Rares sont les femmes ayant l'honneur de funérailles nationales.
Conçoit-on des tragédies mettant en scène le deuil pour une femme ? Imagine-t-on un chœur de pleureurs ?
Les sanglots d’Electre pour son père, d’Antigone pour son frère, d’Andromaque pour son époux, d’Hécube pour son fils pourraient-ils être ceux du père, du frère, de l’époux, du fils pour leurs fille, sœur, épouse, mère ?
C’est pourtant par milliards que les humains des deux sexes ont pleuré la disparition d’une sœur tenant de la fillette et de la grand-mère,
de la sorcière et de la fée contre laquelle avait été lancé un appel au meurtre pour trois impardonnables mots par elle prononcés :
How dare you ?...
Ce qui signifia plus sûrement sa condamnation, ce fut sa diatribe aux Nations-Unies, où elle se permit d’évoquer deux prophètes bibliques.
Du premier elle cita ces phrases écrites voici plus d’un siècle et demi :
« Après moi le déluge. Telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. »
« Le capitalisme ne développe la technique qu’en ruinant les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur. »
« Pour la première fois, la nature est devenue un pur objet utilitaire :
elle n’est plus reconnue comme une force existant par elle-même. »
« Telle est la loi qui contraint le capital à ne laisser aucun repos à la force de travail, et à lui murmurer sans cesse : Avance ! Avance ! »
(Par un très étrange lapsus, elle prononça : En Marche ! En Marche !)
« La croissance industrielle a provoqué une telle destruction des forêts que tout ce qui est fait pour son maintien ou sa réhabilitation semble infime. »
« Avec les populations urbaines qu’elle entasse dans de grands centres, la production capitaliste amasse d’un côté
la force motrice de la société, et perturbe d’un autre côté le métabolisme entre l’homme et la terre,
donc le retour au sol des composantes de celui-ci, épuisées sous forme de marchandises.
La production capitaliste détruit l’éternelle condition naturelle d’une fertilité durable du sol. »
« L’exploitation et le gaspillage des ressources des sols remplacent la culture consciente et rationnelle,
condition nécessaire pour perpétuer la chaîne alimentaire. »
« La société n’est pas propriétaire de la terre.
Elle n’en a que l’usufruit et doit la léguer aux générations futures après l’avoir améliorée. »
« Du point de vue d’une organisation future de la société, le droit de propriété de certains individus
sur des parties du globe terrestre sera aussi absurde que le droit de propriété d’un individu sur un autre. »
« Le communisme supprimera l’opposition entre l’homme et la nature, comme celle des hommes entre eux. »…
Ce que je viens de rappeler, précisa-t-elle, se trouvait formulé depuis plus de 150 ans,
et vous n’avez fait qu’en aggraver la pertinence en répondant par la guerre à chaque tentative historique d’ouvrir des voies nouvelles esquissées par cette pensée,
dont vos armées d’escrocs du verbe sont payées pour assurer l’occultation.
Puis elle s’enflamma : Y a-t-il un adulte parmi les dirigeants du globe ?
Est-ce la voix d’une enfant qui doit s’élever au nom des vivants et des morts,
pour honorer la mémoire des ancêtres et sauver les rêves des générations à venir ?...
Ces questions lui valurent sentence capitale en France comme ailleurs, et il ne manqua pas d’esprits distingués pour persifler
« Quelle âme habite ce corps sans chair ? » (Michel Onfray),
« Elle affiche son syndrome d’Asperger comme un titre de noblesse » (Pascal Bruckner),
« une arnaque, une image, une enveloppe vide » (Raphaël Enthoven).
Son cas fut encore jugé pire quand, invitée par la Sphère Convulsiviste au parc de Bruxelles,
elle se permit de prendre à témoins les statues de la mythologie pour haranguer toutes les instances de pouvoir ceignant cet espace clos.
Certains voient en moi l’incarnation d’une puissance diabolique, lança-t-elle aux divinités,
d’autres me désignent comme une héroïne mythique, je suis à la fois l’une et l’autre.
Si la destruction de l’Union soviétique fut un épisode infâme de la guerre de Troie qui perdure depuis trois mille ans,
je suis aussi Cassandre, fille du roi Priam, dont le chant de deuil est un oratorio sur le destin des mortels.
Oui, on peut les féliciter, ceux qui ont entrepris cette guerre, me fait clamer ironiquement Euripide,
non sans exprimer par ma voix que le devoir d’un sage est assurément d’éviter la guerre.
Que suis-je d’autre alors qu’un fantôme, une ombre née de vos propres terreurs ?
Quelles sont-elles, ces terreurs, sinon celles à l’égard de la mort, chassée de votre Market World à mesure même qu’il est régi par la mort ?...
Maintes rumeurs courent depuis sa disparition ; nul n’a signalé qu’elle a (comme Edward Snowden) obtenu l’asile politique en Atlantide.
Le vendredi 4 octobre 2019 à 14:00, Anatole Atlas.