SPHÈRE CONVULSIVISTE
 
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 la baronne Amélie


 Cyrulnik
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Rais et Rets

 la grande librairie

Une culture se juge à ce qu’elle promotionne comme à ce qu’elle rejette. Ainsi le marché postmoderne exclut-il ce qui relève d’une vision globale – apanage des systèmes de surveillance – et n’autorise-t-il plus que les productions éphémères, clamant un perpétuel avènement du nouveau. La marchandise, hier consommée, sera remplacée par un autre modèle, afin que jamais ne s’immisce aucun doute sur le fait que cette accélération permet d’accéder à l’ersatz du divin, dont les derniers signes ont disparu du paysage. Chaque fétiche est un succédané d’immortalité. Cet exercice favorise les produits en série labellisés par une image de marque. L’effet de matraquage assure écrasement de la pensée dialectique, aplatissement de toute perspective historique, réduction du psychisme collectif aux préoccupations immédiates par les agents de contrôle idéologique. Aussi la plus grande part des humains ne pense pas les rapports d’exploitation, de domination, d’aliénation dont elle est une victime consentante : raison pour laquelle elle demeure exploitée, dominée, aliénée par une minorité. Sans cesse excité ; toujours frustré ; n’ayant d’échappatoire que dans une surenchère de sensations visuelles et sonores le faisant tressauter en état d’électrocution permanente, et anesthésier sous cent drogues chimiques : le sujet postmoderne est un condamné volontaire à la chaise électrique et à l’empoisonnement létal, passant la majeure part de son existence dans un couloir de la mort égayé d’écrans bruyants et multicolores, se confiant corps et âme aux bons soins de la tour Panoptic et de Kapitotal. C’est à son jugement éclairé (car se revendiquant des Lumières), que les maîtres du monde occidental doivent leur élection démocratique ; et que prétend s’imposer en toute légitimité le dominium universel de l’aigle impérial. Depuis que Nietzsche exerce (aux dépens de Marx) un magistère absolu sur la pensée du monde civilisé, tous les idéaux sont à nier, les principes à transgresser, les interdits à interdire, sauf un dernier tabou : Kapitotal. Sur lequel il revient à la tour Panoptic de produire un détonnant silence. Car Kapitotal impose une telle scission entre « extrême accumulation de richesses à un pôle, de misères à l’autre pôle » (Marx), que l’occultation en incombe à la tour Panoptic. D’où l’arraisonnement du secteur éditorial par les bavardages de la Kulturindustrie. Qui invoquera de mauvais choix sociétaux pour disculper la caste possédante et perpétuer sa domination. Voyons un peu ce symptôme d’extrême barbarie qu’est, sous les dehors d’une exquise urbanité, le traitement médiatique des signes d’écriture. Bernard Pivot se fût-il laissé acheter par une péronnelle avide de paraître en vitrine chaque première émission de rentrée littéraire, pour planter la pique de son ombrelle dans les yeux des cadavres à travers un brouillard de sang ? La question n’est pourquoi ni comment mais combien. Le nerf de la guerre irrigue un système respiratoire et sanguin qui permet à la baronne Amélie de pérorer en marraine du salon annuel, imitant le chant du rossignol au-dessus du carnage. La machine de propagande, incluant l’exclusion de toute interrogation par une subtile Sensure, est totalitaire à mesure de ses prétentions libertaires. Apostrophes participait d’un monde naïf où tout débat n’était pas interdit, ni toutes les contradictions bannies d’un bavardage de bonne compagnie. L’architecture psychique d’homo sapiens n’était pas encore anéantie de telle manière qu’il n’y eût plus de résistance à sa mise en enclos mental, phénomène qu’un Cyrulnik n’avait pas encore nommé résilience. La jouissance versaillaise n’était pas sans entraves au point qu’elle ne fût plus embarrassée par la moindre décence. Car prévalait encore un rayonnement spirituel et intellectuel sur le piège de réseaux dits sociaux, tissés de telles mailles qu’ils évoquent le filet des rétiaires aux jeux du cirque romain. Cette colonisation de l’écran par une image de marque identifiable à des signes extérieurs plus qu’au contenu de ses produits, ne pouvait s’imaginer dans une émission culturelle de service public voici quarante ans – quand aucun éditeur n’eût publié la baronne Amélie. Mais, contrairement aux proies des rets, le rai ne meurt jamais. Trait de lumière astrale est chaque signe de l’être captant les signes émis par d’autres êtres, en des embrasements stellaires. Si toute matière périt, les flèches de l’esprit sont d’un rayonnement sans fin. Tel regard, tel sourire, tel mot, tel geste échangés traversent le temps sans se fixer dans la mémoire, tout en y voyageant comme à l’insu de l’oubli. De quelle nature sont ces flèches ? Question centrale d’écriture et de lecture, donc de littérature. Question du rayon d’action de la phrase. Les prisonniers du Circus Magnus, par dépit de te savoir à l’extérieur, n’ont de cesse de t’en écarter plus encore par un silence désapprobateur. Narguant leurs écuries, tu fis cavalier seul. Sans filet de rétiaire, usant de ta seule arme : le rayon. D’emblée dirigé contre le sommet de l’empire, avec ses cliques de têtes à claques. Marx et Rimbaud dans les poches : véritable axe franco-allemand. Rayons décochés contre le principe impérial, maître du Circus Magnus. Car entre rais et rets, il faut choisir.

Anatole Atlas, 7 septembre 2023.

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