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Lettre à l'Être

En hommage à La Lecture silencieuse d’Éric Brogniet

Jacques et Jacques morts ! Jaquemort, ça ne vous dit rien ?...
Je suis né pendant qu’un auteur accouchait de L’Arrache-Cœur, dont le personnage principal a pour nom Jaquemort. Ce premier livre volé, voici 55 ans, te revient en mémoire pendant qu’un jaquemart fait sonner les carillons d'un beffroi des environs. Pour que l’on n’oublie pas deux Jacques morts. Qui aurait cru qu’au tournant des années 2000 (un demi-siècle après Boris Vian), Jacques De Decker et Jacques Crickillon coaliseraient leurs talents dans la rédaction d’un brûlot que leurs épouses rendraient public aujourd’hui ? De quelle Guerre des Ombres osèrent-ils être les messagers ? Leur ouvrage fut composé d’autant de chapitres qu'il s’érige des institutions respectables autour du parc de Bruxelles : Palais royal, Beaux-arts, Banque BNP Paribas, Journal Le Soir, Parlement et Sénat, Théâtre du Parc, Ambassade américaine, Académie de Littérature.

Shadow Kinging ; Shadow Arting ; Shadow Banking ; Shadow Electing ; Shadow Pressing ; Shadow Actoring ; Shadow Diplomating ; Shadow Writing. Chaque chapitre est une déflagration dont l’ensemble se conclut en apothéose par un épilogique Shadow Bombing : de quel bombardement ayant les crânes pour cibles ces lieux sont-ils bases de lancement ? Bien que la température soit douce en cette fin d’été, le froid qui te saisit peut difficilement s’exprimer en mots. Pour avoir une idée, rappelez-vous les froidures de l’hiver col ouvert et chemise au vent ; sauf que c’est ta poitrine qui est ouverte et ton cœur offert au vent glacial dans ce monde auquel chacun s’accoutume par épaisses couches de liards doublées d’armures et de cuirasses donnant accès aux immeubles entourant ce parc. Où voltigent les macaques et poussent leurs cris les bolikokos de la brousse africaine, dans des frondaisons baignées d'une lune congolaise. Voyez aussi mon crâne fendu, le dessus découvert comme un couvercle, et ces deux ombres qui en sortent pour se glisser à pas de loups dans les allées du parc. Ainsi vont nos deux Jacques, pour qui la vie s’assimilait à une allégorie dont le but ultime était recherche de sens à travers une forêt de mystères. Ainsi vont-ils, et je ne sais lequel est Dante présentant son guide Virgile comme « celui qui va de nuit, portant derrière son dos une lumière ; et à lui elle ne sert, mais il instruit ceux qui le suivent ».

