toutes les époques,
sur les deux rives du canal traversé d'une lueur de sang.
L'aède mort au fond de la tasse tient en cercle autour de lui
l'ordre des siècles et des orbes,
du royaume des ombres aux Pléiades.
Prisonnière d'un sépulcre liquide,
son âme ne pourrait-elle s'en délivrer
à la faveur d'un arbre druidique
dont les racines plongent au fond du canal ?
Juan-Luis de Loyola, le 1er mai 2011
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des Pléiades >
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4e de couverture
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