Rengaine d’une idole des vitrines
Jadis homo sapiens levait les yeux vers le ciel.
Désormais le technopithèque a conquis sa liberté, depuis que ses maîtres lui font ployer l’échine vers l’écran de sa prothèse portative
où clignotent les fétiches du marché, dont la plus récente idole est un robot faisant des bonds de chat sur la planète Mars.
Il fallait un avatar de Snoopy symbolisant la capitale de l’Alliance atlantique et de la bédé, selon les experts de la NASA :
« l’incarnation de l’Esprit belge », appuya le ministre-président de la Région bruxelloise…
L’univers n’est plus un cosmos dont l’homme avait mission de penser les relations avec son âme et la cité,
mais un chaos voué à la colonisation technopolistique des gadgets.
Car on n’est pas sérieux quand on a 13 ans, l’âge mental à ne pas dépasser sous la gouverne de gamins psychopathes.
Un totalitarisme peut-il s’imposer à des peuplades qui ne soient réduites à l’état prépubère ?…
Dans l’apparence d’innocence puérile avec laquelle prospèrent les impostures au service de la loi du profit,
se reconnaît l’art suprême de cette société : le marketing.
Pourquoi s’étonner si le Chat de Geluck se voit offrir un temple au sommet du Mont des Arts ?…
Un abîme plus vaste que les cieux tient lieu d’espace cultuel pour cette inversion carnavalesque où le pitre en chaire
propage les dogmes de la profanation, répand le catéchisme du sarcasme, prêche l’évangile du sacrilège et dispense le sacrement du blasphème.
Les foules hallucinées d’encens mortifères n’entonnent plus de chants liturgiques
mais se trémoussent au rythme disco d’ordinateurs ordonnant l’ordination des grands prêtres qui communient
sous les espèces de pilules psychotropes au son de cantiques techno dans le studio télévisé, nef de l’église médiatique
où se concélèbre le talk show égayé de gags ecclésiastiques, dont l’un des pontifes méritait bien qu’on se prosterne devant son Chat.
La plus modeste réplique de ce fétiche, colifichet décoratif, se vend au prix de 3.000 unités monétaires :
le dixième d’une icône à son effigie, le centième des statues de bronze processionnant sur les Champs Élysées sous bénédiction des plus grandes marques.
Innombrables sont les déclinaisons de ce nouveau commerce des indulgences, dans toutes les matières qu’autorise l’industrie de la superstition.
Car l’extase entretenue par cette confession n’est plus mystique mais cynico-sceptique…
Le mouvement autonome du non vivant ne requiert pas d’autre foi, pas d’autre raison, pas d’autre imagination. D’où vient que l’escroc rafle toutes les mises.
Quand l’art et la littérature sont bibelots d’inanité sonore, il suffit au bouffon d’emprunter une allure de clergyman pour usurper les attributs du génie créateur, du prophète et du philosophe.
Ce qui postule, avec le progrès sans fin des moyens techniques d’accroître la domination de la valeur d’échange et du travail mort sur valeur d’usage et travail vivant,
la régression des facultés de ressentir les mutilations, de penser la réification, d’imaginer une issue possible à cette aliénation…
Dans une époque oubliée de tous, Walter Benjamin examinait ce qu’il advenait de l’art à l’heure de sa reproductibilité technique.
Il y voyait la perte de son aura, ce nimbe unique et singulier conféré par un fluide qui reliait l’œuvre aux plus lointaines origines.
Source vive imprégnant les toiles cadenassées dans les caves du défunt musée d’Art moderne à Bruxelles.
Nous n’en sommes plus là, quand sont sacralisés des petits mickeys conçus et fabriqués selon les normes de la reproduction en série.
Geluck, sa bestiole et son barnum, illustrent donc au mieux ce qu’Isidore Ducasse nommait « une notable quantité d’importance nulle ».
À ce titre (et sans parler de sa joint-venture avec la NASA), le Musée du Chat restera son meilleur gag involontaire en l’ère des bulles financières :
son œuvre entière, négociée comme une bulle papale, engloutie dans une bulle de bande dessinée…
(Mais, l'éternelle querelle de l'empire et de la papauté décidant du destin de l'Occident,
peut-être la primauté spirituelle de Geluck sur tous les pouvoirs temporels sera-t-elle consacrée pour clore une autre polémique,
si la curie médiatique a l'inspiration d'adjoindre à Napoléon quelque bronze du Chat sous le dôme des Invalides.)
Anatole Atlas, 1er mai 2021.
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