Bruxelles, deuxième ville après Vienne de l’empire d’Autriche-Hongrie, comme aucune autre capitale fut conçue pour qu’autour d’un parc central fussent réunis tous les édifices du pouvoir, en sorte que s’y concentrât une accumulation de capital symbolique telle que toutes les assoiffades y convergeassent, ainsi que vers un abreuvoir ne laissant point soupçonner l’abattoir. Sauf si, comme ce soir, est d’un rouge écarlate l’eau baignant à ras bords sa vasque principale, grand bassin circulaire où aboutit le regard d’un fantôme : celui du gouverneur général autrichien qui régna sur la ville et lui imprima sa marque impériale. Cette fontaine de sang jaillie des profondeurs de la capitale d’Europe : venue d’où ? Tous les chemins du parc menant à cette hémorragie : par qui désencombrés de leurs cadavres ? Deux ombres ont médité ces sortilèges, par quoi l’appel des êtres au monde et du monde aux êtres eut chance de retrouver tension dialogique entre ciel et terre. Entre ici bas et au-delà. Deux ombres ont invité les divinités de pierre bordant les allées du parc à quitter leurs socles pour se désaltérer dans la vasque où bouillonne le jus de toutes les guerres qui ont fait ce pays, cette ville, ce parc et tous les palais alentour. Deux ombres ont conjuré les maléfices d’un fantôme, celui d’une statue de bronze qui jadis trônait sur la place Royale représentant Charles de Lorraine en empereur de Rome, portant grand collier de la Toison d'or et croix des chevaliers teutoniques. Lesquels, aujourd’hui comme au temps d’Alexandre Nevski, dirigent les manœuvres contre la Russie. Par-delà le sort des armes à travers tous les siècles, deux ombres ont quitté l’univers des esprits pour crier réparation de l’outrage fait à l’humanité par les tromperies de ceux qui l’avilissent en feignant de la protéger, qui l’humilient en prêchant son salut. Jacques le Nautonier, Jacques l’Aède aux yeux couleurs des steppes. Car la place Royale jouxte l’église Saint Jacques, et l’esprit souffle des signes. Une dalle de compliments funéraires a recouvert les deux Jacques ; il ne s’en faut plus que d’une paire de laïus pour que soient classées sans suite les affaires De Decker et Crickillon. L’écume des mots qui seront bavés pour l’occasion flotte à la surface des pièces d’eau bordant les allées du parc. Comment la beauté du monde – cette pure adéquation de chaque être ou chose au cosmos – peut-elle n’être pas anéantie par les bombardements d'une race dite élue ?

« Dans le vieux parc solitaire et glacé,
    Deux formes ont tout à l'heure passé.
 »

Le vent du soir, dans les grands arbres qui en ont vu depuis le Saint-Empire germanique et l’Autriche-Hongrie traçant leurs lignes de partage entre Europe et barbarie, le vent du soir vient de murmurer ces deux vers de Verlaine qui remémorent son compagnonnage avec Rimbaud dans ce même parc, juste après la guerre franco-prussienne. Comme si, dans la dimension des arbres et du vent, les ombres d’un Colloque sentimental entre Paul et Arthur avaient déjà préfiguré celles de nos deux Jacques.

« Dans le vieux parc solitaire et glacé,
  Deux spectres ont évoqué le passé.
 »

Mais aussi – et surtout – le futur. Ceci se passe à l’heure où le monde se réclamant de la démocratie retentit d’un verbiage apologétique résumé par l’actuel président de cette République française qui avait jeté bas la statue de bronze du duc de Lorraine sur la place Royale, rebaptisée place de la Liberté ; président de la République davantage héritier du Godefroy de Bouillon qui occupe la place depuis 1830. Macron ne prétendait-il pas qu’au lendemain du massacre de la Commune, la République s’était réfugiée à Versailles ? Toute une machinerie théâtrale fut mise en branle à l’échelle planétaire pour cautionner une machination politique offrant le show de toutes les têtes couronnées du globe autour d’un catafalque où gisait une ombre impériale parée d’aura médiévale. Rois de Jérusalem se disaient Charles et Godefroy, chefs d’une millénaire croisade qui se perpétuait à Westminster. Et prenait la voix de Macron pour exprimer cette glorieuse mystification : « Nous commémorons les valeurs qu’elle n’a cessé d’incarner et de promouvoir : la force morale de la démocratie et de la liberté ». Tout fut dit en moins de mots qu’il n’en fallut à Biden pour justifier les manœuvres de l’Alliance atlantique sur les flancs de la Russie, planifiées depuis le siècle passé par Brzezinski. Car l’industrie médiatique assure aussi bien vidage que remplissage des cerveaux. Rien de tel que surabondance d’images et de bavardages pour faire diversion du vide. Sans quoi chacun s’aviserait des ruses, trompe l’œil, filouteries dont s’enrobe un discours moralisateur pour jeter son filet de rétiaire sur le gladiateur désigné comme ennemi dans le grand cirque du globe, afin de l’acculer au bain de sang. Les crânes opinent à mesure qu’on les gave d’imageries fallacieuses, dans un perpétuel recyclage du néant. La slavité ne s’origine-t-elle pas dans une esclavitude réservée aux barbares par l’empire de Rome, de Charlemagne et d’Hitler en passant par Napoléon ? Tels sont les mots du colloque sentimental mené par les ombres des deux Jacques, en leur fête galante escortée par les arbres du parc de Bruxelles.

Leur Guerre des Ombres nous rappelle que chaque peuple a une histoire liée à des migrations et sédentarisations millénaires. Et si les cent cinquante ethnies réunies par une russité linguistique sur la plus vaste étendue géographique du globe, avaient une histoire singulière entre toutes, que refuse d’entendre le monde occidental ? Celui-ci ne veut voir là depuis toujours qu’une gigantesque entité menaçante, sans autre qualité que par défaut, résumée dans une syllabe imprégnée de glèbe fétide et imbibée d’humus putride, que Pouchkine, au chant 2 de son Eugène Onéguine, place en épigraphe dans un jeu de mots faisant suivre l’interjection O rus ! (Ô campagne !) du poète Horace, par sa traduction détournée O Rus’ ! (Ô Russie !). Mais cette péninsule de l’Asie qu’est l’Europe a les oreilles et les yeux tournés vers ses maîtres américains, lesquels ordonnent qu’elle brade ses intérêts propres quand elle se lance dans une politique de sanctions autopunitives qui la handicapent au profit des firmes transnationales d’outre-Atlantique. Ce qui est clair pour nos deux ombres ne peut l’être pour les foules hallucinées par les écrans de leurs geôles numériques, foules auxquelles est assigné comme but ultime d’avancer degré par degré dans l’échelle sociale, dont le sommet pyramidal coïncide avec les immeubles autour du parc de Bruxelles. Ces bâtisses tournent en rond depuis des siècles, tel un grand chien cherchant à s’attraper la queue. Représentée par l’Académie de Littérature, obscur objet de désir du Palais royal. Ce mouvement n’est visible qu’à l’œil imaginal : il n’impose pas de sens giratoire au défilé des automobiles, et les deux ombres veillent à ce qu’une circulation chaotique ne trouble pas la marche de leurs veuves en direction de la cinémathèque proche. Car le schéma d’institutions garantissant un maintien de pouvoirs séculaires ne peut en évacuer les contradictions. Celles-ci travaillent : Parlement, maison des écrivains, théâtre, siège de journal, musée abritant celui du cinéma sont agités de convulsions attestées de leur vivant par nos deux ombres (même si l’un des Jacques y avait sa place partout, et l’autre nulle part). Le film vieux de plus d’un demi-siècle attirant ici Claudia De Decker et Ferry Crickillon se trouve être un parfait miroir de notre temps : Satyricon. Rien n’illustre mieux cette Guerre des Ombres qu’elles ont mission de divulguer au Palais des Académies. Où l’on entreprend de faire astiquer les sièges des fauteuils vacants pour deux postérieurs devant être conformes à la vision du poème de Rimbaud Les Assis : felliniens comme tout le reste, sans le savoir.

 plan du parc royal de Bruxelles

Aux yeux des ombres extralucides, le parc fut dessiné selon des plans ésotériques, et l’architecture alentour obéit à un planning plus général, que surplombe la vision globale de l’aède Fellini. Celui-ci nous déroule une anticipation de l’empire occidental en putréfaction. Chaque scène grimaçante reflète notre monde sans essence ni sens, où l'absence de transcendance réduit toute existence au sensationnisme. Scribe illégitime, tu accompagnes les deux ombres auxquelles se sont enlacées deux chairs vives. Pas d’autre spectateur dans une salle pouvant en contenir plus de cent : Bruxelles boustifaille et se vautre face à ses séries télévisées. L’empereur Néron fait un bond de vingt siècles pour gérer Wall Street aussi bien que le Pentagone et Hollywood. À ceci près que le financier Trimalcion, grande fortune de son époque, dispose d’un patrimoine dix mille fois inférieur à celui d’Elon Musk. On compte alors en dizaines de millions et non en centaines de milliards d’unités monétaires. La scène d’orgie au siège de Goldman Sachs est une copie conforme de la réalité, quand les experts ayant taillé l’Union européenne selon leurs vœux tout en ravageant l’Union soviétique, tirent des dividendes surmultipliés par les profits de cent guerres, pestes et famines sur la planète. Ils savourent, au banquet convivial et festif placé sous le slogan jouir sans entraves, les millions d’enfants morts par manque d’eau potable. Et sous la directive interdit d’interdire chiffrent les gains des terres ukrainiennes devenues leur propriété. Peut-être les deux ombres en rajoutèrent-elles dans l’éclat des images pour éblouir leurs compagnes, car il n’est pas certain qu’ait été filmée par Fellini la scène où les dirigeants de la Troïka dégorgent un sang vert dans la bassine aux vomissures pour favoriser le greenwashing. « Les morpions sont au pouvoir partout ! », s’exclame Ferry Crickillon. Le scribe illégitime ne rapportera pas la réaction de Claudia De Decker, qui parfois considère ce qu’il écrit comme dépourvu de sens. Mais un pacte les lie, celui du commun jour anniversaire, et c’est elle qui sitôt regagné le parc invite la petite bande à se recueillir devant le buste en bronze du tsar Pierre le Grand dissimulé dans les bas-fonds, près d’une pièce d’eau rouge portant en latin l’inscription selon laquelle il y dégueula son trop-plein de libations, preuve du fait qu’il y a trois siècles on accueillit PETRUS ALEXIOWITZ CZAR MOSCOVIAE comme un barbare digne de partager les mœurs d’une cour civilisée. Les deux ombres ne peuvent donner de la voix, mais celle du vent dans les arbres nous avertit que si tant de fantômes errent par les bas-fonds de Bruxelles, c’est que bien des secrets enfouis dans la mémoire des vivants peinent à trouver leur chemin vers la lumière du ciel.

Tout parle en latin ce soir. Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem. C’est encore Claudia qui tient à lire une inscription métallique incrustée dans le mur de remblai face à la place Royale, non loin du buste et de la vasque à la mémoire d’un tsar. V I T R I O L. Cette formule attestant l’esprit maçonnique du paysage nous invite à visiter les entrailles de la terre pour découvrir une pierre cachée. S’adresse-t-elle à notre équipée ? Ferry s’agenouille avec emphase et psalmodie d’une voix mélodieuse, imitant un cantique religieux : « Seigneur, accordez-nous la médiocrité de jouir du confort matériel et protégez-nous de la tentation des dangereuses lueurs spirituelles ». Elle tient de son Jacques une foi partagée par l’autre Jacques – et que les deux ombres confirment – en la communication des mortels avec l’au-delà. La vie n’est qu’une ébauche, une esquisse préparatoire. Après quoi, si l’examen de passage est réussi, vient le temps du grand art, murmure le souffle du vent dans les arbres. S’il en fallait une preuve, elle serait fournie par le théâtre à l’autre coin du parc, où des affiches annoncent la programmation d’un célèbre Indien de la Gare du Nord signé Crickillon, dans une adaptation par De Decker. Tout fait signe à qui se débranche des satellites artificiels pour écouter la lune réciter avec la voix de Ferry cette prophétique tirade : « Un jour, tu me rappelleras d’entre les ombres pour m’apprendre ce que j’ignore ». Nous y sommes, et les deux femmes semblent d’accord pour unir leurs talents dans cette leçon qu’elles accordent aux deux ombres, comme celles-ci se sont coalisées pour nous offrir une telle bacchanale nocturne. Mais où serait la pierre secrète à découvrir dans les entrailles de la terre ? Il y a bien ce bunker à douze mètres de profondeur, dont témoignent en surface bouches d’aération et vestiges de cheminées, conçu tel un refuge pour les éminences du royaume avant ce qu’on nomme la seconde guerre mondiale. Après quoi ce décor aurait servi d’abri antiatomique. Les caves du Cercle gaulois, et celles du Parlement, y donneraient accès. L’on suppute un tunnel creusé depuis le Palais royal vers ce réseau d’où les élites politiques, en cas d'attaque nucléaire, auraient été évacuées vers le Congo. Mais de quelle explosion, par quelles irradiations le pays fut-il frappé ? Si l’on envisage l’existence de galeries reliant ce bunker à l’ambassade américaine, à la banque BNP Paribas, au quotidien Le Soir, à Bozar et à l’Académie, peut se comprendre un éclairage par les ombres. Ces façades chancellent et doivent de ne pas s’écrouler à la force de l’habitude et à l’absence de curiosité des passants, qui préfèrent ne pas voir vaciller des murs vermoulus striés de lézardes.

Monument de propagande, ce quartier représente un apogée d’idéologie royale et impériale : Kaiserlich und Königlich, ainsi que la Cacanie de Robert Musil, mort il y a près d’un siècle sans avoir vu publié en entier son Homme sans Qualités. Mais c’est un hypogée qu’il s’agit d’explorer. Quel jeu d’ombres allégoriques au fond de la caverne, une fois banni le soleil de tout autre idéal que celui du pouvoir ? Il va de soi que les deux ombres nous guideront pour décrypter les signes enfouis dans le bunker. Le vent se déchaîne alors, avec un coup de tonnerre et une pluie tropicale fouettant les branches des baobabs, figuiers étrangleurs et palétuviers dont racines et lianes font déborder les eaux ensanglantées des bassins. La foudre a de ces effets bizarres. Au cri de surprise poussé par les deux femmes, le banal platane ornant l’entrée du théâtre voisin se transforme en superbe magnolia : manière d’honorer la pièce du Jacques de Claudia jouée là voici deux décennies. Le Jacques de Ferry n’est pas en reste, qui déclenche un éclair afin qu’elle puisse en recueillir le feu dans ses mains nues. Comme le promettait l’Indien de la Gare du Nord. Une ville morte aux édifices vides n’eût pas laissé flotter un air plus cadavérisé ; mais ici s’expérimente, entre deux couples à la fois morts et vifs, une autre connaissance de la vie et de la mort. Va-t-on s’engager sous terre ? Nous sommes toujours à la surface et le scribe illégitime ne sait plus quel rôle jouer, tel un acteur en costume de bouffon transplanté sur la scène d’un théâtre imprévisible, où quatre personnages l’accueillent de manière incompréhensible. Il n’est propriétaire de rien, pas même de son identité, dont il n’est qu’un passager transitoire. Qui donc l’a mandaté dans ce parc où se perçoit l’imperceptible, se voit l’invisible, s’entend l’inouï, se dit l’indicible, promettant d’accéder à l’inaccessible ? Avant de s’engager dans les entrailles de la terre pour y découvrir une gemme occultée, se confirme que les exercices de liberté sont davantage remarqués dans l’au-delà qu’ici bas. Les deux ombres te le murmurent. À la question du prince Hamlet s’est substitué le mot d’ordre : To Have Or Not To Have ! Ce que suggère le fait que la seule voie d’accès possible soit la cave du Cercle Gaulois, club huppé dont était membre d’honneur le Jacques ayant ses entrées partout. Ne t’avait-il pas révélé son appartenance au club encore plus fermé de la Demi-Pinte qui a le Cercle Gaulois pour décor, présidé par le Parrain de la Belgique ? À propos de ce dernier ne te signala-t-il pas – non sans une sardonique ironie – que, dans ses Mémoires, il était muet sur Lumumba ?

Toute la faiblesse de paralytique mental, toute l’impuissance d’inadapté social du scribe illégitime se sont laissé choir dans un gouffre au moment de la clameur. Prêts à nous glisser dans la cave du Cercle Gaulois par un soupirail, leur cri triomphal nous y a fait dégringoler. La nomenklatura belge fêtait l’annonce d’une explosion de gaz dans la mer Baltique. Peut-être même n’avons-nous pas plus entendu ce cri que les immédiates accusations de sabotage portées contre le Kremlin. Car ces gens-là se tiennent bien aux tables de leurs festins. Cette nuit synodique a beaucoup entendu parler le langage de l’empire de Rome ; le programme à venir se résume donc à trois mots : Delenda est Moskva. C’est ce qu’affirme une voix des tréfonds. Seuls des esprits moribonds, dit une autre voix, peuvent accréditer le discours officiel, nimbé de vertus moralisatrices, relatif aux prétendues valeurs supérieures du monde occidental. Une troisième voix (mais en quel abîme te retrouves-tu seul ?) ajoute que les actuels bains de sang planétaires sont pires que ceux produits lors des précédentes guerres mondiales, où les ténèbres laissaient percevoir quelque lueur d’espoir. Et la première voix reprend depuis les tripes du parc : jamais les principes de Machiavel ne furent mis en pratique avec plus d’expertise. Gargouillis dans le noir, tu entends que ruse du renard et force du lion sont requises du Prince. Une jivarisation des crânes dans la marmite médiatique, est-il clamé avec l'accent wallon, vous empêche de voir que cette guerre fut planifiée dans le but d’anéantir les relations de l’Europe avec la Russie. Le scribe illégitime n’avait pas voulu reconnaître l’intonation africaine de la voix initiale. Dans vos mythes, paraît-elle railler, certains êtres usaient de la parole sans appartenir à l’humanité : dieux, anges ou démons. Chez nous les animaux, les arbres et les pierres parlent depuis toujours, ce dont s’est inspiré le fabuliste Ésope. La machine désormais remplit cette fonction, libérant les humains d’une responsabilité dont les décharge l’industrie du bavardage. Oui, dit l'autre voix wallonne, ils se repaissent d’immondices dont les gavent les appareillages de leurs maîtres. Une bouillie de pixels et de décibels, une intoxication des cerveaux interconnectés jour et nuit sur écrans portatifs. Ce dont on ne revient pas n’est plus l’Enfer des anciens Grecs, mais celui du marché qui s’entoure d’aura paradisiaque. Il suffit de la lyre d’Orphée pour en conjurer les maléfices, comme tu l’as montré dans un livre où reviennent Homère et Joyce du royaume des ombres pour mener leur enquête sur cette guerre de Troie qui dure depuis trois mille ans. Tel est le secret de notre tombe commune, reliée à chacun des édifices entourant le parc de Bruxelles. C'est pourquoi nous contresignerons cette Lettre à l'Être : moi Julien Lahaut, leader communiste assassiné le 18 août 1950 ; moi Patrice Lumumba, guerrier de l'indépendance africaine, assassiné le 17 janvier 1961 ; moi André Cools, leader socialiste assassiné le 18 juillet 1991. Tous trois assassinés pour des raisons dont répondra dans l'au-delà celui qui demeure le Parrain de la Belgique. (Si l'on commémorera bientôt le bicentenaire de ce pays, ne convient-il pas d'en offrir au futur un portrait véridique ?)

Du fond de la caverne, rappelons qu'Akadémos était un ami de Platon, qui ouvrit à celui-ci son jardin pour y accueillir la Parole. Jacques et Claudia, Jacques et Ferry eurent leurs habitudes en un tel jardin d'Everberg où les convièrent le Minotaure et les déesses crétoises aux serpents, Cernunos et le dieu Pan de Pléione. Voyager de la source au rivage dans l'unité du ciel et de la terre - sans oublier la mer ni le cours des nuages - est le but ultime d'une reliance cosmique entre abîmes et cimes. L'aède prouve la Sphère.


Anatole Atlas  (avec André Cools, Julien Lahaut, Patrice Lumumba)

Automne 2022.

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